Robin Westman, auteur d’une fusillade dans une école catholique de Minneapolis, a laissé derrière lui des écrits révélant une grande fragilité psychologique et une transition de genre qui ne lui avait pas apporté de stabilité. Mis en parallèle avec le cas d’Aidan Hale, en 2023 à Nashville, son parcours nourrit les réflexions sur la part que peuvent jouer troubles personnels, contexte culturel et militantisme dans certains passages à l’acte violents.
Le 27 août, un mercredi, juste avant 8h30 du matin, un tireur vêtu de noir, armé d’un fusil, d’une carabine et d’un pistolet, s’est positionné sur le côté de l’église catholique de l’Annonciation, située dans la banlieue résidentielle de Windom, dans la ville de Minneapolis. A cette heure-là, des enfants, âgés de 6 à 15 ans, élèves de l’école attachée à l’église, assistaient à une messe programmée pour marquer la première semaine de la rentrée. Suivant un plan d’attaque préétabli, l’individu armé s’est mis à tirer de nombreuses fois à travers les fenêtres, laissant derrière lui 116 cartouches usagées. Le bilan final de ses victimes, qu’il n’a jamais vues, comprend deux enfants morts – un garçon de 8 ans et une fille de 10 ans – et 21 blessés, dont 18 enfants et trois adultes de 80 ans. Le tireur s’est enfin donné la mort d’une balle de fusil. Par la suite, les autorités ont annoncé l’identité de l’assassin. Ce dernier s’appelait Robin Westman, était originaire du coin et, bien que né un garçon prénommé Robert, avait changé de nom légalement en 2020 car, selon les archives du tribunal qui a enregistré le changement, « cet enfant mineur s’identifie comme femelle et veut que son nom reflète cette identification ».
Les auteurs de fusillades dans les écoles – si nombreuses aux États-Unis qu’on les appelle tout simplement « school shooters » (shooter = tireur) – ont des profils différents. Un des premiers, en 1979, était une jeune femme de 16 ans, Brenda Spencer, qui vivait en face d’une école primaire à San Diego, en Californie. Après avoir tué deux adultes et blessé huit enfants et un policier, elle a expliqué son geste, par lequel elle avait commencé la semaine, en disant : « Je n’aime pas les lundis », paroles qui ont inspiré le tube des Boomtown Rats, « I don’t like Mondays ». A l’école secondaire de Columbine, dans le Colorado, en 1999, deux garçons blancs, de 18 et 17 ans, ont tué 13 élèves et un enseignant et blessé 23 personnes, avant de se donner la mort. Ce crime abominable a fourni le sujet d’un documentaire, Bowling for Columbine, du réalisateur progressiste, Michael Moore, et une fiction, Elephant, réalisée par Gus Van Sant. A l’école primaire de Sandy Hook, dans le Connecticut, en 2012, un jeune homme blanc de vingt ans a fait 27 morts, dont 20 enfants âgés de six et sept ans. Ayant préalablement tué sa propre mère à la maison, il s’est donné la mort. L’assassin de Minneapolis doit être rangé dans la nouvelle catégorie des « tueurs trans » (« trans shooters »), catégorie où il, ou « elle », n’est pas seul. Y a-t-il un lien entre le transgenrisme et la violence dans certaines circonstances particulières ? C’est ce que suggère le gouvernement américain. Selon le directeur du FBI, le crime de Westman constitue un acte terroriste et un crime de haine contre les catholiques. Robert Kennedy, l’équivalent de notre ministre de la Santé, a annoncé une enquête pour savoir si les médicaments pris par le tueur auraient pu influencer son équilibre mental. Et le département de la Justice serait en train de réfléchir à des mesures pour limiter l’accès légal des trans aux armes à feu. Jesse Watters, un animateur de la chaîne conservatrice, Fox News, est allé jusqu’à affirmer que la gauche instrumentalise les enfants transgenres, les transformant en guerriers culturels prêts à attaquer églises, écoles et Donald Trump. S’il est facile d’exagérer la force des liens entre transgenrisme et violence, de tels liens existent, tout en demeurant assez complexes.
Trans shooter 1
La motivation de la « tueuse » trans de Minneapolis est difficile à discerner, bien qu’elle ait laissé – ou parce qu’elle a laissé – un journal manuscrit et des notes abondantes. Certaines pages ont été exhibées comme une sorte de manifeste dans une vidéo postée par Westman sur YouTube mais que les autorités ont enlevée après l’attentat. Dans ses écrits, on trouve surtout un individu à la santé mentale très fragile, pour qui la décision de devenir une femme n’a pas vraiment apporté de soulagement. Elle écrit même : « Je suis fatiguée d’être trans et regrette de m’être persuadée par un lavage de mon propre cerveau ». Ailleurs : « Je sais que je ne suis pas une femme, mais je ne me sens certainement pas un homme ». Une amie avec qui elle a rompu toute relation était une « furry », une de ces personnes qui se déguisent en animal ou plutôt en grande peluche. Westman avoue envier ces « furries » car ils peuvent se donner un nouveau corps et un nouveau visage. On devine que cet individu se sentait plus que mal dans sa peau et que sa transition n’était que l’expression de son instabilité mentale et de son inadaptation sociale. Le problème est que l’annonce d’une transition de genre est toujours accueillie dans les milieux progressistes jeunes comme un acte de courage insigne. C’est quelque chose de positif à célébrer plutôt que le symptôme potentiel d’un déséquilibre psychologique.

Globalement, les écrits de Westman sont loin de constituer un manifeste structuré. Ce sont plutôt des divagations incohérentes et contradictoires qui expriment sa haine pour des groupes différents – les juifs, les Noirs, les Mexicains, les chrétiens et Donald Trump. Bref, il détestait tout le monde sans aucun véritable programme politique. Pourquoi a-t-il choisi cette école catholique ? En l’occurrence, il y avait été élève et sa mère y avait travaillé. Mais dans ses écrits on ne trouve aucun grief formulé contre l’établissement. Il a sélectionné ce dernier parce qu’il représentait une cible facile. A ses yeux il offrait « une bonne combinaison d’une attaque facile et d’une tragédie dévastatrice ». Dans son esprit instable, il se voyait comme tout puissant face à ces petits chrétiens incapables de se défendre. Il voulait être « le monstre effrayant et terrifiant qui les domine ».
S’il existe donc un lien entre le transgenrisme de Westman et sa fascination pour la violence, c’est dans son cerveau troublé qui brasse de manière chaotique différents éléments appartenant à une contre-culture radicale, à des discours divers de haine politique et à sa propre inadaptation sociale. Un mélange similaire se retrouve chez son précurseur, le premier « trans shooter » qui était déjà passé à l’acte en 2023…
Trans shooter 2
Le 27 mars de cette année-là, peu après 10h30 du matin, Aidan Hale, 28 ans, entre par effraction dans une école primaire attachée à une église presbytérienne située dans une banlieue de la ville de Nashville, dans le Tennessee. Il tue trois enfants de neuf ans et trois adultes, laissant derrière lui 152 cartouches usagées, avant d’être descendu par la police. Hale, né une fille sous le nom d’Audrey, avait fait une transition de genre annoncée sur Facebook l’année précédente. Entre 2020 et 2022, Hale avait acheté en toute légalité plusieurs armes à feu et, comme Westman, avait planifié son attaque longtemps à l’avance. Comme Westman, il a laissé un grand nombre de journaux et de documents écrits : plus de mille pages réparties dans 16 carnets. Les autorités n’ont pas voulu rendre publiques les élucubrations du tueur. Sa famille, qui a hérité de la propriété de ces textes, l’a transférée aux parents des victimes qui se sont toujours opposés à leur publication. Pourtant, suffisamment de pages ont fuité dans les médias pour donner une bonne idée de l’état d’esprit de l’assassin. Hale souffrait de problèmes de santé mentale depuis son enfance. Sa transition était encore une expression de son instabilité, expression rendue possible par la contre-culture ambiante. Comme Westman, Hale avait été élève à l’école qu’il a attaquée et comme ce dernier n’a formulé aucun grief contre l’établissement : elle (car à 10 ans il était encore une fille) y aurait été plutôt heureuse. Comme Westman, il a choisi sa cible pour sa vulnérabilité. Selon ses notes, les petites victimes seraient « dociles et craintives » et leur mort tragique donnerait plus de notoriété à leur tueur.
Si Westman a été inspirée par l’exemple de Sandy Hook, Hale l’a été par celui de Columbine. Ici, se dessine une motivation qui se rapproche clairement du complexe d’Érostrate, du nom de ce berger de la Grèce ancienne qui a incendié le temple d’Artémis à Éphèse uniquement pour se rendre célèbre. Dans le cerveau enfiévré de Hale, il s’agissait d’infliger le plus de mal possible afin d’atteindre à la célébrité. Il imaginait que son acte donnerait lieu à des livres, à des documentaires et même à un musée où seraient exposées ses armes à feu, ainsi que des objets liés à d’autres fusillades. Hale voulait donner un sens à sa vie, avant de mourir, en ôtant la vie à d’autres. Plus le nombre de victimes serait élevé, plus le tueur aurait de notoriété, augmentant ses chances d’atteindre à une forme d’apothéose. Mais les termes dans lesquels il exprimait sa haine de ses futures victimes empruntaient beaucoup au vocabulaire de la justice sociale. Il disait détester ces « petits salauds de Blancs » (en anglais, « crackers », un terme d’opprobre pour les Américains d’origine européenne) avec leurs « privilèges blancs ». Il voulait « tuer ma propre race » et se focalisait uniquement sur des enfants blancs afin de ne pas être accusé de racisme. Ainsi, sa motivation devait être en quelque sorte pure pour justifier l’apothéose espérée.
Grand soir ou jour de vengeance ?
L’exemple glaçant de ces deux cerveaux malades montre qu’ils n’obéissaient pas à quelque programme politique révolutionnaire, mais que leur délire recyclait des fragments et des slogans appartenant à un tel programme qui restait associé, de près ou de loin, à leur transition de genre.
Il est possible de dresser une certaine catégorisation des personnes transgenres en termes de leur engagement – ou non – en faveur d’une cause politique et sociale.
A cet égard, quatre groupes très généraux, aux frontières parfois floues, deviennent visibles :
- Il y a les « transsexuels », comme on disait autrefois, c’est-à-dire surtout des hommes qui ont féminisé leur corps, au moins partiellement, afin de servir de prostituées. Il s’agit d’une catégorie de personnes qui sont présentées avec beaucoup de sympathie et de compréhension par notre collègue, Yannis Ezziadi, dans le reportage qu’il a réalisé dans le Bois de Boulogne cet été et qui est publié dans le numéro actuel de Causeur. Ces personnes représentent une tradition qui antédate l’idéologie contemporaine du transgenrisme. Elles exercent aussi une profession très dangereuse : quand on cite les statistiques de transgenres assassinés dans le monde, la vaste majorité ne sont pas des militants ou des bourgeois, mais des prostituées au Brésil ou au Mexique.
- Il y a quand même des adultes qui choisissent librement de transitionner pour se sentir pleinement eux-mêmes, et qui transforment leur corps en conséquence. Il s’agit encore une fois d’une tradition qui remonte au moins aux années 1970. Un exemple plus récent serait l’ancien sportif américain de haut niveau, William Bruce Jenner, qui a fait son coming out trans en 2015 comme Caitlyn Jenner. Son transgenrisme ne l’a pas empêché d’être un candidat républicain ou de travailler pour Fox News.
- Il y a ceux pour qui leur transition de genre est inséparable de leur engagement en faveur de la « justice sociale », autrement dit une lutte contre le capitalisme, le colonialisme, le racisme, le patriarcat et – inévitablement – Israël. Dans certaines circonstances, cette lutte embrasse des formes plus violentes justifiées par le supposé besoin de combattre le « fascisme », c’est-à-dire la société occidentale contemporaine. Ce sont les personnes de cette catégorie qui veulent convertir d’autres personnes, surtout les jeunes, au transgenrisme.
- Enfin, il y a les personnes qui transitionnent parce qu’elles sont psychologiquement fragiles, mal adaptées à la vie en société ou incapables d’assumer leur sexualité. Étant vulnérables, ces personnes peuvent subir l’influence de celles de la catégorie précédente, les activistes.
Il devrait être évident que, si le transgerisme représente un danger potentiel pour la société, c’est à travers les acteurs des deux dernières catégories, et non ceux des deux premières. Les liens entre le transgenrisme et certains militants ultraradicaux, notamment antifascistes ou « antifa », ont été révélés par les nombreux travaux d’Andy Ngo, l’auteur de Démasqués. Infiltré au cœur du programme antifa de destruction de la démocratie. En 2023, la revue américaine Newsweek a parlé d’un mouvement qu’elle a baptisée du nom de « trantifa » qui combine les militantismes transgenre et antifasciste. De manière régulière, les activistes, particulièrement les femmes trans (auparavant des hommes), menacent de violences voire de mort les féministes qui militent pour la protection des droits des femmes, celles qui, comme Dora Moutot ou Marguerite Stern en France, auteurs de Transmania, sont traitées par les idéologues trans de « TERF » (« Féministes radicales excluant les personnes trans »).
