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IFOP: 31% des jeunes musulmans scolarisés n’arrivent pas à désapprouver totalement l’attentat d’Arras

Musulmans de France: une sécularisation qui tarde


IFOP: 31% des jeunes musulmans scolarisés n’arrivent pas à désapprouver totalement l’attentat d’Arras
Paris, 23 septembre 2023 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Abayas, terrorisme, laïcité: un sondage choc publié ce matin démontre que la jeunesse française musulmane se radicalise. 78% des musulmans jugent que la laïcité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui en France par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans. Nul ne peut désormais l’ignorer, une contre-société se dessine clairement


En France, l’islam fait débat sur tous les plateaux TV et fait régulièrement la une de bien des gazettes. Et les journalistes qui reprochent à leurs confrères de trop en parler en parlent eux-mêmes beaucoup. Alors, pour mesurer l’état des esprits en milieu musulman, la chaîne franco-arabe Elmaniya.tv1 (une chaîne lancée par d’anciens journalistes de la rédaction arabophone de France 24, et qui souhaite promouvoir « des valeurs laïques et humanistes aussi bien en France et dans le Monde arabe ») a commandé à l’IFOP une enquête2 pour cerner la place accordée par les musulmans de France à leur religion. Une enquête qui interroge aussi la réception des événements de ces dernières semaines, de l’interdiction de l’abaya à l’assassinat du professeur Dominique Bernard, et qui montre un décalage avec l’opinion du reste du pays. Un décalage qui ne se réduit pas parmi les jeunes générations, mais qui, bien au contraire, se creuse de façon inquiétante.

Lyon, 11 septembre 2023 © Mourad ALLILI/SIPA

Un îlot de religiosité dans une France athée

L’enquête a été réalisée auprès d’un panel de mille ressortissants musulmans – de nationalité française ou non – vivant en France métropolitaine. Les données ont été comparées à celles du reste de la population, que l’on qualifiera ici par facilité de lecture « les autres Français ». Les questions portent sur le rapport à la foi, le respect des principes religieux dans la vie de tous les jours ou encore le rapport à la laïcité à la française – bref, tout ce qui tracasse les Français en ce moment. Si 18% du reste de la population française se présente comme résolument athée (on trouve même parmi les adeptes des autres religions françaises un bloc de 12% d’individus se déclarant athées ; des « pratiquants non croyants » en quelque sorte), ils ne sont que 3% parmi leurs compatriotes musulmans à se reconnaître dans une telle case. Au contraire, 2/3 des musulmans de France se qualifient volontiers « croyants et religieux », contre 12% parmi l’ensemble des Français. En tout, 92% de la population musulmane se qualifie de religieuse, à des degrés divers. Sur un même territoire, coexistent donc une population très largement religieuse et une autre très détachée des choses du ciel.


Une divergence, sans trop de surprise, qui n’est pas sans effet sur le rapport à la science. Si plus de 80% des Français sont acquis à une explication scientifique de l’origine du monde, la population musulmane, elle, reste, à hauteur de 76%, attachée à une inspiration divine. Même les catholiques ou les juifs un peu sérieux ne suivent plus leur curé ou leur rabbin sur ces sujets et ont déclaré forfait face aux rationalistes sur ce terrain-là au moins.

Laïcité : un mot, deux définitions

Ce rapport différent aux choses du ciel se répercute dans la vie de la cité. Les musulmans divergent des autres Français quand il s’agit de donner une définition de la laïcité. Pour les musulmans, elle a pour enjeu premier d’assurer à tous la liberté de conscience et de mettre toutes les religions sur un pied d’égalité. Pour les autres, elle a aussi pour objectif de faire reculer l’influence des religions dans la société. Elle est en fait associée à la notion de sécularisation, trajectoire suivie avec plus ou moins de tumulte dans le pays depuis deux siècles et demi et qui a abouti à un effacement presque complet du religieux dans l’espace public.

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Avec des définitions aussi différentes, les évolutions législatives de ces dernières décennies n’ont pas été appréciées de la même façon selon que l’on se trouve en milieu musulman ou ailleurs. Pour 78% des musulmans, les lois de 2004 sur les signes religieux à l’école et de 2010 sur la burqa n’ont eu pour objectif que de les pointer du doigt et de les discriminer. Parmi les moins de 25 ans, ce chiffre monte à 80%.

