La très attendue 13e étape, entre Loudenvielle et Peyragudes, vendredi prochain, pourrait départager irrémédiablement les deux favoris, explique notre chroniqueur.
Depuis 2004, le Tour de France était sevré de contre-la-montre en montagne. Et pour cause… La 16ème étape de cette année-là, une montée sèche de 15,5 km, menant de Bourg d’Oisans au sommet de l’Alpe d’Huez, avait été gagnée par Lance Amstrong, à une moyenne de 23,435 k/h. On connaît quel postérieur funeste sort a été le sien. Il a été déchu de tous ses titres dans la Grande boucle, dont ses sept insolentes victoires consécutives, pour dopage.
Le sinistre souvenir qu’il avait laissé s’étant estompé avec le temps, les organisateurs ont donc décidé de renouer avec cet exercice rare, programmé seulement sept fois depuis 1947, mais qui a toujours donné lieu à d’homériques duels comme celui de 1959 qui opposa l’Espagnol Federico Bahamontés, dit L’Aigle de Tolède, et le Luxembourgeois, Charly Gaul, lui dit L’Ange des cimes, sur la pente conduisant de Clermont-Ferrand au Puy de Dôme.
Pas de gestion de l’effort possible
Intervenant après une première semaine « fantastique, intense, et très dure », comme l’a reconnu Mauro Gianetti, le manager de l’équipe (UAE) de Tadej Pogacar, qui a marqué tous les organismes, le contre-la-montre de cette 112ème édition fait figure de spectre. Il a dû assurément hanter la journée de repos des deux favoris, Pogacar (qui a cédé le 14 juillet sa tunique jaune qu’il a portée par intermittence, à un intrus sympathique et intrépide, l’Irlandais Ben Healy), et Jonas Vingegaard, surtout à cause de la grosse déconvenue qu’il a connue à Caen dans le même exercice mais en plat.
Ce chrono pyrénéen de 10,9 km, entre Loudenvielle et l’héliport de Peyragudes (1580 m), présente une pente moyenne de 8%, mais avec un final à 16%. « Pas de gestion de l’effort possible », comme l’a écrit Vélo-magazine dans son numéro de présentation du Tour, c’est du « à bloc » de la rampe de lancement à la ligne d’arrivée. Le rouleur pur (Evenepoel, Thomas) ne sombre pas, mais ne peut que limiter la casse face au grimpeur authentique.
Cette 13ème étape, vendredi, le directeur du Tour, Christian Prudhomme l’a déjà estimée « mythique ». Elle sera un test sur les réelles potentialités du Français Lenny Martinez, qui a le profil type pour l’inscrire à son encore maigre palmarès. Il a revêtu la tunique à Pois au Mont-Dore, le jour de la fête nationale, mais il se doit de confirmer. Mais, surtout, sur le papier, cette étape apparaît comme appelée à mettre les pendules à l’heure entre les deux grands favoris, Pogacar et Vingegaard, qui ont guerroyé dès l’entame du Tour sans que l’un prenne un irréversible avantage sur l’autre.
Engagés
Ce qui a fait dire à Bernard Thévenet, dit Nanard, deux fois maillot jaune à Paris, et surtout vainqueur d’Eddy Merckx en 1975, « j’ai rarement vu un Tour où il y avait autant d’engagements des favoris dès le début. »
Avec ses deux victoires d’étape au sprint mais avec à chaque fois le Danois dans sa roue qui ne le lâchait pas d’un boyau, ses trois jours en jaune, le Slovène n’a pas pris, semble-t-il, un ascendant psychologique sur son rival, ce qui paradoxalement pourrait dans son for intérieur le faire douter. D’autant que Vingegaard ne s’est pas laissé abattre par son déconcertant échec à Caen.
Dès le lendemain, il relevait le gant en faisant rouler à fond son épique Wisma-Lease a bike en fin de l’étape Bayeux-Vire pour faire échec au projet de Pogacar de refiler le maillot jaune à Mathieu Van der Poel, son ami, afin de s’épargner de la sorte l’heure consacrée au protocole, une heure prise sur le temps de récupération. Un Tour ne se gagne pas que sur la route. « Les Wisma voulaient que je reste en jaune », avait-il convenu à l’arrivée avec un sourire malicieux. Pour une seconde, il venait de se faire déposséder de la première place au général et avait donc réussi son coup qui n’allait s’avérer être qu’éphémère puisque le lendemain il renfilait le maillot jaune en s’imposant à Mûr-de-Bretagne juste devant Vingegaard, qui lui collait à la roue comme son ombre portée.
Le temps des escarmouches entre les deux est révolu. Peut-être la mère des batailles les attend au pied des Pyrénées. Bien qu’ayant 1’17’’ d’avance sur Vingegaard, Pogacar arrive avec un handicap pas négligeable. Il a perdu son lieutenant N°1 dans la montagne, le jeune et brillant Portugais Joao Almeida, vainqueur du dernier Tour de Suisse, qualifié souvent de meilleur équipier du monde par la presse sportive. Un autre de ses équipiers, Pavel Sivakov, semble aussi très affaibli et au destin très incertain.
En revanche, Vingegaard se présente avec une équipe au complet dont un de ses membres, Simon Yates, s’est même offert le luxe de s’imposer lundi au sommet du Mont Dore. Et surtout, elle occupe la première place au général par équipe avec un peu plus de huit minutes d’avance sur… l’équipe de Pogacar, l’UAE…
Mais, le plus ennuyeux pour Pogacar, c’est qu’il va avoir à mener un combat d’un contre deux, contre Vingegaard, mais aussi contre Matteo Jorgenson, lui aussi de l’équipe Wisma, 5ème au général à seulement 1’37 du Slovène. Ainsi, ils pourront l’attaquer chacun à son tour surtout s’il se retrouve esseulé dans les montées. C’est sans doute ce à quoi Vingegaard et sa solide garde rapprochée vont s’employer dès la première étape de montagne jeudi en Auch et Hautacam. Elle comporte deux cols un de première catégorie, le Soulor, un de seconde, des Bordères, et une arrivée au sommet hors catégorie de Hautacam.
L’art du cyclisme sur les grands tours s’apparente à l’art de la guerre, et plus exactement au fameux art opératif soviétique[1] qui consiste en une synthèse de la tactique et de la stratégie. À savoir, en l’occurrence, à coordonner plusieurs opérations de manière à user l’adversaire avant de lui porter le coup fatal.
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[1] Le théoricien de l’art opératif : Alexandre Svetchine (1878-1938), ouvrage Strategiia (1927)
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