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L’islamophobie est antifrançaise


L’islamophobie est antifrançaise

claude askolovitch ami

Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala.

Causeur : Tu partages avec tes adversaires la conviction que la France est en train de devenir musulmane. Sauf que pour toi, puisque c’est la réalité, on est prié de l’aimer et de s’y adapter. Sinon, on est « islamophobe » ?

Claude Askolovitch : Je dis que la France devient aussi musulmane ; elle est tempérée, laïque, chrétienne, celte, méditerranéenne, rêveuse, péguyste, pied-noir, fâchée, rebelle, fatiguée, juive, normande, cathare, rouge, bleue, rose, et aussi musulmane.
Et cet « aussi » est perturbant, comme tout ce qui est inédit et puissant à la fois, parce que cette France musulmane se voit, s’impose parfois autant qu’elle se mélange, et parce qu’elle contredit notre expérience historique : le dépérissement du sentiment religieux à mesure que la francité s’installe. Ici, l’islam a émergé après l’« intégration » ; c’est arrivé chez nous, depuis notre société, avec évidemment, aussi, des influences extérieures, mais pas seulement. Une partie de nous est donc musulmane ; des Français installés, insérés, complexes, qui sont musulmans, aussi ; pas seulement « de culture ou d’origine musulmane », mais engagés, croyants, parfois très orthodoxes, intégristes si tu veux… Cela n’en fait pas pour autant des « islamistes » au sens politique, voire sulfureux du terme ; certains oui ; d’autres non. Nous ne parlons pas d’un corps extérieur ou d’une invasion, mais de nous. Il ne s’agit pas d’aimer une réalité, mais de ne pas la nier. Avant d’être éventuellement « islamophobe », la France est tout simplement très malheureuse, tant on lui dit qu’elle doit détester ce qu’elle est devenue.[access capability= »lire_inedits »] Je suggère un autre regard. C’est ce livre.

Nous parlons de « nous », dis-tu. Mais une juxtaposition de « je » ne suffit pas à faire un « nous ».

Sans aucun doute. Le « nous » se construit et se reconstruit chaque jour, et sous nos yeux. Il faut en prendre grand soin. La crise identitaire dont on nous rebat les oreilles n’est pas une pure invention ! Ensuite, il y a ce qu’on en fait. Je m’inscris contre cette détestation de nous-mêmes, cette peur et ce mépris de ce que nous devenons – une société plurielle et parfois conflictuelle – que les « patriotes » ou « laïques » autoproclamés ressassent depuis des années, avec leur France muséifiée qui ne saurait changer sans périr. J’aime mieux mon pays que ces tremblants. Et je m’inquiète de ce qu’ils en font.
Quand le Haut Conseil à l’intégration peut collaborer avec des maniaques qui piochent dans le Coran pour y trouver quelque méchante sourate qui justifierait l’interdiction sociale des femmes portant un foulard et la mise en accusation de nos concitoyens musulmans, on détruit tous les « nous » possibles.

Tu confonds deux niveaux : l’égalité de droit entre tous les individus ne signifie pas que toutes les cultures doivent avoir des droits égaux. Est-ce que ça existe, pour toi, les Français de souche ?

J’en suis, je pense. Et alors ? Juridiquement, je n’ai ni plus ni moins de droit qu’un autre… Intellectuellement, je ne suis ni plus ni moins légitime parce que je serais « de souche »… Sinon, on en arrive à Renaud Camus expliquant que des juifs ne peuvent pas vraiment comprendre la littérature française… Puis théorisant le « grand remplacement » de notre peuple par les musulmans : cohérence parfaite.

Renaud Camus n’a jamais dit ce que tu prétends sur les juifs. Et par ailleurs, l’islam n’est pas arrivé sur une terre vierge. Il y a un passé, une histoire, des références, des traditions.

Nul ne le conteste. Seulement, la France n’est pas une histoire qui s’achève, mais un mouvement.

Certains Français éprouvent un sentiment d’exclusion devant les femmes voilées. Tu es intrigué par la drague, mais une femme voilée ne risque pas de se faire brancher par un « Feuj » ou un « Gaulois »… Ce séparatisme ne te gêne pas ?

Un peu, sans doute. Mais je pense que la drague dépasse les obstacles apparents, si on est motivé ! On peut draguer une bonne sœur, une bimbo, une musulmane voilée, une juive en jupe longue, tout ce que tu veux… Ensuite, si tu m’expliques que les gens engagés religieusement sont plus rétifs à l’exogamie, ce n’est pas nouveau.

