Cette année, Marie-Hélène Verdier a publié un livre qui est une véritable lettre d’amour – d’amour sacré – à Notre-Dame de Paris, cette cathédrale qui, bien que toujours en chantier à l’heure actuelle, a survécu à l’incendie de 2019, comme à d’autres menaces telles que la Révolution et les guerres.
Marie-Hélène Verdier est connue des lecteurs de Causeur, à la fois pour ses contributions à notre journal et pour ses livres, tels que ses essais défendant la langue française ou l’éducation traditionnelle, sans compter la poésie et la fiction. Son volume le plus récent, Les Belles Heures de Notre-Dame, sorti à l’automne, est une série de méditations et de souvenirs inspirés par la cathédrale. L’auteur parle de son livre comme d’« une légende dorée de Notre-Dame » commencée au lendemain de l’incendie de 2019 et poursuivie à travers la période de la pandémie jusqu’à la « résurrection » de ce haut lieu. Habitant à proximité de la cathédrale, elle nous la présente aux différentes heures de la journée, souvent à travers de belles vignettes descriptives : « Solide sur le porche, aérienne au chevet, Notre-Dame est sans pareille. Enracinée, avec ses formes qui tiennent du cercle et du carré, de la rotondité et de la quadrature. Aérienne avec sa poussée d’ogives […] elle tient du ciel et de la terre et de l’aile, de la charrue et du bateau, de la coque et de la plume ».
On peut lire ce livre dans l’ordre qu’on veut, en picorant ici et là. La lecture coule tranquillement comme la Seine. Mais il y a une architecture subtile. Le texte commence dans la joie du 2 février 2013, quand on célébrait le 850e anniversaire de la cathédrale par la bénédiction de huit cloches nouvelles. Sans savoir que la nouvelle voix sonore de Notre-Dame allait se taire. « Six ans plus tard, sous l’effet d’un incendie gigantesque, la croisée du transept de Notre-Dame s’effondrait. Le 15 avril 2019, à vingt heures, le bourdon et les cloches cessèrent de sonner : c’était un lundi, à la veille de la semaine sainte ». La force symbolique de cette date allait s’exprimer, d’abord dans la résurrection des cloches : le grand bourdon nommé Emmanuel, intouché par le feu, sonne de nouveau, un an après l’incendie, le 15 avril 2020. Ensuite, par la résurrection – et la réouverture – de la cathédrale elle-même, les 7 et 8 décembre 2024. L’auteur se souvient du traumatisme, partagé par des internautes autour de la planète, inspiré par le spectacle de la chute d’un des chefs-d’œuvre de Viollet-le Duc : « La flèche, inclinée, se détache, s’arrache, sombre dans le vide, brisant la clé de voûte ». Le choc rappelle celui du 11 septembre 2001, mais ce dernier est l’œuvre de certains hommes qui se sont mis au service du mal. Grâce à la générosité de ceux qui ont donné de l’argent pour financer les travaux, grâce à la patience et au savoir-faire de ceux qui ont accompli la mission de reconstruction, la cathédrale allait renaître dans la joie et l’allégresse.
Certes, il y a des choses dans la vie qui passent et disparaissent. L’auteur regrette la fermeture de la librairie L’Escalier, un petit haut lieu de la culture parisienne située rue Monsieur-le-Prince. Marie-Hélène Verdier regrette aussi que les carillons n’ont plus la place dans notre vie quotidienne qu’ils avaient autrefois. « On n’entend plus guère, dans nos villes et nos campagnes, le son des cloches unissant ciel et terre ». Pourtant, la continuité de Notre-Dame de Paris reste un point de repère essentiel pour les Français et le monde. Cette continuité est soulignée dans le livre par l’érudition historique et culturelle de son auteur, érudition qui n’est pas là pour impressionner le lecteur, mais pour montrer la centralité et la permanence de la cathédrale qui est le cœur battant de la France. Toute l’histoire de Notre-Dame, du Moyen Âge à nos jours, est présente à la fois. Tantôt on remonte à 1163 quand le pape Alexandre III pose la première pierre de l’édifice, tantôt on s’attarde à l’époque de la Révolution où, profanée et humiliée, Notre-Dame a été transformée en temple du culte de la Raison robespierriste et ses cloches fondues pour en faire des canons. Comme la France, elle a traversé ces épreuves et en est ressortie. En explorant la richesse de l’histoire de Notre-Dame, on se plonge dans celle de son symbolisme. A cette fin, toute une série d’artistes sont convoqués par le texte, de Piero della Francesca à Gustave Doré, en passant par Delacroix, Méryon, et Viollet-le-Duc lui-même, dont les œuvres constituent des créations artistiques et pas seulement des bricolages d’antiquaire. Certains feraient mieux d’y réfléchir à l’heure où on propose de remplacer ses vitraux. Il y a une mention spéciale ici pour les « Mays », ces grands tableaux commandés chaque année (sauf deux fois) entre 1630 et 1707 par la corporation des orfèvres pour rendre hommage à la Vierge.
