La mairie communiste de Vénissieux (69) vient de baptiser un bâtiment public du nom d’Annie Steiner, une ancienne agent de liaison du FLN pendant la guerre d’Algérie.
1er novembre 1954. En ce jour de la Toussaint, que l’on qualifiera tantôt de rouge, une trentaine d’attentats (assassinats, embuscades, engins explosifs, incendies…) perpétrés par des indépendantistes algériens tue dix personnes sur l’autre rive de la Méditerranée. Un chauffeur de taxi de confession juive figure parmi les victimes, tout comme un jeune couple d’instituteurs français qui s’est porté volontaire pour enseigner dans l’arrière-pays. Extirpés de leur autocar à l’aube, quelque part dans les gorges de Tighanimine, Jeanine et Guy Monnerot sont mitraillés à bout portant par des fellaghas et abandonnés sur le bord de la route1. La guerre d’Algérie vient de commencer.
Engagée
À Alger, la nouvelle des attaques enthousiasme Annie Steiner. « Ce jour-là, j’étais à la maison, confiera-t-elle dans sa biographie. Il y avait mon mari, deux amis et moi. Spontanément, j’ai applaudi. Mon mari et Roland Simounet, un architecte originaire de Aïn Benian, ont souri. Mais l’autre invité a mal réagi et m’a dit : “Tu applaudis à des assassins ?” Je lui ai répondu : “Oui”. Je ne l’ai plus revu… » Cette fille de pieds-noirs, qui passe ses journées dans les centres sociaux pour soigner et alphabétiser les plus défavorisés, offre aussitôt ses services au Front de libération nationale. « Jusqu’où êtes-vous prête à travailler pour le FLN ? », lui demande-t-on. « Je m’engage totalement », répond-elle.
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La jeune Française officie dès lors comme agent de liaison du « réseau bombes » de Yacef Saâdi, qui orchestre une série d’attentats dans les lieux publics de la capitale algérienne : bars, restaurants, hôtels, stades, arrêts de bus, discothèques… Des enfants figurent parmi les victimes civiles, qui se comptent par dizaines. Pendant ce temps, Annie Steiner consacre désormais ses journées au service d’un laboratoire clandestin de fabrication de bombes. Elle traverse discrètement la ville en portant son bébé sur un bras, des produits chimiques ou des notices sur la confection d’explosifs dans l’autre. Arrêtée en octobre 1956, la « Moudjahida » est condamnée quelques mois plus tard par le Tribunal des forces armées d’Alger à cinq ans de réclusion pour aide au FLN. Privée de la garde de ses deux filles par une juridiction helvétique (son mari, Rudolf Steiner, étant suisse) à sa sortie de prison, elle termine sa vie en Algérie, dont elle acquiert la nationalité après l’indépendance. Elle occupera pendant trente ans un poste important au secrétariat général du gouvernement.
Choix assumé
C’est donc tout naturellement que la mairie communiste de Vénissieux a donné la semaine dernière le nom d’Annie Steiner à son nouveau bâtiment plurifonctionnel flambant neuf, financé en partie par l’État à hauteur de 1,7 million d’euros. « C’est un choix politique assumé, réfléchi et responsable, il va avec l’Histoire de la ville qui a un passé anticolonialiste. Nous travaillons depuis des années pour une mémoire apaisée », déclare à l’AFP Michèle Picard, la maire de cette commune de la banlieue de Lyon, qui compte une importante communauté maghrébine. Une décision qualifiée d’« extrêmement contestable » par la préfecture du Rhône, qui a refusé de participer à l’inauguration de l’édifice et de se plier à cette nouvelle mode en vogue, notamment à gauche.
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En juillet dernier déjà, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis rebaptisait la maison du parc de la Bergère de Bobigny du nom d’une autre combattante du FLN, Danièle Djamila Amrane-Minne. Pour apaiser là encore les mémoires ? Fille et belle-fille de militants communistes, Danièle Amrane-Minne s’engage dès l’âge de 16 ans aux côtés des rebelles indépendantistes contre son pays natal. Sous le nom de guerre de « Djamila », elle intègre un commando de femmes chargé de semer la terreur parmi les colons en posant des bombes dans les lieux fréquentés d’Alger. Elle participe notamment au triple attentat du FLN dans le quartier européen de la capitale algérienne : le 26 janvier 1957, trois déflagrations quasi simultanées dans des cafés de la rue Michelet causent la mort de quatre civils (toutes des femmes) et en blessent une cinquantaine, dont plusieurs grièvement. L’engin explosif dissimulé dans la chasse d’eau des toilettes de la brasserie Otomatic par « Djamila » ne fait toutefois qu’une blessée, transportée d’urgence à l’hôpital. Arrêtée quelques mois plus tard, la Française est condamnée à sept ans de prison, avant d’être amnistiée en 1962. « Le nom de Danièle Djamila Amrane-Minne reflète à lui seul les liens inextricables, les liens intimes, familiaux, entre le peuple algérien et le peuple français », déclame lors de l’inauguration le président socialiste du département, Stéphane Troussel. Le bâtiment est vandalisé au bout de deux semaines, puis incendié un mois plus tard. Sans doute l’œuvre de barbares, bientôt passés de mode.
- Jeanine Monnerot survivra à ses blessures, mais pas son mari. Un autre passager du car, le caïd Ben Hadj Sadok, est lui aussi abattu par les fellaghas alors qu’il s’oppose à l’assassinat du couple français. ↩︎
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