Tu t’amuses de la répression sexuelle, mais nombre d’anthropologues pensent qu’elle est au cœur de la crise des sociétés musulmanes. A-t-on le droit de penser que la progression de la pudibonderie musulmane est une régression?

Je ne traite pas de sexualité ou d’amour sur le mode rigolard. Je parle de l’extrême pression que s’infligent des individus au nom de leur foi. Un leader « islamiste », Nabil Ennasri, me confirme que la question sexuelle travaille son groupe. Je ne souris que devant un jeune homme qui a résolu sa colère en se mariant devant un imam, pour enfin mener une vie sexuelle. La pudibonderie, musulmane ou autre, est sans nul doute une régression. Mais je trouve sa version musulmane moins spectaculaire que l’envolée homophobe qui sous-tendait une bonne part des manifestations contre le « mariage pour tous ». On y trouvait d’ailleurs certains de mes personnages, pas tous. Je l’écris.

Rassure-toi, personne ne veut rendre obligatoire la sexualité avant le mariage ! Mais plus sérieusement, avons-nous encore le droit de dire que chez nous, certaines choses ne se font pas (sortir en burqa, cacher sa femme des regards des hommes, marier sa fille de force…) ?

Une chose me gêne dans ta question : tu la poses comme si ces comportements étaient généralisés et dominants chez les musulmans de France, ou chez les musulmans engagés que je rencontre. Ce n’est pas le cas. Pas du tout. Mais à le faire croire, on justifie que la République se cadenasse. Au surplus, le « ça ne se fait pas » est une catégorie politique floue. Il y a le légal et l’illégal, l’intolérable et le juste bizarre. Il est illégal et intolérable de contraindre et de brutaliser son épouse ou ses enfants. On a décidé que sortir en burqa était aussi illégal ; c’est discutable : si un comportement individuel me paraît aberrant, la loi ne s’impose pas forcément.

Tu conviendras que l’identité nationale, c’est aussi la tolérance à la critique. Or, je ne connais pas d’islamophiles placés sous protection policière. Ni d’islamophile traîné en justice pour islamophilie.

Tu connais un islamophile en fragilité professionnelle pour défaut supposé de vertu laïque : moi ! Quand notre sympathique consœur Natacha Polony explique dans Le Figaro – en substance – que je suis un juif haïssant la France et voulant la détruire en utilisant les salafistes pour la punir de Drancy, selon les enseignements de Bernard- Henri Lévy, où sommes-nous ?

J’ai un vrai reproche méthodologique à te faire. Tu essaies de défendre une thèse en empilant les exemples. Tes personnages sont tous diplômés, branchés, modernes. Mais ce que tu ne racontes pas est tout aussi réel. Pas un mot ou presque sur la délinquance, rien sur la haine de la France. Rien sur les menaces ou les violences (contre Charlie Hebdo)…

Je crois que tu mélanges et généralises. La « délinquance » n’est pas « musulmane ». Les « tables à part » ne me paraissent pas être la norme. La « haine de la France » me semble floue.
J’ai plutôt l’impression d’une pénurie d’horreurs sociétales musulmanes, qui force le camp dit « laïque » – du Point au Haut Conseil à l’intégration, en passant par Marianne et toi ! – à retraiter les mêmes exemples, réels, mais rebattus, tel le « pain au chocolat » de Copé. J’assume la dimension empathique de mon livre. J’enquête toujours en immersion, ce qui n’empêche pas de réfléchir et de juger ! J’ai fait de même il y a longtemps sur le FN, et le ferai peut-être demain sur les Identitaires, ou les aviateurs!
Quant à Charlie, on doit le défendre, et on peut le critiquer. Mais quand la Ligue de défense judiciaire des musulmans, nouvellement créée, décide d’attaquer Charlie pour son lancement, elle s’égare et se rend, instantanément odieuse à ceux-là même qu’elle devrait convaincre : il y a assez de victimes réelles de l’islamophobie quotidienne pour ne pas avoir besoin d’un symbole malsain.

Dans le cas de l’islam, tu sembles ignorer l’emprise du groupe sur les individus : dans certaines cités, on ne peut pas fumer pendant le ramadan ni s’habiller en minijupe. Or, jusque-là, les individus échappaient au groupe pour s’intégrer à la France.