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Les références aux arts visuels sont accompagnées par des références littéraires qui servent, elles aussi, à faire valoir l’intemporalité de Notre-Dame : de Villon à Bernanos en passant par Molière, Goethe, Claudel, Péguy, Chateaubriand, Victor Hugo, Baudelaire, Huysmans, Proust, ou Gide. On trouve les grands poètes chrétiens que sont Patrice de La Tour du Pin et Pierre Emmanuel et même l’Aragon du Paysan de Paris. J’ai personnellement découvert pour la première fois le roman Rue Notre-Dame de Daniel Pézeril, écrit en 1950. On y trouve, comme le dit Marie-Hélène Verdier, « une saveur, un enseignement, une poésie » surprenants. L’auteur, un prêtre et un Juste parmi les nations, est devenu évêque auxiliaire de Paris dans les années 1960.
Il y a aussi la figure sacrée de Saint Ambroise qui, en tant que poète, est le fondateur de l’hymnodie latine. Et de tous les arts, la musique – surtout à travers la liturgie mais pas seulement – joue un rôle spécial dans la vie et la résurrection de la cathédrale. Comme le grand bourdon, comme la Croix dorée au fond de la nef, comme le trésor, l’orgue est demeuré intact après l’incendie et on entendra de nouveau sa voix le 8 décembre 2025.
Marie-Hélène Verdier célèbre les musiciens qui ont contribué à la magie de Notre-Dame, comme le maître de chapelle Jehan Revers, l’organiste Thierry Escaich, ou le chef de chœur et d’orchestre Nicole Corti. Les grands compositeurs défilent, de Pérotin, qui représente justement l’École dite « de Notre-Dame » au Moyen Âge, à Arvo Pärt, en passant par Monteverdi, Schütz, André Campra, Purcell, Rameau, Pergolèse, J. S. Bach, Brahms, César Franck, Debussy, Louis Vierne, ou Frank Martin. Une petite place à part est réservée pour ce grand compositeur catholique du XXe siècle, Olivier Messiaen, dont la « musique est faite de silence et d’infini, de méditation et de joie parfaite ». Notre-Dame n’est pas seulement un lieu de tourisme où le domaine réservé des grandes cérémonies solennelles, c’est aussi un lieu de musique et de liesse.
Il y a une présence particulière au cœur de ce livre, celle du cardinal Lustiger, archevêque de Paris de 1981 à 2005. C’est lui qui a voulu la Croix dorée, installée en 1994, qui a survécu à la catastrophe de 2019. C’est lui qui a voulu aussi le Collège des Bernardins, ce nouveau centre spirituel qui maintient la grande tradition théologique de Paris. Marie-Hélène Verdier se souvient des obsèques du cardinal en 2007 et a gardé précieusement le livret de la messe célébrée en son honneur. Le texte des Belles Heures de Notre-Dame est émaillé d’un certain nombre de souvenirs autobiographiques qui restent modestes mais suffisent pour montrer comment l’histoire d’un haut lieu spirituel peut interagir avec la vie d’un individu.
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Ce livre est évidemment l’œuvre de quelqu’un qui a la foi. Mais si le lecteur n’a pas la foi – ou pas cette foi-là – il peut toujours goûter la dimension historique de cet édifice hors du commun, même comparé à d’autres constructions ecclésiastiques. Car le sursaut judéo-chrétien que certains appellent de leurs vœux – et non sans raison – peut être un retour aussi bien aux sources culturelles de notre civilisation qu’aux croyances qui l’ont soutenue pendant si longtemps.
Marie-Hélène Verdier, Les Belles Heures de Notre-Dame (L’Harmattan, coll. « Histoire de Paris », 2025), 140pp., 16€.
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