Au nom d’une bienveillance exacerbée, on en vient à être trop gentil, trop mou, peu autoritaire, bref, à laisser tout faire ! Le coup de gueule de Sophie de Menthon.
Les formules toutes faites nous enchantent, pas besoin que cela signifie vraiment quelque chose. C’est comme « bonne promenade », « bonne journée », « bon courage » : une succession de tics de langage qui vous font paraître altruiste et sympathique 20 fois par jour, à ceux que vous croisez et connaissez à peine.
Ainsi le terme de « bienveillance » avait un sens profond, une quête morale vis-à-vis d’autrui, mais dorénavant il fait partie de ces attributs verbaux quotidiens qui ne recouvre rien de précis. Il suffit quand on veut dire du bien de quelqu’un de le qualifier de « personne bienveillante ». Faire preuve de bienveillance c’est être surtout tolérant, le terme est assez vague pour ne pas avoir à en définir le contenu. Est bienveillant celui qui ne vous met pas de PV et cède à vos larmoiements; le prof qui fait semblant de ne pas avoir vu que l’élève regardait la copie du voisin; celui qui ne dit rien lorsque vous faites du bruit jusqu’à 3h du matin; votre voisine qui garde le chien pendant une heure… Quand on rend service on est bienveillant, soit.
Mais attention ! Cette nouvelle bienveillance tant prônée est devenue un alibi pour ne pas avoir le courage de faire preuve d’exigence et hélas, d’autorité ; les fautifs l’implorent pour se faire pardonner, les parents sans autorité y trouvent un prétexte à leur mollesse ; on laisse hurler le pauvre petit dans le train ou courir dans le couloir, avec bienveillance – pratique !
Et si vous faites gentiment une réflexion, les parents fous de rage crieront plus fort que leurs bambins en vous accusant d’être… malveillant. En d’autres termes, on n’éduque plus, et on ne juge plus. Un reproche à la mode lui aussi : être « dans le jugement », grief très prisé des jeunes ! On laisse tout passer et très souvent sous le faux prétexte d’une générosité comportementale avec ce mot fourre-tout, le Doliprane de tous ceux qui ne savent pas comment réagir et en souffrent, de tous ceux qui ont renoncé en particulier à juger ce qui est acceptable ou pas. C’est parfois aussi une indifférence aux autres car, selon Remy de Gourmont, « L’indulgence c’est la forme aristocratique du dédain ».
Les notions de bien et de mal sont trop confuses dans une époque aussi violente que tolérante. La seule culture qui vaille est celle de l’excuse. Pourtant la bienveillance a du sens, du moins avant qu’elle n’ait été galvaudée: il s’agit d’une sorte de générosité, de cœur, la volonté d’un regard indulgent sur autrui mais sans naïveté, d’un effort sur soi-même pour comprendre l’autre avec objectivité mais non par facilité; une exigence d’altruisme, pas un laissez-passer.
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Le terme est devenu un formidable alibi pour abdiquer, renoncer à l’effort, au progrès moral, à l’implication, à une exigence de dignité pour soi-même et les autres, une excuse pour baisser les bras, y compris pour le jugement que l’on porte sur autrui.
Ponce Pilate était certainement bienveillant, c’est un héros des temps modernes ! On se lave les mains de tout ce qui dérange et de ce sur quoi on ne veut surtout pas avoir la moindre influence, ce qui consisterait à s’engager. La bienveillance, telle qu’elle est aujourd’hui, exclut la sévérité qui est devenue tabou. Dans le langage courant, cela peut se traduire aussi par une autre forme de tic comportemental passe-partout : « C’est pas mon problème » ! En quelque sorte le lavage de mains du passant, que ce soit pour intervenir dans un conflit, se mobiliser, ou simplement dans le métro où l’on reste spectateur d’une altercation. Bref, ignorer le problème de l’autre avec volonté et détermination… Ne croyez pas qu’être bienveillant, c’est être courtois et poli; non, rien à voir, le savoir-vivre s’efface, peut-être même à cause d’un trop plein de bienveillance ? Une époque cruelle, violente et sans règles et dont l’acceptation du laisser-aller se gargarise de bienveillance.
Or, c’est un contre-sens : l’autorité, ainsi que le respect des règles et la valeur des actes, ne doivent pas être évacués au nom d’une bienveillance prétexte. Le jugement objectif doit l’emporter sur la lâcheté baptisée tolérance. Cette bienveillance va jusqu’à avoir une incidence sur la justice de notre pays, confirmant en cela La Fontaine, selon qui: « Que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », sauf que le vrai passe-droit aujourd’hui est d’être à plaindre… La bienveillance est là pour surseoir à la condamnation.
La politique est la première à en tirer profit. Son laisser-faire est le contraire de la responsabilité ; selon Spinoza, « La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice ». La rentrée en cela est un excellent moment pour reprendre des résolutions dissoutes dans la chaleur estivale… Redressons nous !
A paraître le 27 août :
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