Connue pour ses analyses critiques des grandes fortunes françaises, la sociologue Monique Pinçon-Charlot utilise désormais la situation climatique pour faire passer ses idées d’extrême gauche. Mais, à trop rendre responsables les riches de tous les maux de la Terre, elle sombre dans une vision complotiste et perd tout contact avec la réalité.

Les capitalistes voudraient exterminer plusieurs milliards de pauvres avec le réchauffement climatique ! C’est la thèse que défend la sociologue Monique Pinçon-Charlot. Par exemple, avec son mari Michel Pinçon, elle déclarait, dans le quotidien L’Humanité, en décembre 2019 : « Le dérèglement climatique dont les capitalistes, qui ont pillé les ressources naturelles pour s’enrichir, sont les seuls responsables, constitue leur ultime arme pour éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité devenue inutile à l’heure des robots et de l’automatisation généralisée. »
Puis, quelques mois plus tard, elle récidivait en déclarant, dans le documentaire Hold-Up sur la pandémie de Covid-19, que « l’on est dans une guerre de classes que les plus riches mènent contre les pauvres de la planète et […], comme les nazis allemands l’ont fait pendant la Deuxième, il y a un holocauste qui va éliminer certainement la partie la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire trois milliards cinq cents millions d’êtres humains, dont les riches n’ont plus besoin pour assurer leur survie ». Même si, par la suite, elle a dit regretter sa comparaison avec le régime nazi, elle n’est jamais revenue sur le fond de sa pensée. De quoi surprendre, pour une sociologue à la retraite, ancienne directrice de recherche au CNRS !
Des riches qui exploiteraient les pauvres !
Avant d’en arriver à ces prises de position détonantes, Monique Pinçon-Charlot s’était imposée, avec son mari Michel Pinçon, comme une figure de la sociologie des élites. Ensemble, ils ont consacré plusieurs décennies à explorer le monde de la grande bourgeoisie française : ses fortunes, ses stratégies de reproduction sociale, ses mariages endogamiques, ses quartiers préservés et ses clubs fermés. Dans des ouvrages devenus des classiques, tels que Dans les beaux quartiers (1989), Grandes fortunes (1996) ou Sociologie de la bourgeoisie (2000), ils ont tenté de montrer comment cette classe dominante, soudée et consciente de ses intérêts, cherchait à consolider son pouvoir au détriment des plus pauvres.
Mais, cette grille de lecture en termes de lutte des classes, déjà problématique au sein de la sphère sociale et économique, a fini par devenir la clé unique par laquelle Monique Pinçon-Charlot appréhende tous les problèmes du monde. C’est pourquoi, même quand elle aborde la question du climat, elle n’arrive pas à sortir de sa vision complotiste anti-riches, comme en témoigne son dernier ouvrage, Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique (2025).
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Déjà, dans ce livre, page après page, elle accuse de nouveau les riches et les capitalistes – sans que l’on sache à qui elle fait référence exactement – de vouloir exploiter le reste de la population. Elle estime ainsi que le « système capitaliste » permet aux premiers de « s’enrichir sans limite et oblige » les seconds « à se serrer toujours plus la ceinture ! » (p. 17). De même, elle estime que « les membres des dynasties familiales fortunées de la noblesse et de la grande bourgeoisie […] portent la responsabilité de nos difficultés à vivre dans la plénitude » (p. 15). Ou encore, elle accuse le capitalisme d’être « un ennemi commun à tous les peuples de la planète » (p. 71).
Mais confondant diatribe et analyse, jamais elle n’explique ce qu’elle entend par capitalisme. Puis, jamais elle ne reconnaît que les conditions de vie de l’humanité se sont considérablement améliorées depuis environ deux siècles, c’est-à-dire depuis l’avènement de ce que l’on a coutume d’appeler l’économie capitaliste. Aveuglée par sa haine des riches, elle oublie aussi de mentionner que cette amélioration est loin de n’avoir profité qu’à ces derniers. C’est dans toutes les couches de la société que la mortalité infantile a considérablement baissé et que l’alphabétisation, l’espérance de vie et le confort matériel ont fortement progressé. En outre, la proportion de gens très pauvres, loin d’avoir augmenté sous les coups de butoirs des classes dominantes, est celle qui s’est le plus réduite, notamment depuis la « mondialisation néolibérale » que Pinçon-Charlot honnit.
Des riches qui réchaufferaient la planète !
Poussée par sa vision manichéenne de la société, Pinçon-Charlot en vient alors à avancer que c’est « la classe dominante qui, depuis le sommet de l’État, continue à favoriser l’extraction des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz » (p. 10). Puis, au-delà des individus, elle soutient que c’est le « système capitaliste » qui porte la responsabilité du « chaos climatique » (p. 30). Elle va même jusqu’à considérer que « [l]’avenir de l’humanité est incompatible avec la logique du profit » (p. 70), c’est-à-dire, selon elle, avec le capitalisme. Aussi en vient-elle à déclarer que « le terme de capitalocène est le mot approprié pour désigner ce pillage généralisé de la planète, plus encore que celui d’anthropocène » (p. 12).
Cette accusation, même si Pinçon-Charlot n’est pas la première à la formuler, est – pour être charitable – étonnante, car il suffit de se tourner vers les régimes communistes du XXe siècle pour se rendre compte que les émissions de gaz à effet de serre et l’exploitation des ressources de la planète sont loin de caractériser uniquement les pays capitalistes. Quant à l’accusation que c’est la classe dominante qui est responsable du réchauffement climatique, elle oublie que c’est l’ensemble de la société qui profite du recours à des énergies fossiles, pour se chauffer, pour se déplacer, pour faire tourner ses machines, pour vivre mieux, etc. D’ailleurs, si demain un gouvernement décidait d’arrêter d’y recourir, le peuple descendrait très certainement dans la rue pour protester. Même augmenter les taxes sur ces énergies n’est pas facile à mettre en œuvre, comme l’épisode de gilets jaunes nous le rappelle.

