Tuning outragé, tuning brisé, tuning martyrisé, mais aujourd’hui tuning libéré à Autoworld, le musée automobile de Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre se tient une exposition temporaire consacrée aux maîtres allemands de la transformation
Les sourires se crispent, la moquerie n’est pas loin. Hargneuse. Vindicative. Diffamatoire. Les blagues fusent en cascade. Le délit de faciès n’est pas condamné, en l’espèce, par la justice. On se défoule sans limite. On crie à l’attentat esthétique et, dans le fond, on laisse exploser sa haine du « populaire ». À la vue d’une auto bodybuildée, aux appendices aérodynamiques disproportionnés, aux couleurs « outrageantes » et à la sono assourdissante, le bourgeois s’étrangle. Il se fait censeur, sermonneur ; lui seul détient la carte du bon goût, lui seul peut décider de ce qui est beau ou laid, admis ou rejeté, démocratique ou populiste. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir le droit de rouler sur les routes ? On en appelle aux autorités morales, à la régulation, à l’homogénéisation, au lessivage, au nivelage. La transformation génétique des voitures, c’est de la sorcellerie, au mieux une dérive poujadiste à condamner. Le tuning a toujours eu mauvaise presse. Il fait tache. Il fait « SEGPA ». Les médias culturels l’ont délégitimé, l’ont sali et l’ont intellectualisé pour mieux le vider de sa substance. Parce que ces gens-là ne comprennent rien à l’imaginaire prolétaire, ce sont des commentateurs lointains, étrangers aux envies et aux rêves d’une jeunesse hors des villes.

Manque de savoir-vivre
Ils y ont vu une révolte, un exutoire, une manière de contrecarrer le déterminisme social de tous ces enfants végétant dans les filières techniques, ils ont pris le tuning pour un manque de savoir-vivre, alors qu’au contraire, le tuning est une affirmation, une fierté, la révélation d’une identité profonde, une culture riche qui prend sa source dès les premiers tâtonnements de la création automobile. Nos penseurs fainéants enfermés dans leur case idéologique ont cru déceler les tenailles du système, la misère et l’oppression.
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Il y avait pourtant de la beauté, de l’audace, de l’exagération jubilatoire, de la féérie fluorescente et pailletée. Le tuning, c’est avant tout du plaisir, plaisir de se faire remarquer, de faire du bruit et d’exister avec sa voiture maquillée et longuement pensée dans son garage. Une voiture façonnée selon ses propres codes, ses propres aspirations, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. En s’affranchissant des parents, des profs, des patrons et de toutes les institutions moralisantes. La vague tuning qui a touché l’Europe dans les années 1980/1990 s’est peu à peu retirée au passage de l’an 2000. La « raison » l’a emporté face à l’éclat des campagnes et des banlieues. Car le tuning est une activité dissidente et extérieure aux centres du pouvoir, il se propage dans les départements ruraux ou dans les périphéries excommuniées. Il ne germe pas dans les arrondissements protégés, là où les enfants studieux passent l’agrégation avant le permis de conduire. La normalisation des moyens de locomotion a tué la marge. Un jour, nous nous sommes réveillés et n’avons plus vu une 205 gonflée comme un crapaud géant, portant sur le toit un aileron démesuré et des bas de caisse proéminents, le tout dans une teinte allant du violet au blanc nacré. Un monde souterrain avait disparu. Le tuning est l’Atlantide des gamins heureux de discuter « bagnole » et « hifi », de se retrouver ensemble sur des parkings de supermarché et de fanfaronner. Ils ne sont pas si éloignés de Vittorio Gassman au volant de sa Lancia Aurelia en août 1962. Et puis, le tuning comme expression nouvelle a été absorbé par les constructeurs, ils préfèrent parler de « personnalisation », ça fait plus « chic », plus ordonné.
Le salut vient de Belgique
Les extravagances de carrosserie sont les hiéroglyphes de la fin du XXème siècle. Le monde a changé en vingt-cinq ans. On promeut l’inclusivité et l’on a rejeté le tuning, cet art primaire de la modification. En cette fin d’année, notre salut vient de Belgique. En matière artistique, le royaume a toujours assumé le décalage. Le musée Autoworld à Bruxelles réveille les consciences en exposant les grands maîtres allemands de la discipline : Koenig, Strosek, Gemballa, Brabus, etc… Ceux qui ont tout inventé, qui ont bravé les interdits, ils se sont tout permis, les largeurs ahurissantes, les portes en papillon, en élytre, les hauteurs de caisse et les décapsulages les plus dingues. L’âge d’or du tuning se regarde comme la peinture flamande.
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Là, une Opel Manta jaune et bleue, plus loin, une Audi Quattro Roadster, une Porsche 911 Turbo aux couleurs « Rainbow » nargue une 928 à l’ouverture verticale. Les peine-à-jouir peuvent passer leur chemin. Ils ne sont pas les bienvenus. Si les nostalgiques se souviennent du coupé AMG conduit par Jean-Paul et Johnny dans les années 80, ils vont tomber à la renverse en admirant la Mercedes modifiée par Gemballa. Étrange et fascinante.
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