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Retraites: En Marche forcée

La réforme est adoptée, mais la crise de la démocratie représentative est profonde


Retraites: En Marche forcée
Marine Le Pen (RN) et Charles de Courson (LIOT) à l'Assemblée nationale, hier © Jacques Witt/ Jeanne Acco/SIPA

Il lui fallait 287 voix pour être adoptée, la motion de censure n’en aura recueilli que 278. La réforme des retraites est donc passée. Mais, dans une Ve République taillée pour le bipartisme, le pouvoir est aux abois et l’immobilisme menace. Le président Macron s’adressera aux Français, à 13 heures, demain à la télévision. Faut-il se réjouir du fait que plus rien ne nous rassemble dans un pays qui ne nous ressemble plus?


La réforme des retraites a finalement été adoptée au terme d’un processus qui laissera de profondes traces dans la vie politique française. Il a fallu l’emploi de l’article 49-3 de la Constitution puis passer l’épreuve de la motion de censure, étonnamment lancée par le centriste Charles de Courson avec son groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), pour que le gouvernement d’Elisabeth Borne puisse entrevoir une porte de sortie parlementaire à ce texte rejeté par une majorité de Français – pour des raisons diverses, sinon antagonistes, nous y reviendrons. Personne n’est toutefois dupe, il ne s’agit que d’un sursis pour la « majorité relative » ou la « minorité la plus puissante », c’est selon.

Neuf petites voix… ou le souffle du boulet de canon

Seules neuf petites voix LR ont donc manqué à l’appel pour obtenir la censure du gouvernement, ce qui aurait constitué une première depuis le 5 octobre 1962, date où les Gaullistes en majorité relative à l’Assemblée nationale avaient dû céder le pas face à une coalition hétéroclite de radicaux, chrétiens démocrates et socialistes, sur la question de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Evidemment, les choses étaient bien différentes puisque la rue était en l’espèce rangée à l’avis du chef de l’Etat. Ce qui est plus amusant à noter, avec le recul, est que la situation que nous traversons présentement n’est au fond que le stade terminal d’une Vème République finissante, dont les caractéristiques « semi-présidentielles » en font bien plus une démocrature qu’une démocratie moderne correspondant aux standards ayant cours dans la grande majorité des autres pays occidentaux.

Le débat ne porte donc pas strictement sur la « retraite à 64 ans », mais bien plus largement sur le fonctionnement même de nos institutions à l’aune d’un paysage politique fragmenté où plus rien ne parait être en mesure de rassembler une majorité de Français. Allons plus loin : sur le pacte social issu de l’après-guerre, puisque le régime de retraite par répartition en est aussi l’héritage. Les neuf voix supplémentaires nécessaires au vote de la motion de censure d’Elisabeth Borne ne trompent personne. Elles ne sont que la corde soutenant le pendu, l’affaire étant déjà tranchée. Réunir contre soi de falots parlementaires LR et centristes unissant leurs forces à l’extrême gauche de la Nupes et au Rassemblement national démontre bien que la colère populaire excède ses milieux habituels, que la « coupe est pleine ».

Le 49-3 n’est pas antidémocratique

C’est d’ailleurs sur cette colère qu’insista Charles de Courson dans son discours : « L’Assemblée nationale n’aura jamais voté sur ce projet de loi qui cristallise les inquiétudes et la colère de nos concitoyens. Je veux insister sur la gravité de cet instant. (…) Vous avez échoué à rassembler, à convaincre. Vous avez cédé à la facilité : éviter la sanction du vote. Rien ne vous obligeait au 49-3. Nous voulions voter, même les groupes de la majorité. » Se rejouait dans ce discours l’éternel débat opposant la légalité à la légitimité. Si la rue et les sondages ne gouvernent pas, il est très imprudent de ne pas les entendre quand tous les ingrédients d’une explosion de colère sont réunis… surtout en France.

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En décembre 2016, Manuel Valls déclarait à propos de l’article 49-3 « en connaitre parfaitement les effets pervers ». Il ajoutait ensuite que dans la société de participation dans laquelle nous vivons, « son utilisation est devenue dépassée et apparaît comme brutale ». Prévu par la Constitution, l’usage du troisième alinéa de son 49ème article offre au Premier ministre la possibilité d’engager « la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ». Le projet est considéré comme adopté si une motion de censure n’est pas dûment votée en suivant. Dont acte. De nombreux chefs de gouvernement y ont eu recours avant Elisabeth Borne, mais la procédure cristallise depuis quelques années l’opposition populaire qui y voit une manœuvre « anti-démocratique ». Ce n’est en réalité pas le cas. Du moins, ce ne le serait pas dans un pays moins troublé où les représentations politiques sont si antagonistes et les institutions si autistes que les Français ont pris l’habitude de prendre la rue d’assaut à la moindre contrariété. Le « 49-3 » est vu comme un affront parce que les institutions figent tout. La France est un pays politiquement ultraconservateur, où chaque camp reste arcbouté sur ses positions et le rôle qu’il s’assigne. Les syndicats refusent tout. L’exécutif ordonne. Les oppositions au parlement font de l’obstruction. Et il faut bien dire que l’on a longtemps imposé aux Français des politiques qu’ils ne voulaient pas, pour lesquelles ils n’ont même pas eu le loisir de s’exprimer : fiscalité record, immigration record, administration corsetée et étouffante, comités Théodule en pagaille, etc.