Pourtant, il existe aussi toute une imagerie violente qui entoure certaines expressions de l’activisme trans. En 2010 a été lancé une Journée internationale de visibilité transgenre qui, tous les 31 mars, est censée être l’occasion de célébrer la libération moderne des personnes trans. Depuis, cet événement a été détourné par des groupes anarchistes et anticapitalistes pour en faire, non le « Trans Day of Visibility » mais le « Trans Day of Vengeance », la « Journée de la vengeance trans ». Ce détournement a probablement commencé avec un EP, comportant cinq chansons, sorti aux États-Unis en 2016 et encensé par les critiques spécialistes de la musique contemporaine. Il s’agit de Trans Day of Revenge du groupe G.L.O.S.S. (Girls living outside society’s shit – « Filles qui vivent en dehors de la merde de la société ») qui, par exemple, détourne le titre de John Lennon, « Give peace a chance » pour en faire « Give violence a chance ». Le message de tous les morceaux est clair : face à la transphobie, une attitude pacifiste est inexcusable, il faut que les trans persécutés réagissent à la violence par la violence.
Fin mars 2023, après l’attentat de Nashville, le réseau social X a effacé des milliers de posts parlant de la Journée de la vengeance trans. Une manifestation portant ce titre qui devait avoir lieu le 31 devant la Cour suprême à Washington a été annulée. La proximité dans le temps de l’attentat et de l’imagerie véhiculée par une telle Journée de vengeance était beaucoup trop problématique. Mais depuis, le 31 mars est régulièrement détourné par des activistes radicaux aux États-Unis, au Canada, en Australie ou en France. Par exemple, à Montréal cette année, une foule de manifestants (jusqu’à 700, selon une revue en ligne publiée par des étudiants de l’université de Concordia), portant masques et keffiehs, a bombardé la police de projectiles et de peinture et vandalisé la façade du siège social du groupe de médias, Québecor. Tous les groupes radicaux derrière ce genre d’événement ont les mêmes éléments de langage : il faut lutter contre des « génocides », « la montée du fascisme », « le modèle de famille patriarcal » et la « fascisation de l’Occident ». Leur slogan de base annonce que la solution, ce n’est pas la visibilité mais la violence. Les défenseurs de l’idéologie transgenre prétendent que le terme, Journée de la vengeance trans, a été instrumentalisé par l’extrême-droite pour faire croire que les militants trans sont plus violents qu’ils ne le sont. La violence serait « symbolique », mais il est clair qu’il y a une scission au sein des militants entre ceux qui sont pacifiques et ceux qui croient à la violence, et qui traitent les premiers d’« assimilationnistes » et d’« innocentistes ».
Un culte mortifère
Dans ces milieux radicaux, le transgenrisme offre aux Blancs et surtout aux hommes une opportunité inespérée pour faire partie d’une minorité persécutée. Dans la rhétorique pratiquée par les militants, il y a une supposition implicite selon laquelle les trans constitueraient l’avant-garde même de la lutte contre les capitalistes, les hétéros et tutti quanti.
On objectera que ces milieux sont marginaux, mais ils constituent des réseaux qui sont partout en Occident et leur langage violent, ainsi que leur doctrine transgenre, peuvent toucher et même enflammer les esprits de personnes plus fragiles sur le plan psychologique.
Un exemple préoccupant est celui du groupe des « Zizians », une demi-douzaine de jeunes trans américains responsables d’un certain nombre de morts et d’actes de violence. En novembre 2022, le propriétaire d’un parc de maisons mobiles en Californie a été sérieusement blessé au cours d’un affrontement avec trois locataires. Ces derniers, tous trans ou non-binaire et végans, avaient l’habitude de se promener nus mais armés jusqu’aux dents. En janvier, cette année, le proprio, qui devait témoigner au tribunal, a été assassiné, probablement par un copain d’une des trois. Ils étaient tous disciples d’une sorte de chef de secte, Jack « Ziz » LaSota, un (ou une) trans obsédé par un combat entre le Bien et le Mal qui aurait lieu à l’intérieur de chaque cerveau humain. Fin 2022, à Philadelphie, deux parents ont été tués chacun d’une balle dans la nuque. Leur fille non-binaire, disciple de « Ziz », est accusée des meurtres. Fin janvier, cette année, près de la frontière avec le Canada, deux autres trans disciples de « Ziz » ont tué un policier, avant que les forces de l’ordre n’abattent l’une d’entre elles et arrêtent l’autre. Ici, nous voyons le transgenrisme transformé en culte permettant à un individu charismatique mais perturbé d’exercer une influence néfaste sur d’autres personnes plus fragiles encore. Comme dans les exemples des deux « trans shooters », dont le plus récent de Minneapolis, l’élément de l’idéologie transgenre susceptible de faire le plus de ravages est celui qui prône une opposition irréductible à tout ce qui est « normal ». Cet aspect doit être extirpé du transgenrisme si l’on veut non seulement favoriser l’intégration des personnes trans dans la société, mais aussi prémunir celle-ci contre les dérives violentes d’un militantisme sectaire d’extrême gauche.
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