Rédacteur en chef à Combat, fondateur du Quotidien de Paris, vu à la télévision durant plusieurs décennies et surtout homme de théâtre, Philippe Tesson a marqué son époque. Les éditions Équateurs lui dressent une stèle à partir d’articles, d’entretiens, d’éditoriaux et de préfaces afin qu’il retrouve sa haute place dans la grande histoire de la presse française

Agaçant assurément. Cabot, séducteur, vif, agressif, cet esprit français porté par la polémique et ce fouetté libéral qui secoua l’apathie des rédactions au tournant de la rigueur. Colérique probablement. Installé confortablement dans la réussite bourgeoise et conservant cependant la verdeur de l’artiste. Le doute raisonnable des dissidents. Courant après un ailleurs. Ambitieux au carré. Aventurier du papier avant les dérives numériques, amoureux sincère des planches et des acteurs, les mains encrées au cul des rotatives, courbé sur la lecture d’une chronique, rédigeant une critique dramatique, ayant consacré sa vie aux mots et à l’information.
Fougueux patron de presse
Fin de la comète des Trente Glorieuses et mirage des années de crise, Philippe Tesson était né en 1928 et il a disparu en 2023. La postérité est une belle garce. Des Tesson, on ne retient aujourd’hui que son fils. Alors, il fallait bien raconter la légende, que les fidèles rappliquent au chevet de l’oublié. Guillaume Durand, Robert Toubon, Claire Chazal, Bertrand de Saint-Vincent, F.O.G et Jean-Christophe Buisson prennent la plume sous la tutelle respectueuse d’Amande Coquelle et d’Olivier Frébourg. Dans ce recueil intitulé Le quotidien de l’éternité, ils disent leur vérité sur le démiurge du Quotidien de Paris, portraiturent le fougueux patron de presse et se souviennent ensemble de cette figure du vieux monde. Ils retiennent le temps qui file et qui saccage les mémoires. Car, il ne fait aucun doute que le moule a été cassé, enseveli par la banalité et les forces de l’argent. Si l’incarnation manque au personnel politique actuellement, on déplore à la fois son inconsistance intellectuelle et son absence de vision, la direction des médias souffre des mêmes maux, des mêmes pesanteurs, des mêmes travers. Une forme d’obscénité financière et de terreur procédurière nous assaille.
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Les fameux « petits hommes gris » ont pris le pouvoir sur la presse écrite. Tout est lourd et complexe. Besogneux. Prévisionnel et déceptif. Sans humour et dérision. On gère l’actualité comme l’on surveille la chaîne du froid. Il n’y a plus beaucoup de place pour les trublions, les affranchis, les stylistes et les pirates d’une certaine vérité. Tesson était l’incarnation de cet élan-là. Au risque de fortement déplaire et de tirer la couverture à lui. Tesson était un joueur comme le sont les véritables créateurs de journaux. Un individualiste forcené, à l’égo chargé de plomb, brutal dans ses attaques, caricatural à la télévision (l’image vous enferme, l’écrit vous libère), réfractaire à l’esprit de sérieux et perpétuellement en mouvement. De cette mobilité exténuante qui fédère les autres. Il avait l’œil pour repérer les journalistes en devenir et l’audace suprême de les laisser s’exprimer. Ce n’est pas si courant de laisser sa chance à des inconnus. Tesson n’avait pas peur du talent des autres même s’il s’estimait au-dessus de la mêlée. Il était le meilleur d’entre nous pour insuffler un vent de liberté à une rédaction, lui faire croire qu’elle écrivait l’Histoire, lui inculquer le frisson du scoop et la friction du débat d’idées, il était ce roi-là. Charmeur, on lui pardonnait ses sautes d’humeur et ses manières de grand prince.
Séducteur aux yeux bleus
Ce volume de textes a aussi le mérite d’éclairer une œuvre journalistique immense parcourue d’autant de succès que d’échecs commerciaux, de revenir sur l’épopée d’un groupe de presse créé avec son épouse et de nous montrer qu’il y avait du jus et du nerf dans ce pays essoufflé.
Olivier Frébourg le qualifie de « Don Giovanni de la presse française, l’insaisissable séducteur aux yeux bleus des journaux, quotidiens, hebdomadaires, mensuels ». Guillaume Durand l’éternel sentimental estime qu’au fond notre époque ne le méritait pas : « Philippe Tesson est un pianiste pour chefs-d’œuvre. L’ordinaire l’a tué ». La France l’avait déçu. Il n’était pas le seul à déplorer son interminable déclin. Ce recueil charmant et bourré de contradictions dévoile la part de jeu dans les joutes et les luttes politiques. Tesson savait si bien croquer à la volée les Barre, Chirac, Mitterrand, Hollande, Sarkozy ou Macron avec une tendre férocité, il n’était dupe de rien et pourtant il était sensible au vibrato de ces fauves. Et puis, pour nous, les journalistes abandonnés, les nostalgiques du papier, Tesson était intarissable sur notre métier. Une source de jouvence. « J’ai connu les vieilles linos, les vieilles rotos, les vieux ateliers et l’odeur » disait-il. Nous sommes tous à la recherche de cette « sensualité » perdue.
Le quotidien de l’éternité – Philippe Tesson – Équateurs (sortie le 5 novembre) 480 pages




