La mémoire est la sentinelle de l’esprit.
William Shakespeare (Macbeth).
Je suis choqué, vraiment choqué, de découvrir qu’on joue de l’argent ici !
Le capitaine Renault dans Casablanca.
Ce samedi le 23 août, le maire LR de la commune méridionale Saint-Raphaël (Var), Frédéric Masquelier, a inauguré une stèle dénonçant le « totalitarisme communiste », qui se trouve en bonne compagnie, dans le même espace où deux autres stèles rendent hommage aux martyrs de la Résistance et aux juifs de France. Le parti communiste français, pour sa part, déchire sa chemise et hurle son indignation, notamment en manifestant avec des affidés, devant la mairie; il dénonce vertement une manœuvre électoraliste et se déclare (oui) « scandalisé » par cet « amalgame » car son parti a dénoncé depuis longtemps les crimes de Staline… après les avoir niés mordicus car il ne fallait surtout pas « désespérer Billancourt »; le parti du centralisme démocratique est bien connu pour sa transparence, réactivité et surtout proactivité sur le plan de l’auto-critique (comme certaines autres institutions à vocation universelle et prétendant aussi détenir le monopole de la vérité, en matière d’abus sexuels).
Impasse Karl Marx
Pourtant, cet événement se tient dans le cadre de la journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme et la date du 23 août est parfaitement choisie puisque c’est celle de la signature du pacte germano-soviétique de 1939. Tous les totalitarismes sont donc visés, pas seulement le communisme.
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Mais l’on reconnaît là le devoir de mémoire sélectif d’une certaine gauche. Il est difficile d’exclure des velléités électorales de la part des mairies qui baptisent des rues en l’honneur de Maxime Gorki, de Salvador Allende, encore que baptiser des impasses du nom de Karl Marx serait entièrement justifié. De surcroît, l’on peut compter sur l’ex-professeur de philosophie Jean-Luc Mélanchon pour rappeler inlassablement, comme de juste, les crimes de la colonisation et de l’impérialisme.
(Ces derniers temps, on parle beaucoup par exemple, des relations difficiles entre l’Algérie et la France. En matière d’histoire occultée, il faut noter ce détail piquant : le PCF n’avait que mépris pour la notion d’indépendance de l’Algérie, partie intégrante de la métropole. En 1956, c’est le gouvernement du très socialiste Guy Mollet qui fit adopter la loi sur les « pouvoirs [dits] spéciaux » – on appréciera l’euphémisme – à l’Assemblée nationale, laquelle donna en pâture à l’armée ce territoire où sévissait la rébellion et le terrorisme, loi soutenue sans réserves par les députés communistes. Et c’est le même Guy Mollet qui « couvrit » l’usage de certaines techniques d’enquête, et notamment d’interrogatoire, moins étroitement corsetées par les classiques, mais tatillonnes contraintes procédurales; techniques d’ailleurs déjà bien éprouvées derrière le rideau de fer. Cependant, il y eut ultérieurement revirement anticolonial chez les communistes… sur ordre de la maison-mère à Moscou).
Négationnisme
Jeter la pierre sur l’ennemi fait partie depuis toujours du jeu politique et les calculs compensatoires comptables des crimes sont probablement de bonne guerre, même si des additions seraient préférables aux soustractions. Mais il y a parfois rupture plus grotesque du principe d’égalité des armes. Rappelons qu’en France, est pénalement réprimée la dénégation des crimes nazis en raison d’une loi pire qu’inutile, liberticide, adoptée à l’initiative du député totalitaire communiste Jean-Claude Gayssot, qui a consacré ce délicieux néologisme de « négationnisme ». Cependant, chacun demeure, en l’état actuel du droit français, entièrement libre de « négationner », ou de relativiser, l’horreur du goulag; peut-être un « point de détail » dans l’histoire russe ?
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Cela dit, est sans doute redondante l’expression « totalitarisme communiste ». Tous les totalitarismes ne sont pas de nature communiste, mais le communisme est, par définition, totalitaire. Au PCF, qui a quand même de beaux restes, on ne semble toujours pas disposé à se livrer à une réflexion de fond et concevoir que ce sont les promesses messianiques du « grand soir », sur terre, couchées dans des grimoires canoniques, qui, précisément, peuvent constituer le terreau dans lequel fleurissent les (aspirants) petits pères des peuples et autres grands timoniers. Et le 23 août 1939 prouva qu’il y a toujours de possibles terrains d’entente, au moins provisoires, entre autocrates de bonne compagnie.
Au final, la nation peut remercier le PCF : ses braillements ont servi de rappel didactique de cette évidence et la pédagogie est l’art de la répétition.
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