Lectures de plage: marque-page n°10
Un Être petit serait-il nécessairement un petit être ? Point indigne de Hamlet, cette question taraude Claude-Alain Arnaud, jeune auteur cinéphile dont les 77 ans révolus n’ôtent rien à l’agilité juvénile de sa prose, dans la meilleure tradition gauloise qui demeure l’immarcessible marque de fabrique littéraire des éditions Le Dilettante (souvenez-vous, par exemple, de La Campagne de France, ou du Front russe, deux textes irrésistibles signés de l’auteur « maison » Jean-Claude Lalumière, et que votre serviteur vous invite au passage à redécouvrir)…
Fiasco pédagogique
Dans cette même veine élégamment caustique, Monsieur Mouche s’attache aux pas de cet agrégé de français-latin-grec affligé, outre le ridicule de ce patronyme diptérique, d’une vue déficiente et d’une taille lilliputienne, mais exposé, surtout, au martyre sans gloire consistant, en 2025, à tenter d’enseigner les belles-lettres à une de ces méchantes classes d’adolescents bigarrés, analphabètes, rivés au Web dont nos consternantes banlieues – ici, Champigny-sur-Marne – sont le siège : « Insultes, menaces, pneus crevés ponctuaient ces années qualifiées de scolaires de façon abusive ».
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Objet de toutes les humiliations, seul et solitaire, le professeur Mathieu Mouche, dans une vaine tentative de résistance belliqueuse, se fracture par accident le petit orteil gauche : « son désarroi ontologique, ses chagrins d’amour, son fiasco pédagogique, tout s’était logé là, dans ce pauvre appendice tuméfié ». Souffre-douleur de l’humanité grossière, l’infirme humaniste, myrmidon érudit et dévoué à sa tâche, concentre sur sa personne toutes les avanies : Philippe Massot le vieux voisin voyeur et cancanier ; Thomas Fabri le bidochon qui assourdit le quartier de son rock industriel à hauts décibels ; Richard Comte, pater familias d’une sauvagerie sans limites envers sa jeune femme Sophie et leurs enfants ; sans compter, en sus de ce voisinage pavillonnaire singulièrement infect, Rémi Pastre, le caïd de terminale qui chahute sadiquement un prof toisé par le mépris insolent que lui voue Thierry Larsson, le Conseiller Principal d’Education (CPE) du lycée… De cet enfer quotidien à quoi la torture claudicante ajoute son comptant de souffrance podologique, l’improbable destin se chargera de tirer Mathieu, soudain reconquis contre toute attente à la ferveur de ses élèves, tandis qu’attentif mais bienveillant le lieutenant Lopez enquête sur une série d’accidents à la coïncidence suspecte : ils en viennent à liquider tour à tour ces suppôts de Satan, comme par un pacte salvateur passé entre le Diable et Monsieur Mouche !
Facéties
Délectable lecture d’arrière-saison que ce roman d’un peu plus de cent pages scénarisées comme un polar de la grande époque – Chabrol n’est pas loin -, troussées avec un sens aigu du pince-sans-rire, de la dérision sarcastique et du détail mordant, dans une langue facétieuse qui sait conjuguer l’humour acide à l’élégance fruitée d’un qui connait ses classiques.
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Un exemple entre cent : « Lorsque la sonnerie de 9 heures libéra enfin les élèves, les garçons quittèrent les lieux avec un roulement d’épaules et une élasticité des membres étudiés, tandis que les filles consultaient fébrilement leur smartphone. Mathieu, lui, demeurait immobile sur sa chaise, le regard distrait par la grande carte du Royaume-Uni et les photos de Londres punaisées sur un panneau de liège.[…] Mathieu avait toujours rendu service volontiers, se compliquant la vie pour simplifier celle des autres. Il n’était pas apprécié pour autant, beaucoup lui tenant rigueur de l’écho que son chahut trouvait dans leurs propres classes, d’autres l’estimant désuet, emprunté, cérébral, en un mot ‘’inadapté’’ ou en plusieurs ‘’ vraiment pas fait pour ce métier’’. Seul un vieil inspecteur d’académie, farouche défenseur du latin-grec, avait reconnu ses mérites mais, depuis son départ, nul, pas même un parent d’élève, n’avait salué ses efforts et sa bienveillance.
-M’sieur, on rentre ?
Un élève de seconde piaffait sur le seuil de la salle »… Bien enlevé, non ?
Monsieur Mouche, de Claude-Alain Arnaud. Roman, 126 p. Le Dilettante,2025.
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