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Un faible pour la Palestine

L’éditorial de septembre d’Elisabeth Lévy


Un faible pour la Palestine
Elisabeth Levy © Hannah Assouline

Je m’étais promis de parler d’autre chose. Non pas que la mode antisémite qui se répand, avec ses vieux habits neufs, dans les milieux progressistes d’Occident ne m’inspire pas de l’effroi, du chagrin et surtout une énorme rage contre tous les tartuffes qui depuis des décennies ânonnent « plus jamais ça », aussi féroces avec les antisémites d’hier qu’ils sont aveugles ou complaisants avec ceux d’aujourd’hui. De l’Europe à l’Australie, la haine des juifs planquée derrière la détestation de l’État juif ne se contente plus d’agresser les porteurs de kippa ou d’étoiles de David, elle s’emploie à les exclure de l’espace public. Des touristes israéliens sont chassés de restaurants, des enfants refoulés d’un centre de vacances, un chanteur prié de ne pas se produire dans un festival. Certains abrutis abattent même les arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi – qui n’avait rien à voir avec Gaza. Sans doute s’agissait-il d’arbres sionistes. Et qu’on ne croie pas que les adeptes du Judenrein se cachent, au contraire, ils se font une gloire de purifier l’atmosphère. Rien d’étonnant dès lors que, comme le résume Georges Bensoussan, le peuple-génocide a remplacé le peuple déicide. Contre les génocidaires, tout est permis, non ? N’empêche, aussi sombre soit ce tableau, il n’y a pas que les juifs et les antisémites dans la vie. Or, beaucoup de juifs, accaparés par leur propre malheur, oublient que des millions de leurs compatriotes, qui ne vivent pas à l’heure de Tel-Aviv et de Gaza, ont bien d’autres raisons de désespérer de la France. Et eux n’ont pas d’Israël. Seulement, pas moyen d’échapper à la judéobsession magnifiquement décryptée par Guillaume Erner[1]. Pas seulement à cause de la litanie d’agressions perpétrées par amour des enfants de Gaza, mais parce que la question juive est désormais au cœur d’affrontements diplomatiques et de chicayas politiques. C’est à qui sera le meilleur ami des juifs – les séfarades, répond une vieille blague. La rue juive française applaudit Netanyahou quand il accuse Emmanuel Macron « d’alimenter le feu antisémite » et encense Trump qui, par ambassadeur interposé, reproche au chef de l’État de le combattre trop mollement. La rue juive a tort. D’abord, ce calinage victimaire vise moins à aider les juifs qu’à emmerder Macron. Ensuite, aucun Français ne devrait se réjouir de voir son pays humilié par ces mauvaises manières. Enfin, accepter de se placer sous protection étrangère, c’est jouer la partition de la dénationalisation qui est depuis toujours celle des antisémites. Certes, beaucoup de juifs songent au départ, sinon pour eux, pour leurs enfants. En attendant, ils sont des citoyens français. Emmanuel Macron est peut-être un piètre dirigeant, mais c’est le nôtre. C’est à nous – nous les Français – de lui demander des comptes. Qu’on nous laisse nous quereller tranquilles, les motifs ne manquent pas. Depuis le 7-Octobre, le président a commis plusieurs fautes graves  : son absence à la manifestation de novembre 2023, inspirée par le grand philosophe Yacine Belattar qui lui a fait valoir que sa présence énerverait les quartiers, son consternant bredouillage sur l’histoire qui tranchera quand on lui demande s’il faut parler de génocide et enfin, son annonce intempestive de la reconnaissance sans condition de l’État palestinien, qui est, qu’il le veuille ou non, une victoire pour le Hamas et les islamistes du monde entier. Macron a le droit de penser, comme des millions d’Israéliens, que la politique de Netanyahou conduit à la catastrophe. Pour une fois, on aurait aimé qu’il fasse du en même temps. S’il croit devoir dénoncer la « fuite en avant meurtrière et illégale » d’Israël à Gaza, il devrait fustiger l’influence nocive et honteuse de l’islamisme dans son pays. Tout en observant que les Français ne l’écoutent plus, beaucoup lui reprochent aussi d’être trop silencieux, comme si sa parole avait un pouvoir performatif. En réalité, le président aurait-il participé à la manifestation et récusé l’accusation de génocide que cela n’aurait pas changé grand-chose. En effet, si Emmanuel Macron est coupable, ce n’est pas de complaisance, mais d’impuissance. Ce n’est pas lui qui nourrit le feu antijuif. En tout cas pas plus que tous ceux qui, depuis des décennies, refusant de mettre des mots sur le mal, ont encouragé l’arrivée de millions de gens venus de pays où la haine des juifs est une norme. En supposant que seulement 10% de ces nouveaux arrivants trimballent leurs mauvais affects avec eux, ça fait beaucoup d’antisémites accueillis à bras ouverts. Et ça ne va pas s’arranger avec l’arrivée des Gazaouis, désormais tous éligibles au statut de réfugié grâce à la Cour nationale du droit d’asile. Quand on sait ce qu’ils apprennent à l’école, on peut s’attendre à voir débarquer d’aimables admirateurs d’Hitler, à l’image de la gracieuse étudiante de Sciences-Po Lille dont on se demande bien pourquoi on a pris la peine de l’expulser si c’est pour faire venir ses clones. Ce ne sont pas les militants célébrant la libération de Georges Ibrahim Abdallah ni les festivaliers applaudissant le groupe irlandais Kneecap, soutien du Hezbollah, qui se sentent de plus en plus indésirables en France, mais les détenteurs de passeports israéliens, les porteurs de prénoms hébraïques, les fidèles des synagogues. Quand tant de regards leur disent « Interdit aux juifs », on attend que la République placarde à ses frontières un avis proclamant que la France est interdite aux antisémites.

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[1] Guillaume Erner, Judéobsessions, Flammarion, 2025

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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