Accueil Édition Abonné Paul Biya, l’éternel retour du «sphinx» camerounais

Paul Biya, l’éternel retour du «sphinx» camerounais

Réélu avec 54 % des voix, un « petit » score pour lui…


Paul Biya, l’éternel retour du «sphinx» camerounais
Yaoundé, Cameroun, septembre 2025 © Welba Yamo Pascal/AP/SIPA

À 92 ans, le président du Cameroun entame un huitième mandat. Le dernier dinosaure de la Françafrique défie le temps et l’histoire. Qui est-il? Son fils pourrait-il vraiment lui succéder dans sept ans?


C’est une pièce de théâtre tragique dont les Camerounais semblent condamnés à rejouer sans fin les mêmes actes. Les protagonistes ne changent pas, seuls les décors se modernisent.

Le 27 octobre 2025, le Conseil constitutionnel a validé, sans surprise, la réélection de Paul Biya à la tête du pays. À 92 ans, le plus vieux chef d’État en exercice du monde, figure tutélaire de la Françafrique, s’offre un huitième mandat.

Pour ses partisans, il reste un symbole de stabilité ; pour ses opposants, un monarque indéboulonnable et figé dans une époque révolue.

Un destin à l’ombre de la France coloniale

Paul Biya, c’est d’abord une trajectoire singulière. Né en 1933 dans une famille modeste du Sud-Cameroun, destiné à la prêtrise, il prend une autre voie : celle des études parisiennes. Pensionnaire du prestigieux lycée Louis-le-Grand, il se forge dans la rigueur académique et poursuit un cursus juridique sans faute.

Le Cameroun, sous tutelle française après avoir été colonie allemande, est alors en proie à une rébellion sanglante. L’Union des populations du Cameroun (UPC) mène une lutte armée contre la présence coloniale. La répression, implacable, laisse des cicatrices encore palpables de nos jours dans le subconscient local. Dans cette atmosphère, Biya incarne l’élève modèle. L’administration française le perçoit comme le prototype du « cadre assimilé » : docile, cultivé, loyal. C’est Louis-Paul Aujoulat, un pied-noir influent et député du Cameroun (1945 et 1955) qui a repéré ce jeune prodige et qui voit en lui le visage d’un futur que le Général De Gaulle dessinera plus tard… 

Il le recommande à Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun indépendant (1960), qui l’intègre à la présidence de la République comme chargé de mission. Paul Biya gravit les échelons à une vitesse fulgurante. L’administration française, qui garde la main sur nombre d’affaires africaines, observe en lui un homme de continuité, un relais du gaullisme en Afrique centrale. Ministre, puis Premier ministre en 1975, il devient la pièce maîtresse du dispositif d’Ahidjo, avant d’en devenir le rival silencieux. Le 4 novembre 1982, coup de théâtre : Ahmadou Ahidjo démissionne subitement, dans des conditions controversées, laissant les pleins pouvoirs à son dauphin constitutionnel qui ne tarde pas à se débarrasser de son mentor. Le Cameroun bascule sans violence dans une ère nouvelle. Le jeune président, froid, méthodique, calculateur, s’installe au palais d’Etoudi. Il n’en sortira plus.

Une dernière candidature, un doigt d’honneur à l’opposition

Depuis plus de quarante ans, Paul Biya règne sur le Cameroun comme un monarque républicain. Les scrutins se succèdent, les résultats ne varient guère : des scores quasi nord-coréens, des opposants neutralisés, un parti unique — le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) — qui sature l’appareil d’État.

Soutenu par Paris, le président a su bâtir un système politique où chaque pièce dépend de lui. Les chefferies traditionnelles, humiliées sous Ahidjo, retrouvent leur place et leur prestige. L’opposition, muselée, est cantonnée au rôle d’ornement démocratique. Dans les années 1990, sous la pression de la rue et de la communauté internationale, Biya cède au multipartisme, sans jamais lâcher le contrôle. Aujourd’hui, plus de 300 partis sont enregistrés : une forêt politique où chaque arbre pousse à l’ombre du RDPC, nourri par les subsides de l’État.

A lire aussi: Gaza: une milice peut en cacher une autre

Sa nouvelle candidature n’a surpris personne. En 2022 déjà, lors de la visite du président français Emmanuel Macron à Yaoundé, Paul Biya avait esquissé les contours d’un nouveau mandat tout en laissant planer le doute sur sa volonté d’en découdre une dernière fois. Paris, cette fois encore, a préféré le silence. Aucun mot sur la longévité de ce règne, ni sur l’affaire des « biens mal acquis » qui vise le clan présidentiel, ni sur les soupçons de fraude électorale.

Le principal candidat de l’opposition, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et ex-cacique du RDPC, a tenté de contester les résultats, allant jusqu’à se proclamer vainqueur. En vain. Officiellement « en lieu sûr » sous la garde de militaires loyalistes — ce que dément le gouvernement —, il a appelé les Camerounais à la grève et à la fermeture des commerces. Il est probable que cet appel sera peu suivi. La peur, comme souvent, va étouffer la colère populaire.

Réélu avec 54 % des voix — un score modeste pour un autocrate habitué aux plébiscites —, Paul Biya a su mettre en avant ses succès économiques : une croissance en hausse depuis 2023, une inflation maîtrisée, un taux de chômage officiellement inférieur à 4 %. Sous pression du FMI et des créanciers européens, son gouvernement a entrepris de sévères réformes budgétaires. Dans le secteur agro-industriel, moteur de l’économie, quelques réformes ont même permis de renforcer la coopération entre public et privé. Le vieux lion a su préserver la paix civile dans un pays fracturé par la question du séparatisme anglophone. Ses gouvernements dits d’« unité nationale » ont évité le pire : une guerre ouverte entre les régions anglophones et francophones.

Mais le revers du tableau est moins flatteur : corruption endémique, recul des libertés, dépendance accrue à la Chine. Les relations avec la France se sont refroidies, en dépit des gestes de bienveillance de l’Élysée, notamment la réouverture du dossier sur les crimes coloniaux au Cameroun — une initiative que M. Biya n’avait pourtant jamais demandée et qui a eu l’effet contraire attendu au renouveau des relations franco-africaines. Face à la Russie tapie dans l’ombre, l’Hexagone, à force de plier genoux pour un oui, un non, n’apparait plus comme un partenaire fiable dans un continent ou seule l’autorité du chef prime sur tout le reste.

Depuis des années, le pays vit également dans une étrange léthargie. C’est un nonagénaire Paul Biya qui semble plus que jamais absent, multipliant les séjours médicaux en Suisse. L’homme ne gouverne plus, il préside à distance, par délégation, par silence. Ses rares apparitions publiques, chorégraphiées, donnent l’image d’un vieillard fatigué, tenu debout par la mythologie du pouvoir. Les Camerounais, eux, oscillent entre résignation et peur du vide. L’idée d’un Cameroun « après Biya » reste taboue, presque impensable. Pour beaucoup, le sphinx d’Etoudi est un highlander qui défie le temps.

Dans les cercles du pouvoir, chacun se prépare pourtant à l’inévitable : dans un jeu d’ombres et de successions (certains avancent que son fils aîné, Emmanuel Franck Biya, pourrait lui succéder), l’armée pourrait avoir finalement le dernier mot à ce qui reste finalement qu’une énième commedia d’ell’arte tropicale.  




Article précédent Schopenhauer et le monde comme il va: pourquoi il faut lire «Le Monde comme volonté et représentation» en 2025
Article suivant La petite croisade de Sophie Bessis
Journaliste , conférencier et historien.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération