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Bolivie : fin du règne sans partage de la gauche

Les socialistes discrédités par leur gestion économique désastreuse


Bolivie : fin du règne sans partage de la gauche
Rodrigo Paz Pereira, candidat présidentiel du Parti chrétien-démocrate, avec ses militants, La Paz, Bolivie, le 17 août 2025. Diego Rosales/ZUMA/SIPA

Depuis longtemps la Bolivie, sous le régime d’Evo Morales et de son successeur, Luis Arce, semblait incarner obstinément le socialisme de type latino-américain. Mais tout vient de changer avec le premier tour des élections générales dont le vainqueur surprise est le démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira. Quoi qu’il arrive au second tour, la gauche ne pourra pas gagner.


Les élections générales qui ont eu lieu dimanche en Bolivie ont été marquées par une déconcertante surprise, par la confirmation d’un cuisant échec mettant fin au règne sans partage pendant 20 ans de la gauche radicale, et, subsidiairement, par une amère déconvenue pour les sondages. Ceux-ci donnaient au vainqueur du 1er tour, Rodrigo Paz Pereira, à peine 10% des intentions de vote et le classaient troisième alors qu’il a recueilli dans les urnes 32,1%. Le favori, Samuel Doria Medina, un riche homme d’affaires, et candidat chronique à toutes les présidentielles des deux dernières décennies, n’arrive que troisième avec 19,8%. Il était crédité de 22%.

Le second tour, qui aura lieu le 19 octobre, opposera deux candidats de droite pour la première fois depuis 20 ans. Et c’est aussi la première fois depuis 2005 que le vainqueur ne s’impose pas dès le premier tour.

Membre du Parti démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira, 57 ans, sénateur, fils d’un ancien président de centre-gauche, Jaime Paz Zamora, et dont le grand-père, Victor Paz Estenssoro, grand modernisateur du pays, a assumé à quatre reprises la magistrature suprême, affrontera le représentant de la droite libérale traditionnelle, Jorge « Tuto » Quiroga, un ingénieur de 65 ans, un ancien président par intérim de 2001-2002. Il avait succédé à Hugo Banzer, un ancien dictateur revenu au pouvoir par la voix des urnes, quand celui-ci a été contraint de démissionner, atteint d’un cancer foudroyant. Les sondages le créditaient de 20% et de la seconde position. Il en obtenu 26,8%.

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A la décharge des sondeurs, c’est qu’il y avait à quelques jours du scrutin 30% d’indécis. S’ajoute que ces derniers ont du mal, pour des raisons socio-culturelles, à cerner les intentions de vote de la population Aymara et Quechua, essentiellement rurale, de l’Altiplano andin. Son vote est estimé justement à 30%.

Quant à la gauche, dont la figure emblématique a été, et semble le demeurer, Evo Morales, premier président indigène élu, ce n’est pas un échec cuisant, ni une déconfiture monumentale qu’elle a essuyée mais bien une déculottée magistrale. Ses candidats, Andronico Rodriguez, président du sénat et considéré comme l’héritier de Morales, bien que renié par ce dernier, Eduardo Del Castillo, le candidat du président sortant Luis Arce qui, comme François Hollande, n’a pas pu se représenter tellement il était déconsidéré, ne recueillent à eux deux 11,3%, respectivement 8,2% et 3,12%.

De son côté, Morales n’a pas pu se présenter du fait que la Cour constitutionnelle a confirmé que la nombre de mandats se limitait à deux. Il a donc appelé au vote nul qui a atteint 18%, un record. Ce qui indique qu’il conserve son ascendant sur une grande partie de l’électorat de gauche, disons surtout en raison de son origine ethnique. Les deux candidats de gauche cette fois-ci sont de souche espagnole. La gauche bolivienne a une assisse indigène électoralement dominante.

Jusqu’à dimanche, sur les cinq présidentielles précédentes depuis 2005, la gauche en avait emporté quatre dès le premier tour avec une très confortable avance. Celle de 2019 avait été invalidée pour tentative de fraude, organisée par le propre Evo Morales, pour se maintenir au pouvoir. En 2014, ce dernier s’était imposé avec 61%, et en 2000, son successeur, le sortant Luis Arce, avec 54%, à la surprise générale.

