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La SNCF, service public et vie privée

Harcèlement commercial obligatoire


La SNCF, service public et vie privée
Image d'illustration © SYSPEO/SIPA

Le 31 juillet, le Conseil d’Etat a tranché : via Internet et ses applications, la SNCF n’a plus le droit de demander à ses clients s’ils sont « un homme » ou « une femme ». Cette décision, quels que soient les arguments qui la motivent, va à l’encontre de la tendance actuelle qui voit de plus en plus d’entreprises et d’institutions recueillir nos données pour les exploiter.


Le Conseil d’Etat avait été saisi par Mousse, qui n’est ni marin ni maghrébin, mais le nom d’une association LGBT+, qui estimait que la société ferroviaire n’avait pas à connaître le sexe des voyageurs, surtout que certains voyageurs ne sont eux-mêmes pas certains de la réponse.

Ce débat sur le sexe des anges peut prêter à sourire. Le bon sens force pourtant à reconnaître que la SNCF n’a pas à connaître les dessous de sa clientèle. Il fut un temps, quand il y avait encore de nombreux trains de nuit et des compartiments couchette, où exiger la civilité du voyageur relevait d’une élémentaire prudence, dans le cas où un pensionnat de jeunes filles aurait emprunté le même train qu’une bande de bidasses en permission… Aujourd’hui les demoiselles ont disparu (du moins sur les formulaires administratifs) et le service militaire a été supprimé.

La SNCF est néanmoins toujours plus curieuse sur l’identité de ses clients. Au siècle dernier, pour réserver, on tapotait sur Minitel, et on obtenait un code qui permettait de retirer son billet en gare, à un guichet ou à un… automate. Une nouveauté qui faisait alors peur aux cheminots syndiqués, effrayés à l’idée d’avoir pour collègues des machines automatiques qui ne font jamais grève… Alors ils les sabotaient en mettant des chewing-gums dans les fentes de la machine…

Aujourd’hui (les cheminots syndiqués, soutenus par tous les gouvernements, ayant compris que les nouvelles  technologies ne menaceraient jamais les avantages acquis à l’époque des locomotives à vapeur), la SNCF veut toujours en savoir plus.

Vous avez quel âge ?

Vous voyagez seul ?

Et patati et patata…

Pour éviter d’être soumis à la question… informatique, j’ai récemment acheté un billet à l’un des rares guichets où l’on propose encore ce service (alors que certains agents sont à disposition pour apprendre aux usagers à utiliser internet et leurs portables !). Etant seul avec une barbe de trois jours attestant mon genre, j’ai rapidement obtenu satisfaction, mais au moment de me délivrer le précieux sésame, l’agent m’a demandé mon adresse email, et mon 06… Mais pourquoi ? 

« Vous recevrez ainsi un double dématérialisé de votre titre de transport et si votre train a des retards, vous serez informé ». Superflu ! Avec la SNCF on sait qu’il y aura toujours des retards. C’est dans l’ADN de l’entreprise.

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Le bouquet, c’est que ces intrusions du service public dans la vie privée sont justifiées au nom de la sacro-sainte sécurité, qui a bon dos… Chacun est fiché, sa fiche classée dans un fichier clientèle, qui est revendu… Après avoir pris mon billet, j’ai reçu des offres d’hôtels sis à proximité de ma gare d’arrivée.

La SNCF n’est pas la seule, au prétexte de la sécurité, à toujours nous demander des infos personnelles toujours plus indiscrètes.

J’ouvre mon ordi :

Message de mon opérateur Internet :

« Nous nous engageons chaque jour à protéger vos données personnelles. Désormais, en plus de votre mot de passe, nous vous demandons une seconde étape pour vérifier votre identité ».

Seconde étape qui nécessite un 06… que l’opérateur propose à prix promotionnel…

Message de la direction des impôts:

« Information importante-nouveau parcours de connexion à votre espace particulier. […] Un système de double authentification est mis en place ».

Flatté que d’éventuels pirates puissent s’intéresser à la situation fiscale d’un pékin moyen.

Message de ma banque :

« Pour sécuriser vos virements… etc.. etc… »

Avec demande d’infos sur les bénéficiaires. 

Comme si, avec mon solde qui ressemble à un débit, je pouvais financer un nouveau Kebab. 

A la fin, ça fait beaucoup de harcèlement. Pour alimenter un fichier de renseignements généraux, dont les exploitants ne travaillent pas tous au ministère de l’Intérieur. 

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La confusion des fichiers est pour certains devenue un bizness aussi rentable que le narco-trafic.

A Noël dernier, j’ai eu la faiblesse et la joie d’offrir à ma petite nièce un collier, signé d’une marque « branchée ». A partir de ma seule carte de paiement, cette marque prestigieuse a retrouvé mon email et mon 06, et depuis m’abreuve de messages publicitaires…

Mais comme dit ma petite nièce, « Tonton, t’es old school ! » Vrai, faut vivre avec son temps, mais bon, parfois c’est insupportable, d’avoir un mouchard dans sa poche… Sûr, le jour de ma mort, je recevrai une notification m’assurant que je suis bien décédé. Alors une dernière volonté. Etre enterré sans portable. Pour reposer en paix.



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Journaliste indépendant

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