Une divergence de point de vue qui tend à faire regarder nos compatriotes vers Metz et Strasbourg. Le sondage indique en effet que la population musulmane a les yeux de Chimène pour le Concordat de 1804, tel qu’il est encore appliqué en Alsace et en Moselle (passées à travers les gouttes de la loi de 1905, puisque rattachées au Reich allemand à cette époque), lequel permet le financement public des lieux de culte et des religieux. 75% des musulmans souhaitent son extension à l’ensemble du territoire, alors que l’idée ne séduit que 28% du reste de la population. Le sondage révèle toutefois une « lassitude » à l’égard du vieux laïcisme à la française parmi les jeunes générations puisque 60% des moins de 25 ans sont favorables à un retour au Concordat. Il y a une certaine ironie historique à constater qu’un peu plus de la moitié des sympathisants de LFI y sont favorables également, alors que l’abandon du régime spécial d’Alsace-Lorraine est une vieille revendication de l’extrême gauche laïcarde.


Les musulmans les plus éduqués parmi les plus revendicatifs ?

Il n’y a pas qu’à la cantine ou au moment d’enfiler son foulard le matin que ces différences se traduisent. Les uns et les autres ont en effet eu une lecture assez différente des événements de cet automne chargé. Quand 81% des Français approuvent l’interdiction de l’abaya et des qamis, 72% des ressortissants musulmans la désapprouvent. Et c’est la population musulmane la plus diplômée et la plus aisée socialement qui est encore plus hostile à cette décision ministérielle, puisque ce chiffre montre à 80% parmi les professions intellectuelles supérieures.

Arras, 14 octobre 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Enfin, le drame d’Arras d’octobre dernier, au cours duquel l’enseignant Dominique Bernard a été poignardé par un ressortissant ingouche, ne fait pas l’objet d’une réprobation totalement similaire. 91% des Français désapprouvent totalement ce geste, contre 78% des musulmans. On trouve parmi ceux-ci 6% à qui l’événement n’a fait ni chaud ni froid ; 5 autres pour cent qui ne le condamnent pas ; et un total de 16% qui ne le condamnent pas totalement ou qui peuvent comprendre une partie des motivations de l’auteur. Un chiffre bien élevé pour le meurtre d’un enseignant tué au hasard parmi plusieurs autres, et qui ne s’est même pas particulièrement distingué par le blasphème du prophète Mahomet ou autre reproche fait à Samuel Paty en 2020.


Plus inquiétants encore sont les effets générationnels mesurés par le sondage et le phénomène de durcissement des plus jeunes. Chez les 25-34 ans, on observe que 75% des musulmans se qualifient de « religieux », contre les 66% cités plus haut pour l’ensemble de la population musulmane. Si l’on observe finement les chiffres, on remarque, parmi les plus de 50 ans, une part importante de musulmans modérément religieux, plutôt en phase, pour le dire simplement, avec la rationalité occidentale, quand ces chiffres s’effondrent parmi les nouvelles générations. C’est comme si la population musulmane avait évolué de façon tout à fait opposée au reste du pays : alors que chez les catholiques, les mamies un peu bigotes ont dû accepter les mini-jupes de leurs petites-filles, parmi les musulmans, la tata restée dans les années 80 (SOS Racisme-Smaïn-saucisson) a dû apprendre à vivre avec ses nièces voilées. Chez les musulmans actuellement scolarisés, 31% n’arrivent pas à désapprouver totalement le meurtre d’Arras ! On l’a vu plus haut, l’acquisition d’un statut social confortable ne semble pas non plus être un vecteur de « désislamisation » ou de fléchissement, contrairement à ce que peut écrire un Arnaud Lacheret, très optimiste dans son dernier livre, Les intégrés. En fait, c’est comme si les ressorts de l’adhésion à la France, par la réussite matérielle et par les joies de la vie à la française, avaient largement échoué auprès de la population musulmane. N’est-il pas exaspérant d’observer tant de nos concitoyens issus de l’immigration maghrébine, dont les familles ont pourtant quitté les sociétés rétrogrades des pays d’origine pour trouver chez nous une vie meilleure et jouir de nos libertés, se faire à présent les agents de l’islamisation de la France ?

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  1. https://elmaniya.tv/ ↩︎
  2. https://www.causeur.fr/wp-content/uploads/2023/12/Synthese_Ifop_ElmaniyaTV_2023.12.07.pdf
    Étude Ifop pour Imaniya.TV réalisée du 21 au 29 novembre 2023 par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 1 002 personnes, représentatif de la population de religion musulmane vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus.  ↩︎



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