La démocratie représentative en crise

Cette absence totale de pédagogie politique et de discours de vérité, tout simplement de bon sens et d’objectivité, a provoqué un divorce entre les Français et leur classe politique. À telle enseigne, du reste, qu’ils en viennent même à haïr le principe de la démocratie représentative, qui, s’il était un jeu de hasard serait pour eux un « Pile, tu perds. Face, je gagne ». C’est déjà ce problème majeur qui fut à l’origine de l’impressionnante mobilisation des gilets jaunes. Et si d’aventure demain les manifestations réunissaient plus de monde, la situation serait peut-être plus périlleuse encore qu’elle ne l’était au plus fort de la contestation de 2018.

La raison première est qu’il n’y a pas que la rue face à Emmanuel Macron. Tout d’abord, il doit composer avec une majorité extrêmement affaiblie qui aura le plus grand mal à gouverner lors de la suite de son quinquennat, s’il arrive jusque-là. Ensuite, il fait face à l’ensemble du monde syndical, à deux blocs de rupture d’envergure à l’Assemblée nationale, ainsi qu’à une partie du ventre mou de la vie politique française qui pense probablement tenir sa seule et unique planche de salut. Il faudra donc des trésors d’inventivité pour éviter à Emmanuel Macron de devenir un président fantoche – ou plus du tout un président – lors des mois et des années à venir.

« Je suis déterminée à continuer à porter les transformations nécessaires à notre pays avec mes ministres et à consacrer toute mon énergie à répondre aux attentes de nos concitoyens », a d’ailleurs dit Elisabeth Borne dans une intervention aussi symptomatique des errements de la macronie que tenant de la méthode Coué. Paradoxalement, ce que n’ont pas compris nombre des oppositions, singulièrement à l’extrême gauche, tient dans le fait qu’Elisabeth Borne tente par tous les moyens de conserver ce qui finira un jour par être défait : la social-démocratie dont ils profitent au quotidien. Ce régime redistributif arrive en fin de course parce qu’on a usé et abusé de lui : nous vivons sur la bête, ou plutôt sur la dette. Il n’y a plus grand-chose à tondre et l’argument des 150 milliards de déficit est une réalité concrète.

Le problème de la natalité française reste entier

Emmanuel Macron y a lui-même largement contribué, achetant la paix sociale avec le « quoi qu’il en coûte », distribuant aides directes et chèques cadeaux, mettant en place un bouclier énergétique. Autant de mesures qui ne sont que des pansements sur une jambe de bois, la difficulté majeure de l’économie française étant désormais la création de richesses. Nous ne produisons plus de richesses. C’est l’élément central de cette crise qui commanderait de refonder entièrement notre pacte générationnel et notre vision de la France : plus libre, moins fiscalisée, centrée autour du développement économique des Français, moins généreuse avec l’autre et plus soucieuse de ce qui est nôtre.

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Car, le financement des retraites ne sera jamais solutionné, ni la question de la natalité dans un pays où le capital économique en immobilier est détenu par les plus âgés qui vivent de plus en plus longtemps, provoquant des successions tardives, où les séparations et divorces sont la norme, où le CDI est une incongruité et la mobilité géographique comme professionnelle des impondérables, où la peur du lendemain est si grande que fonder une famille nombreuse en devient angoissant. Des considérations qui passent à mille lieux au-dessus de la tête des protestataires qui demandent plus de ces mesures qui ont conduit à nous conduire là où nous en sommes, c’est-à-dire de plus en plus déclassés dans la compétition que se livrent les nations dans la mondialisation. Si le régime a encore une forme de résilience – par sa passivité -, il est déjà tombé. L’essayiste Philippe Fabry annonce un évènement qui a déjà eu lieu, au terme d’un lent processus de pourrissement.

Mais la suite pourrait être pire. En effet, comme le soulignent à juste titre les observateurs, il n’y a pas de majorité politique qui se dégage dans un cadre dénué de bipartisme, pourtant consubstantiel à la Vème République. Nous allons donc continuer à reculer pour mieux sauter dans le vide sur absolument tous les sujets, la rue ayant compris depuis longtemps qu’elle peut tout faire échouer. Faut-il se réjouir du fait que plus rien ne nous rassemble dans un pays qui ne nous ressemble plus ? Il est permis d’en douter.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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