La pression machiste dans les cités ou ailleurs préexistait à l’avancée de l’islam. Et les zones de non-droit ne sont pas exclusivement « musulmanes ». Tu sais, j’ai rencontré de vrais individus intéressants : ces musulmans engagés et français dont nul ne parle et à qui nul ne s’adresse, puisque seuls les voyous passionnent. C’est plutôt toi qui nies l’individualité des musulmans orthodoxes, avec tes amalgames !

Nous y voilà ! Ton empathie pour tes musulmans engagés n’a d’égale que ton antipathie pour ces islamophobes qui ont peur de voir disparaître la France qu’ils aimaient. N’ont-ils pas quelques raisons d’avoir peur ? Est-ce que cette peur ne mériterait pas un tout petit peu de ton empathie ?

Je ne dis pas une seconde qu’un Français perturbé par tout ce qui change ne devrait pas l’être. Je dis en revanche que ceux qui lui disent que rien ne pourrait changer, et qu’il est légitime de haïr, et que nous disparaissons, et qu’il faut partir en guerre, sont des salauds, ou des inconscients, et des pousse-au-crime : de véritables anti-français, pour le coup.

On t’objectera que, quand le préfet Érignac a été tué, des dizaines de milliers de Corses ont défilé pour dire : « Pas en mon nom ! » Il se trouve que Mohamed Merah, Ben Laden et bien d’autres se réclament de la même religion que tes sympathiques amis salafistes. Du coup, je ne vois vraiment pas ce qu’il y a d’infamant à demander à cette majorité (un peu trop), silencieuse de nous rassurer.

Je crois que l’injonction faite aux musulmans de France de manifester contre le terrorisme est plutôt une assignation à culpabilité. Ce qui terrifiait les Corses, c’était ce que leur société avait produit, ce que le renouveau culturel, la renaissance corse, avaient enfanté… Les musulmans de France ne sont pas une société, ni un groupe, ni une antenne de l’Oumma [communauté des croyants] sur notre sol, mais des Français, à qui je ne demande rien d’autre plus qu’à toi.
Mon ami salafiste, comme tu dis, déteste la violence et les violents, et d’autant plus qu’ils se réclament de l’islam. Il le dit publiquement. Comme plein de gens.
Quant aux imbéciles qui vantent Merah, ou aux salauds qui les y incitent, ou aux criminels qui veulent les entraîner à sa suite, il faut les traiter en imbéciles, en salauds et en criminels, à chacun sa place, sans état d’âme. Mais les musulmans de France n’en sont pas collectivement responsables ou comptables.

Il y a vingt ans, l’idée que la France pouvait et devait fabriquer des Français nous aurait rassemblés. Que s’est-il passé ? Pourquoi considères-tu aujourd’hui qu’il est islamophobe de demander qu’à Rome, on fasse un petit peu comme les Romains… ?

Ni toi ni moi ne sommes romains. Et les musulmans, fussent-ils orthodoxes, font France et sont français. Nous divergeons ici. C’est la preuve, tu as raison, que les temps ont changé et ont séparé les antiracistes des temps heureux.

As -tu conscience que tu risques de nourrir l’islamophobie que tu veux combattre ? Ce n’est pas une raison pour condamner ton livre, mais je crois que Marine Le Pen va l’adorer, qui se réjouit de l’islamisation…

Je crois que Marine Le Pen préfère les pétitions de mes amis de Marianne, qui demandent l’interdiction professionnelle des femmes voilées dans les crèches à ce que j’écris.
Elle préfère la description absurde et apocalyptique de la société française que produit, par exemple, le Haut Conseil à l’intégration, à ma vision d’une France optimiste, fluide et contradictoire Par ailleurs, je constate avec regret que l’islamophobie n’a pas été inventée par l’extrême droite, mais portée, en grande partie, par le camp progressiste et républicain, à force de peurs et de bonnes intentions perverties. Ce qui me terrifie politiquement, c’est que l’islam en France est le sujet qui aura permis à Le Pen de parler, en gros, comme Lévy, Finkielkraut, Chevènement, Copé, Valls, Giesbert, Badinter ou Glavany… De cette rencontre baroque, involontaire mais réelle, naît un malheur français. Le malheur de tous les Français.[/access]

Claude Askolovitch, Nos mal-aimés. Ces musulmans dont la France ne veut pas, Grasset, 2013.

*Photo : WITT/SIPA. 00616939_000008.

Octobre 2013 #6

Article extrait du Magazine Causeur



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