Certes, en moyenne, les plus riches sont davantage responsables des émissions des gaz à effet de serre que les plus pauvres, que ce soit à l’échelle des individus ou des pays. Mais, contrairement à ce qu’avance Pinçon-Charlot, ce n’est pas par une indifférence plus grande à la situation climatique. Si les moins riches émettent moins, c’est juste par incapacité à consommer autant que les plus riches et nullement en raison d’une conscience plus aiguë du réchauffement climatique. Surtout, à travers leur consommation, ces derniers ne mènent pas une guerre de classe contre les premiers. Ils consomment juste à la hauteur de leurs moyens.
Quant à l’idée que le réchauffement climatique serait vu comme un moyen d’éliminer les plus pauvres, elle relève de la pure fabulation, dans la mesure où non seulement aucune information précise ne vient la corroborer, mais, en plus, elle est contredite par le fait que le nombre de victimes des aléas climatiques n’a cessé de diminuer depuis un siècle, au fur et à mesure que les sociétés s’enrichissaient, grâce aux énergies fossiles, et pouvaient donc mieux protéger leurs citoyens. Ces bienfaits des énergies fossiles ne signifient pas pour autant que l’on peut se permettre de continuer à les consommer de manière inconsidérée. Il faut savoir être raisonnable. Mais ils rappellent l’absurdité d’une croisade contre un enrichissement fondé sur les énergies fossiles, dans la mesure où, à ce jour, il a sauvé plus de vies qu’il n’en a détruites.
Des riches qui détruiraient le vivant !
Sur sa lancée, Pinçon-Charlot accuse aussi les plus riches de s’en prendre au vivant : « Cette oligarchie, aujourd’hui mondialisée, met à mal toutes les formes du vivant » (p. 12). Nous vivrions dans un monde où le vivant serait même en train de mourir ; qui plus est, ce serait une mort planifiée en cachette : « La mort du vivant est donc devenue notre pain quotidien. L’invisibilité d’une telle monstruosité est organisée à partir du secret, mais aussi de la diversité institutionnelle des intervenants afin d’ajouter des couches d’opacité pour que le quidam n’y comprenne rien et pire que ça, se sente analphabète, nul et incompétent devant la puissance des puissants ! » (p. 54). Aussi Pinçon-Charlot avance-t-elle que le « capitalisme est devenu incompatible avec le futur pour tous sur la planète » (p. 108).
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Or cette idée que les riches, ou qui que ce soit d’autre d’ailleurs, s’en prennent au vivant est absurde. Littéralement, elle signifierait qu’ils sont suicidaires ! Mais, même l’idée qu’ils seraient simplement responsables de la destruction de nombreuses formes vivantes ne tient pas la route. De fait, la plus grande cause de la baisse de la biodiversité est l’expansion des terres agricoles et l’étalement urbain. Or ce processus n’a rien à voir avec le mode de vie des riches. Il résulte tout simplement du développement d’une forme de vie particulière, à savoir l’humanité, permis – comme on l’a déjà dit – par le capitalisme et le recours aux énergies fossiles.
En tout cas, toute à sa haine des riches et, par association, de tout ce qui relève de l’industrie, Pinçon-Charlot s’en prend aussi aux pesticides et à l’agriculture industrielle (p. 12), et même aux OGM, qui « sous couvert de technologies modernes et de promesses d’un avenir radieux pour tous, [sont] aux mains d’“experts” au service des actionnaires de ces entreprises qui mettent en danger les humains et la nature avec des effets indirects sur le dérèglement climatique, puisque tout se tient et s’enchevêtre ! » (p. 48). Or ce fourre-tout accusatoire n’a, encore une fois, aucun sens.
Il est bien sûr légitime de s’inquiéter d’un trop grand usage de pesticides et de se méfier de promesses exagérées quant à la productivité agricole. Mais comment peut-on oublier que c’est la révolution verte au XXe siècle, fondée sur l’usage des pesticides, des engrais de synthèse et la sélection génétique, qui a permis de nourrir comme jamais auparavant la population humaine ? Si cette agriculture industrielle a, sans conteste, permis à certains investisseurs de s’enrichir, elle a surtout permis aux plus pauvres de ce monde de ne plus mourir de faim et, donc, à la population humaine de croître. Voir dans le développement de l’agrochimie un complot des riches contre les pauvres est donc absurde.
Enfin, après toutes ces accusations, on aurait pu penser que Pinçon-Charlot fasse l’effort d’offrir au moins une proposition concrète pour améliorer la situation du monde. Ce n’est pas le cas. Elle se contente de fustiger le « capitalisme vert » qui, selon elle, permet « aux dominants d’engranger toujours plus de dividendes au détriment de la vie sur Terre » (p. 35) et d’accuser « le développement durable » et « la neutralité carbone » d’être des « oxymores » (p. 137). Ce manque de proposition s’explique très probablement par l’idée que, si tous les problèmes viennent des riches, il suffit de leur faire la peau pour que tout aille bien dans ce monde. Inutile de dire que c’est le degré zéro de la réflexion politique.
Si l’emprise de la grille de lecture en termes de lutte des classes explique donc les dérives de Pinçon-Charlot, il reste toutefois à comprendre comment le CNRS, censé être le pinacle de la recherche française, a pu pendant des décennies laisser se développer, en son sein, ce genre de construction intellectuelle vide et potentiellement dangereuse. Mais cela est une autre histoire…
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