On pensait que le MAS (Mouvement vers le socialisme), le parti d’Evo Morales, était complètement discrédité après la crise de l’année précédente qui avait entraîné des émeutes ayant fait au moins 30 morts et quelque 400 blessés. Evo Morales avait été contraint à l’exil, d’abord au Mexique puis en Argentine d’où il organisa la victoire de son ancien ministre de l’Économie, Luis Arce, à laquelle peu d’observateurs croyaient. Mais les relations entre les deux vont vite se détériorer : Morales pensait que Arce était son homme de paille et qu’il exercerait le pouvoir en sous-main. Une fois à la tête de l’État, Arce, lui, s’appliqua à s’émanciper de son tuteur, estimant qu’il était discrédité après sa tentative la fraude de 2019, qualifiée par bien des observateurs de coup d’Etat.

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Les élections de dimanche ont sonné très certainement le glas de la gauche. Il est très peu probable qu’elle puisse s’en remettre dans un délai raisonnable. Car en plus de son absence au second tour, elle ne disposera d’aucun siège sur les 36 du Sénat où elle disposait avec 26 de la majorité absolue la veille encore. Cette chambre haute est désormais monopolisée par quatre formations de droite.

Concernant l’assemblée des députés, dite plurinationale, de 130 sièges et où, avec 75, la gauche était confortablement majoritaire, on ne connaissait pas encore lundi le résultat à cause d’un mode de scrutin mixte complexe, à la fois proportionnel et majoritaire. D’emblée, il est acquis que sa représentation sera réduite à une portion congrue qui l’obligera à faire seulement de la figuration.

A quoi peut-elle être imputée cette bérézina électorale ? Aux luttes intestines qui ont conduit à l’éclatement du MAS qui pendant 20 ans a fait main basse sur le pouvoir ? Pas certain, pour parodier un titre de Gabriel Garcia Marquez, cet effondrement est « la chronique du mort annoncée ». Elle est la conséquence d’une impéritie atavique.

A cause d’elle, la Bolivie est plongée dans une crise économique, sans précédent depuis 40 ans, marquée par une pénurie de carburant qui paralyse le transport, par des queues pour acheter l’huile et autres produits de base, une inflation de 25%, et par une pénurie de devises. Ses réserves en dollar qui étaient de 15 milliards en 2014 n’étaient plus que 1,6 milliard dix ans plus tard. La compagnie pétrolière d’État, qui a le monopole des importations, n’a plus de liquidités pour acquérir essence et gazole.

A son arrivée au pouvoir, Evo Morales avait bénéficié d’une conjoncture économique très favorable. Le prix des matières flambait, en particulier celui du gaz dont la Bolivie possède le deuxième gisement le plus important d’Amérique du Sud, après le Venezuela. Elle l’exportait principalement au Brésil et en Argentine. Au lieu d’engager des réformes structurelles en vue de moderniser et consolider l’économie, son gouvernement préféra, à des fins clientélistes, distribuer cet afflux de capitaux en bons d’aide, en subventionnant les carburants, en achetant la production agricole au prix fort et en revendant à perte. Certes le taux de pauvreté qui était de 60% fut ramené à 40%. Mais la chute du prix du gaz à partir de 2017 a mis fin à cette « prospérité illusoire ». La pauvreté a repris une bonne partie du terrain qu’elle avait cédé. Et les urnes ont tranché…

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La victoire ne devrait pas échapper au gagnant inattendu du premier tour, Rodrigo Paz Pereira. Arrivé troisième, éliminé en conséquence du second, Samuel Doria Medina a déjà appelé à voter pour lui, ce qui devrait lui assurer de franchir la barre des 50%. Des analystes attribuent la surprise Paz Pereira à sa campagne modeste, peu couteuse, à la différence des deux favoris qui se sont montrés trop dispendieux dans une Bolivie en proie à une récession. En politique, l’argent ne distribue toujours les cartes.

Une question se pose : est-ce que le sort d’Evo Morales, icône longtemps d’une gauche radicale mondiale, notamment en France des électeurs des Insoumis, est définitivement scellé ? Objet d’un mandat d’arrêt pour une sombre affaire de « détournement de mineur », ne pouvant plus se présenter à une présidentielle, exclu du MAS, parti qu’il avait fondé il y a 40 ans, il vit reclus dans le Chapare, province du centre du pays productrice de la feuille de coca, à l’économie fortement liée au narcotrafic. Il est protégé par une garde prétorienne composée de « cocaleros » (producteurs de la feuille de coca). Dans cette affaire de mœurs, il se refuse à répondre aux convocations de la justice. L’arrêter impliquerait monter une véritable opération militaire. Est-ce que le prochain gouvernement de droite osera en assumer le coût ?

Ou finira-t-il retranché dans son Chapare, une sorte de triste petit « seigneur de la guerre », un peu à l’instar de Kurtz, le personnage du roman de Joseph Conrad, Au Cœur des ténèbres ?

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écrivain et journaliste français.

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