Le gauchiste Luigi Mangione, soupçonné d’avoir tué Brian Thomson, abattu au cœur de Manhattan il y a un an, a comparu hier lors d’une audience préliminaire. Il encourt une peine de réclusion à perpétuité.
Seul Dieu peut offrir une assurance contre la maladie.
Maurice Duplessis, ancien Premier ministre québécois.
Aux États-Unis, les compagnies d’assurance de santé privées ne gagnent pas un concours de popularité. On les accuse de pratiquer l’obstruction et le culte du seul profit.
C’est dans ce contexte que, le 4 décembre 2024, à Manhattan, Luigi Mangione est censé avoir abattu de sang-froid, dans une embuscade bien planifiée, Brian Thompson, PDG de la United Healthcare, le plus gros groupe d’assurance de santé privé aux Etats-Unis. Aux termes de la loi new-yorkaise, il fait face à neuf chefs d’accusation, dont l’assassinat.
(Les procureurs résistent mal à la tentation de ratisser large, mais a été écarté par le juge le ridicule chef d’accusation de « terrorisme »; c’est déjà ça de pris pour M. Mangione).
Passible de la perpétuité
Il est passible de l’emprisonnement à perpétuité, l’État de New York ayant aboli la peine de mort. Par ailleurs, il fait face à des accusations prévues par la loi fédérale pour les mêmes faits. Le président Trump, qui, naguère se vantait de pouvoir assassiner n’importe qui sur le 5e Avenue sans perdre un seul vote, réclame d’ores et déjà le châtiment suprême.
De prime abord, les faits semblent parler d’eux-mêmes de manière écrasante en faveur de la culpabilité.
Les séries policières américaines sont friandes du mythe du vice de forme (on ne compte plus les mandats de perquisition invalidés pour une virgule mal placée…). En l’espèce cependant, dans une affaire médiatique aussi retentissante, les procureurs devront aller « by the book » (en v.o.), (« selon la lettre du code de procédure » (en v.f.)).
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A eu lieu hier 1er décembre une première comparution dans le cadre d’une audience préliminaire portant sur la (non) recevabilité d’éléments de preuve cruciaux. La défense demande l’exclusion des déclarations incriminantes de l’accusé lors de son arrestation puisque les policiers ne lui avaient pas communiqué son droit au silence (cf. la légendaire jurisprudence Miranda[1]). En outre, les agents saisirent alors son sac à dos et en retirèrent notamment des pièces à conviction censées le rattacher à l’homicide : un révolver (l’arme du crime?), un magasin chargé et un cahier contenant des observations manuscrites dénonçant les compagnies privées d’assurance de santé, mais… sans mandat de perquisition.
En matière pénale, la procédurite est toujours de bonne guerre, encore que M. Magione ne peut raisonnablement espérer ressortir de quelque tribunal que ce soit en faisant un doigt d’honneur. Au mieux, il peut rêver d’un répit sur les accusations les plus graves.
Semble étrange et critiquable la coexistence de procédures étatiques et fédérales pour les mêmes faits. D’emblée, il semble y avoir atteinte à la règle « non bis in idem », à savoir le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction. Lorsque viendra leur tour, les procureurs fédéraux seront tentés d’invoquer la jurisprudence Rodney King : en 1991, quatre policiers avaient été filmés pendant qu’ils tabassaient sauvagement M. King, mais ils furent acquittés par les jurés californiens. Cependant, deux d’entre eux furent ultérieurement condamnés par une juridiction fédérale au titre de la violation des droits civiques de M. King, les avocats de la défense ayant en vain invoqué ladite règle (« double jeopardy » en v.o.) puisque le moyen de droit fédéral était distinct. En l’espèce, on admettra volontiers que la cavale de M. Mangione hors de l’État du crime principal (l’arrestation eut lieu en Pennsylvanie) donne lieu à des infractions supplémentaires, distinctes, de nature fédérale, mais la compétence relative à l’homicide lui-même ne tombe pas sous le sens. Mais peu importe, les procureurs fédéraux sont bel et bien déterminés à avoir leur part du gâteau.
À suivre donc. Pour l’instant aucun calendrier n’est fixé. L’audience préliminaire en cours devrait durer une semaine; seront entendus plusieurs témoins au sujet du déroulement de l’arrestation.
Sinistre justicier
Sur le plan social, aux yeux d’une certaine gauche, M. Mangione fait figure de Robin des Bois. On peut supposer qu’y appartiennent de nombreux donateurs qui ont généreusement versé leur obole à sa cagnotte de défense (est évoqué le chiffre de 1 million de dollars); c’est de bonne guerre (il serait également intéressant de savoir quelle est l’enveloppe budgétaire dont dispose(ront) le(s) ministère(s) public(s)).
Pour autant, les supporteurs de M. Mangione oublient que si le maître archer prônait et pratiquait une forme de redistribution des richesses au profit des démunis, au grand dam du shérif de Nottingham, il ne semblait pas avoir l’habitude de trucider sommairement les nantis.
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L’assurance santé, qui laisse en effet beaucoup à désirer aux Etats-Unis, est sans conteste un immense problème de justice sociale. Que l’on exprime son opposition à la peine de mort est légitime (même les tyrans condamnés pour crimes contre l’humanité ne sont plus exécutés); il en va de même si l’on insiste sur cette évidence que tout accusé, même (par exemple) filmé par 24 caméras de surveillance, a toujours droit à la présomption d’innocence et à une défense pleine et entière.
Mais cela ne justifie pas la violence qui est contreproductive, la potion qui tue le patient. Rappelons que M. Magione fut arrêté dans un McDo. La honte. Quand on veut jouer les chevaliers blancs combattant les entreprises qui font primer le profit sur la santé, on opte plutôt, par exemple, pour des campagnes pacifiques dénonçant les fastefoudes dont la tambouille vomissant le cholestérol constitue la plus grande menace à la santé publique jamais vue…
Faire de Luigi Mangione une star est de très mauvais goût. Un autre spectacle à grand déploiement vient de commencer. En vedette américaine, Luigi Mangione. On s’arrache les billets pour la salle d’audience. Il était temps, 30 ans après l’acquittement de OJ Simpson. « Only in America ».
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Miranda_v._Arizona
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