« Pour une démocratie conflictuelle et non pas un théâtre d’intimidation morale »
Le titre annonce un état de fait : une société malade. Le livre nous en donne un diagnostic percutant et nous propose des remèdes qui ne prétendent pas tout résoudre mais réhabilitent la pratique du conflit. Car « la modernité démocratique en est venue à perdre de vue la réalité conflictuelle du politique ; c’est-à-dire la confrontation des visions du monde, des normes et des régimes symboliques ». Charles Rojzman est l’inventeur de la « thérapie sociale » qui met en présence des groupes antagonistes afin de travailler le dit conflit. « La thérapie sociale s’appose à toutes les illusions modernes : celle du progrès qui promet la réconciliation automatique, celle de l’inclusion décrétée par le droit, celle du dialogue réduit à un rituel pacifiant. » Il est précisé que « guérir, ici, n’est pas accéder au bonheur, mais pratiquer sans fin ce travail qui empêche la mort de gouverner. Refuser de transmettre la haine, voilà la véritable guérison ».
Cette conscience tragique est ce qui permet à Charles Rojzman de dénoncer la pureté idéologique à l’œuvre aussi bien dans l’islamisme que dans le wokisme et chez les décoloniaux, lesquels s’épaulent mutuellement pour éradiquer le passé : « poids pour l’idéologie marchande, impureté pour l’islamisme, faute pour la gauche morale » qui s’entendent également pour détruire le monde commun de la nation et pour empêcher tout débat. Dans sa stratégie, ce totalitarisme à plusieurs têtes « détourne nos normes contre nous, impose une inversion sémantique : la résistance devient fascisme, la lucidité « islamophobie », et la défense des droits humains une forme d’agression néo-coloniale. » La tyrannie de la vertu partout s’impose, celle-là même qui refuse de voir que la haine est constitutive de la condition humaine et qui, de la refouler, la pratique sans cesse : « On ne veut plus comprendre : on veut haïr avec vertu, accuser avec pureté ». Pour les « jeunes croisés du progrès », il ne s’agit plus de construire, mais « de se sentir justes dans la ruine. » Pour y remédier, il faut une refondation anthropologique et reconquérir le peuple en déshérence depuis l’abandon de la lutte des classes au bénéfice de luttes imaginaires : Blancs contre Noirs, dominants contre dominés, binaires contre non binaires etc. « Les enfants tristes de l’hédonisme », tous ces « mineurs isolés » parce que l’adulte fait défaut, se sont substitués au peuple dans cette nouvelle gauche composée de « milieux urbains, souvent diplômés, très connectés aux médias, aux ONG, aux universités. » ; ceux-là mêmes qui « veulent l’héritage mais pas la filiation, qui refusent l’hymne mais réclament la bourse. » Et pour revenir au peuple et lui donner droit de cité, Jaurès est convoqué : « Ce qui manque le plus au peuple, dans l’ordre intellectuel et moral dont tout le reste dépend, c’est le sentiment continu, ininterrompu, de sa valeur. »
Ce livre extrêmement précis dans ses analyses, parfois douloureux, est porteur néanmoins d’une espérance et d’un combat.
La société malade. Échec du vivre ensemble, chaos identitaire : comment éviter la guerre civile, Charles Rojzman, Fyp, 2025. 224 pages
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