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« La morue? Oui, chef! »

Une ode délicate et puissante à la cuisine du Portugal


« La morue? Oui, chef! »
Le chef José Dantas © Pierre Aslan

Chez José Dantas, au restaurant « Albufera », à Boulogne-Billancourt (92)


Heureux habitants de Boulogne-Billancourt… Il y a un peu plus de trois mois, en août 2025 donc, « Albufera, la table de Jose Dantas », a ouvert ses portes au 38, rue de Meudon (à cinq minutes à pied du métro Marcel Sembat). Comme au Ritz, un voiturier à la carrure de garde du corps s’occupera même de garer votre voiture (et de veiller sur elle) si d’aventure vous décidiez de faire le voyage à Boulogne depuis une destination lointaine, par exemple pour le réveillon du 31 décembre…

Meilleur restaurant portugais de France?

Car, en définitive, « Albufera » (qui désigne à la fois une région du Portugal, une rivière et un riz rond assez semblable au riz bomba espagnol – celui utilisé pour la paella) est probablement le meilleur restaurant de cuisine portugaise de France. En entrant dans ce petit paradis (niché dans un quartier calme et « pépère » d’une ville qui n’a pourtant rien de très sexy), c’est tout un univers poétique qui vient d’abord vous titiller les narines et l’imagination, à travers la voix d’Amalia Rodriguez (la reine du « fado »), la soie des vieux portos millésimés, la gentillesse de la serveuse (venue de Rome) et, bien sûr, la cuisine du chef !

Toujours étrangement méconnue, la cuisine portugaise n’est pas seulement une très ancienne cuisine populaire de la terre et de la mer où l’oreille de cochon côtoie l’oursin et les coquillages, elle est aussi une cuisine du grand-large portée par le vent des océans et le souffle de l’Histoire…

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La morue de Terre-Neuve y est ainsi préparée de plus de mille façons différentes. L’omniprésence des épices nous rappelle qu’il fut un temps où le Portugal dominait le monde grâce à ses grands explorateurs, Vasco de Gama et Magellan notamment, à qui l’on doit le curcuma, la noix de muscade, le clou de girofle, la cannelle et les innombrables poivres d’Indonésie… Le maïs venu d’Amérique est employé depuis des siècles pour faire un pain tendre et délicieux de couleur safran, tout comme les haricots secs qui ont inspiré aux Portugais un plat très proche de « notre » cassoulet, sans parler du chocolat, de la vanille et du sucre de canne dont ils sont friands.

Bref… Une cuisine-monde.


Né en 1995 dans le nord du Portugal, Jose Dantas a été formé en France vingt ans durant après des plus grands chefs : à la Chèvre d’Or, chez Taillevent, chez Drouant, à l’Apicius et chez Jean-François Piège. Son mentor est Emile Cotte, un pilier de rugby corrézien qui était son supérieur chez Taillevent et qui continue à le conseiller aujourd’hui. Je vous avais parlé de ce gaillard généreux en juin 2023 en présentant son merveilleux bistrot « Baca’v », qu’Emile a récemment transplanté à Boulogne (33, avenue du Général Leclerc, à cinq cent mètres de chez son copain, raison pour laquelle je dis que les habitants de cette ville ont vraiment de la chance d’avoir ces deux tables d’exception !).

Voyage en caravelle

Jose Dantas, donc, est un vrai technicien « à la française », maître des cuissons et des sauces (les siennes, faites à partir de carcasses de volailles entières, mijotent et réduisent pendant trois jours ! c’est ce qui distingue aujourd’hui un « grand restaurant » d’un « boui-boui » pour touristes). Dès les entrées, on est impressionné par la finesse de ses acras de morue, qu’il faut prendre avec les doigts pour les tremper dans une aïoli aux piquillos (petits poivrons). Avec un verre de « Verdelho original », le blanc des Açores vinifié par Antonio Maçanita, on est déjà parti en caravelle, les cheveux au vent… Ce vin volcanique issu de vignes jamais greffées offre de beaux amers profonds. L’harmonie d’ensemble évoque la délicatesse des plus beaux azulejos.

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Parmi les plats, que choisir ? Tout est délicieux et sans lourdeur. Le sauté de cochon fermier aux coques et à la fricassée de champignons est accompagné d’une purée soyeuse comme une caresse. « Incontournable », la spécialité de Jose est le riz albufera (cuit dans un bouillon très corsé) au canard rôti et aux noisettes… Cuit rosé, ce canard vient des Dombes, il est plein de tendresse… La sauce apporte une séduction intense. Je pourrais ainsi passer en revue toute la carte. Au dessert, impossible de passer à côté de l’une des meilleures mousses au chocolat qu’il m’ait été donné de goûter ces dernières années : à partir d’un cacao grand cru du Surinam ou du Brésil, Jose élabore sa mousse en lui adjoignant un petit filet d’huile d’olive de sa région, très verte et fruitée, et de la fleur de sel… Avec un petit verre de Porto servi à la pipette, « c’est extra » comme chantait Léo Ferré.

Tout cela bien sûr est très gentil, me direz-vous, mais qu’en est-il des prix ?

Hé bien, chère lectrice et cher lecteur, les prix sont proprement stupéfiants, eu égard à la qualité sensationnelle de ce restaurant : 29 euros le menu déjeuner (entrée-plat ou plat-dessert), ou 39 euros (entrée-plat-dessert) ; 59 euros le menu-dégustation en cinq services… (le prix d’un plat dans un restaurant étoilé !). Pour le réveillon du 31 décembre, le chef prépare une soirée traditionnelle avec menu de fête à 95 euros (quatre plats) en présence d’une grande chanteuse de « fado » accompagnée par ses musiciens. Alors moi, je dis à ma femme : « Chérie, et si on allait s’encanailler à Boulogne-Billancourt pour changer ? Paris est tellement triste en ce moment…»


ALBUFERA 38, rue de Meudon 92100 Boulogne-Billancourt Tél : 01 46 21 75 90 Informations utiles : www.albufera-boulogne.fr



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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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