Accueil Économie «Make it iconic – Choose France 2024». 15 milliards d’euros d’investissements étrangers, est-ce suffisant pour réindustrialiser la France?

«Make it iconic – Choose France 2024». 15 milliards d’euros d’investissements étrangers, est-ce suffisant pour réindustrialiser la France?


«Make it iconic – Choose France 2024». 15 milliards d’euros d’investissements étrangers, est-ce suffisant pour réindustrialiser la France?
Le président Macron visite l'usine McCain de Matougues (51), 13 mai 2024 © Gonzalo Fuentes/AP/SIPA

La France se félicite d’être pour la cinquième année consécutive le pays le plus attractif d’Europe. Analyse du discours de Versailles d’Emmanuel Macron et perspectives économiques.


« France, terre de champions » ! Les Jeux Olympiques ne sont pas loin… Ce lundi 13 mai se tenait à Versailles la septième édition de « Choose France » : 180 grands patrons étrangers et 60 grands patrons français étaient réunis et 15 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés pour 10 000 emplois potentiels dans les années à venir.

Microsoft investira 4 milliards d’euros dans des data centers dédiés au cloud et à l’intelligence artificielle. FertigHy, consortium européen, débloquera 1,3 milliard d’euros pour des engrais azotés sans gaz naturel. Amazon investira de son côté 1,2 milliard d’euros dans le cloud, l’intelligence artificielle et la logistique. Les Japonais de KDDI promettent eux 1 milliard d’euros dans l’intelligence artificielle. Pfizer, AstraZeneca, GSK et autres Novartis mettent 1 milliard d’euros dans l’industrie pharmaceutique et la recherche-développement. La décarbonation, les batteries, l’informatique quantique, les avions électriques à décollage vertical, le raffinage du nickel, les terres rares, Thermomix et la finance (notamment Morgan Stanley, merci au Brexit) ne sont pas en reste. Enfin, les frites surgelées du canadien McCain ont été opportunément mises en avant par une visite présidentielle dans la Marne avant les agapes de Versailles… 56 projets industriels, de recherche-développement et de services divers, sur l’ensemble du territoire en tout. Merci aux investisseurs. Merci à « France 2030 », aussi (54 milliards d’euros), et au crédit d’impôt-recherche, lequel coûte chaque année plus de 6 milliards d’euros au contribuable français (soit autour de 40 milliards d’euros d’ici à 2030, mais c’est une dépense fiscale). L’IRA (Inflation Reduction Act) américain n’a qu’à bien se tenir ! Ces enveloppes financières sont néanmoins bien éloignées des 60 milliards d’euros à financer chaque année, ne serait-ce que pour la transition environnementale en France, soit 300 milliards d’euros sur cinq ans. C’est évidemment beaucoup plus que les quelques 54 milliards d’euros de France 2030.
L’année 2024 est le meilleur cru des sept dernières années pour les investissements étrangers en France. Dîner dans la Galerie des glaces pour nos invités étrangers, comme il se doit.

Attractivité française

Derrière ce bel écrin illustrant la dynamique de notre monarchie républicaine, que faut-il retenir ?
D’abord, un vrai succès à mettre à l’actif du président. Ne boudons pas notre plaisir. Objectivement, le président a fait fort. Même la Chine est présente à travers la société d’investissement Silk Road Fund (cela ne s’invente pas) pour soutenir les PME européennes.
Après le calamiteux quinquennat du néanmoins sympathique François Hollande (Monsieur « Petites blagues » ; « Mon adversaire.., c’est le monde de la finance »), Emmanuel Macron a, contre vents et marées, orienté la France dans une direction « business friendly » : baisse des impôts de production, baisse de l’impôt sur les sociétés pour le porter à 25% (ce qui le rapproche de la moyenne OCDE), prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes à hauteur de 30%, réforme du code du travail, suppression de l’ISF, remplacé par un IFI supposé viser les rentes immobilières, réforme à venir des conditions d’accès aux indemnités de chômage. A ces réformes s’ajoute la stabilité des règles fiscales affichées par l’imperturbable Bruno Le Maire, littéraire natif baignant dans le monde brutal mais rationnel du chiffre. La grammaire des affaires est bien connue de la Macronie. Tant mieux, car cela évite aux Français des écarts de route, éminemment préjudiciables à leur pouvoir d’achat. Il faut bien que quelqu’un le souligne.

C’est la cinquième année de suite que la France est considérée comme le pays plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni (baromètre EY de mai 2024).

Une feuille de route pour la future Commission européenne

Le président s’est fendu d’un discours en anglais de 26 minutes, plus court que d’habitude mais long quand même pour des Anglo-saxons. Un anglais plutôt maîtrisé, bien que l’agréable accent français du président (pour les Anglo-saxons) n’arrive pas à être totalement occulté. C’est quand même mieux que la plupart des politiques français. Le président a en fait déroulé son discours européen Sorbonne 2 du 25 avril dernier, en le musclant. Il a ainsi avancé la nécessité de « streamline bureaucracy ». Étrange formule, qui signifie littéralement « rationnaliser la bureaucratie ». Un sommet de technocratie française affichée pour dompter le dragon bureaucratique européen ! C’est là où l’on perçoit les failles intrinsèques du président. Il a indiqué que son discours Sorbonne 2 sur l’Europe avait vocation à préfigurer la feuille de route de la future Commission européenne. Il est surprenant que cette orientation politique majeure soit indiquée d‘abord dans une enceinte internationale patronale plutôt que directement auprès des citoyens français. Ceci étant, les Français avaient quand même compris. « Chut », le fédéralisme n’est pas loin… Il a, à cet égard, été plus clair et incisif sur la nécessité de changer le modèle économique européen passé : énergie bon marché avec le gaz russe, exportations de produits à forte valeur ajoutée, noyau industriel européen de haute qualité appuyé sur une périphérie européenne à bas coûts, protection géostratégique américaine. Ce sont en fait les faiblesses de l’Allemagne qui sont ainsi décrites. Les relations avec Olaf Scholz ne devraient pas s’améliorer. Le président prône ainsi un nouveau modèle européen, qui tient compte du non-respect par les États-Unis et la Chine des règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), quant à la concurrence déloyale et aux aides d’État. À raison.

C’est un véritable programme pluriannuel européen qu’a présenté Emmanuel Macron, avec cinq volets : un marché européen de l’électricité stable et acceptable en termes de coûts facturés, fondé sur les énergies renouvelables et le nucléaire ; un marché européen unique intégré à finaliser (télécom, banque-finance,…) ; un vrai agenda de politique industrielle en Europe, pour créer les conditions d’une souveraineté européenne ; un agenda commercial, privilégiant la réciprocité entre pays, en particulier au niveau des exigences environnementales ; la recherche et l’innovation au cœur de la croissance future (l’objectif de 3% du PIB de l’agenda de Lisbonne est réitéré).

Il s’agit de passer à un nouveau modèle économique européen, fondé sur l’investissement, l’innovation et la croissance. En développant les marchés de capitaux et en synchronisant l’application des règles qui président aux sphères de la banque et de l’assurance, comme aux États-Unis. Bâle 2 et Solvency 3 pour les initiés. Un programme à vrai dire assez en ligne avec les souverainistes européens, sauf sur le thème de l’endettement fédéral. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, même combat ?

Et avec la perspective de doubler le budget européen…C’est là où le bât blesse. Pour répondre aux besoins d’investissement des 1 000 milliards d’euros par an en Europe, il n’y a pas mille solutions. Soit on fait appel à l’épargne privée européenne (qui « s’égare » pour 300 milliards d’euros chaque année en Amérique du Nord), soit on mobilise la Banque centrale européenne, avec des dispositifs ad hoc (les divers courants de la « Théorie monétaire moderne » regorgent de solutions techniques…). Les États sont en effet trop endettés (à part les États frugaux) pour augmenter leurs contributions annuelles à l’Union européenne. Le président va devoir prendre sa canne et son chapeau auprès des 27, s’il veut convaincre avec son moment hamiltonien (l’endettement fédéral).

Enfin notons quelques orientations intéressantes sur un plan franco-français. Le président Macron réitère sa volonté de poursuivre les réformes en France, tant dans le domaine de l’emploi, de l’éducation, de la formation ainsi que des simplifications administratives. Un nouveau dispositif de garantie pour les projets industriels sera mis en place en 2025, pouvant aller jusqu’à 50 % de l’enveloppe de financement des projets concernés. C’est une décision pertinente, dispositif qu’avait du reste déjà esquissé Marine Le Pen à l’automne 2021 (peu de personnes l’avait noté) dans son programme économique, dont du reste seul un tiers de ses dispositions, entérinées dès juin 2021, ont été publiquement annoncées. C’est à l’évidence une bonne méthode pour mobiliser la signature de l’État français, sans le saigner avec de la  dette publique à effet immédiat.

À souligner aussi les PINM : Projets d’Intérêt National Majeur. Personne n’en parle. Pourtant, le dispositif permet de dépasser les obscures contraintes administrativo-institutionnelles qui  bloquent tout projet industriel ou agro-industriel en France pendant de nombreuses années. Il faut saluer cette démarche qui permet de replacer au niveau de l’État les autorisations administratives pour l’implantation de projets significatifs, générateurs de croissance et d’emplois. Devant l’incohérence, l’incompétence et la démagogie crasses d’organisations de défense tous azimuts, convoquant pourtant des impératifs reconnus par tous dans les domaines de l’environnement et de la biodiversité, et la pusillanimité de collectivités territoriales paralysées par leurs accointances locales. L’État  doit affirmer, à juste titre, sa capacité à imposer une cohérence nationale.

Enfin, le président évoque Paris, en tant que seconde place boursière dans le monde à travers Euronext. À l’origine, un haut fonctionnaire méconnu, Jean-François Théodore, que l’on ne remerciera jamais assez de ses visions stratégiques et de ses mises en œuvre opérationnelles, à la base du succès actuel de la Bourse de Paris. Il n’empêche que les actionnaires de TotalÉnergies ont tout intérêt à faire coter leur société à New York s’ils veulent bénéficier des multiples boursiers américains, quel que soit le désagrément de voir un grand groupe français avec une cotation principale hors de France. Le président n’est pas d’accord, bien sûr. Il vient du reste de laisser filtrer l’information qu’il n’était pas opposé à la cession de la Société générale, mal valorisée en bourse, à un grand groupe bancaire européen. Il est vrai que l’inspection des finances a vu la direction de la banque lui échapper, avec la nomination à la direction générale d’un « vulgaire » trader, Slawomir Krupa, à la suite de Frédéric Oudéa, ancien inspecteur général des finances, par ailleurs époux de l’actuelle ministre en charge des Sports et des Jeux olympiques, camarade de promo du président…

La photographie est belle. Qu’en est-il sur le fond ?

Dix ans pour réindustrialiser la France

Le cabinet EY indique 1194 investissements étrangers en France en 2023, avec potentiellement 40 000 emplois potentiels dans les années à venir. Incontestable. En 2023, il y a eu 201 créations nettes d’usines. Incontestable. Trois fois plus en France qu’au Royaume Uni. Six fois plus qu’en Allemagne. Incontestable. Le cabinet Trendeo est plus circonspect. Les créations d’emplois dans le domaine industriel pour les investissements étrangers au Royaume-Uni sont plus importantes qu’en France pour des volumes d’investissements similaires.

De fait, l’industrie en France ne représente plus que 16,8 % du PIB (données Banque mondiale 2022), au  même niveau que le Royaume-Uni (16,7 %), nettement en  dessous de l’Italie (23,8 %) et de l’Allemagne (26,9 %). Une différence significative – 10 points de PIB – qui explique en bonne partie les différends franco-allemands. En termes quantitatifs, l’industrie française représente 443 milliards d’euros tandis que l’Allemagne est à 1040 milliards d’euros, soit plus du double. Ce sont aujourd’hui 2,9 millions d’emplois industriels en France contre 7,5 millions en Allemagne. Cela change la perspective.

Serge Tchuruk, président d’Alcatel de 1995 à 2008, qui appelait à se débarrasser des usines en France, devrait certainement être conduit à assumer une forte responsabilité dans la situation française catastrophique d’aujourd’hui sur le plan industriel. Dommage pour un X-Armement, qui a donc désarmé la France sur le plan industriel. Le corps de l’Armement a heureusement hébergé et héberge encore en son sein parmi les plus grands commis de l’État français. Ce n’est du reste pas pour rien que le président n’a pas encore tranché sur la suppression des corps techniques, dont les Mines, après la suppression de l’ENA, remplacée par l’ineffable INSP (Nathalie Loiseau a été la directrice de l’ENA jusqu’en 2017, c’est tout dire, après des monuments d’intelligence comme Simon Nora ou Roger Fauroux).

D’ici à ce que l’industrie française revienne à 20 % du PIB et que le déficit commercial extérieur se résorbe, il va dès lors probablement se passer pas mal de temps. Mais c’est une affaire de détermination de long terme. Il y faut à l’évidence une volonté politique. 2027, bien sûr. Les élections européennes qui se tiennent dans moins d’un mois seront un révélateur des forces partisanes en présence. Quels que soient les résultats, la France aura à gérer sa descente aux enfers, industrielle et agricole. Ce ne sont évidemment pas les 15 milliards d’euros d’investissements industriels de Choose France 2024 qui vont changer la donne à court terme.

La productivité européenne est en berne. Depuis 1995, la productivité, mesurée par le ratio [PIB par heure de travail], a cru de +1,7 % par an aux États-Unis, alors qu’elle a baissé de -0,9 % par an en Europe. Ce qui explique la dégringolade du PIB par habitant des Européens (34 160 USD en 2022 pour l’Union européenne) relativement par rapport à celui des Américains (62 789 USD, soit un niveau de + 84 % plus élevé). Ainsi que les questions  de pouvoir d’achat des Français.

Le vrai problème français, c’est en effet la productivité. Les causes sont à trouver principalement dans le sous-investissement en numérique, robotique et innovation, dans l’inadaptation du système éducatif et de formation professionnelle français ainsi que… dans les lointaines trente-cinq heures de Martine Aubry, qui sont incidemment l’idée originelle de l’excellent Dominique Strauss-Kahn. C’est aussi une des principales causes de la baisse d’efficience des services publics, en particulier dans le domaine de la santé. Qui le souligne ? Aucun parti dit de gouvernement en tout cas.

Avons-nous la moindre chance de revenir dans les clous ? Oui, si nous mobilisons les énergies des uns et des autres ainsi que les financements publics et privés de façon pertinente. Encore faut-il être en mesure de le faire avec pragmatisme. Et cela demandera une décennie.

Il y a là une ingénierie particulière du financement de projet, industriel, agricole ou environnemental, mobilisant les énergies publiques et privées avec la masse critique macro-économique nécessaire, à la base de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat des Français. Le politique qui comprendra comment cela marche sur un plan pratique, et qui mettra en place les dispositifs publics qui s’imposent, gagnera en 2027. Ce n’est, hélas, pas encore dans les tuyaux…




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Physicien de formation, patron d’un fonds d’investissement dans les industries décarbonnées. Grand Prix de l’Investissement du Private Equity en 2010, pour une opération de consolidation mondiale dans le domaine de la logistique (1 050 M€). Ancien maître de conférences en économie, en préparation ENA à Sciences Po, assistant en économie quantitative à Centrale en son temps (la modélisation macro-économique…), Trésorien actif ayant fait partie des équipes maastrichiennes de Jean-Claude Trichet.

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