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Le magazine Têtu dénonce un gouvernement composé de personnes “haineuses”

La norme est morte, vive la norme !


Le magazine Têtu dénonce un gouvernement composé de personnes “haineuses”
Caroline Cayeux, 4 juillet 2022, Paris © ISA HARSIN/SIPA

Ce 11 juillet, le magazine Têtu proclamait sa vertu et lançait une grande pétition « pour un gouvernement sans LGBTQIAphobies »


Extrémiste de la pondération, templier du moindre mal, le président de la République a contre toute attente nommé Caroline Cayeux ministre chargée des Collectivités territoriales et Christophe Béchu au ministère de l’Écologie et de la transition écologique. Par ailleurs, Gérald Darmanin a obtenu le portefeuille des Outre-mer.

Tristement célèbres des partisans du Bien, ces trois réfractaires au Mariage pour tous figurent donc désormais dans le collimateur de la bonne-conscience têtue du magazine éponyme. 

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Entre autres cadavres déterrés, celui-ci rappelle dans l’exorde larmoyant de sa pétition le crime de lèse-lobbying de Caroline Cayeux. Lorsqu’elle était sénatrice en 2012, elle disait au sujet du Mariage pour tous qu’il était « une ouverture de droit irrespectueuse de la nature et insensée ». Le magazine s’exempte de toute contestation argumentée, et ces propos de Madame Cayeux suffisent apparemment à en faire un « porte-voix du mouvement de la haine et du rejet ». Le Mariage pour tous serait en péril. « Comment croire que ce gouvernement (…) garantira la liberté de genre quand (il) comporte trois LGBTQIAphobes notoires ? ». S’ensuit alors la liste des signataires refusant « la participation de personnes haineuses LGBTQIAPhobes au gouvernement »

La “liberté de genre”, nouveau combat de Têtu

En substance, nous avons une revendication : « la liberté de genre », et une accusation tenant lieu d’argumentation contre les trois ministres de l’Apocalypse, « porte-voix du mouvement de la haine et du rejet »

Interrogeons la revendication. Liberté, j’écris ton nom (sur tout ce que l’on voudra) clamait Eluard à qui Paul Valéry répondait « Liberté, c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent, qui demandent plus qu’ils ne répondent ». Liberté, un de ces mots qui sonnent creux autant qu’ils résonnent trop. En réalité, la « liberté de genre » que revendique Têtu est une licence, le droit de faire ce que l’on veut du moment que cela n’empiète pas sur celui d’autrui. Définition libérale de la liberté née au XVIème siècle après le traumatisme des guerres de religion : elle succède à la liberté des « anciens », disait Constant, c’est-à-dire à la faculté politique de déterminer ensemble le Bien commun, une identité de valeurs fédératrices. Or au XVIème siècle, la Réforme protestante et l’éclatement des valeurs, le dissensus idéologique au sein d’un même État ont brisé la paix de l’équation « Une religion, un État ». Ce trauma initial est l’acte de naissance du libéralisme moderne : depuis, les valeurs sont l’objet de l’arbitraire individuel. À moins d’une nouvelle guerre civile nous avertissent les libéraux, il n’est plus question de prétendre privilégier certaines valeurs sous l’égide d’un Bien Commun dont nous déterminerions ensemble la teneur concrète, et autour de laquelle nous édifierions une identité nationale. La liberté libérale devient alors le porte-étendard de l’empire du moindre mal, et de l’abandon progressif de toute axiologie. Dans ce bain cotonneux de l’indifférence généralisée, tout se vaut du moment que rien ne prétend s’imposer. Pour l’inconscient de la bien-pensance médiatique, oser affirmer comme le fait Madame Cayeux que le Mariage pour tous est « une ouverture de droit irrespectueuse de la nature » serait comme dans le monde des goûts et des couleurs mettre Raphaël au-dessus de Jeff Koons. 

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On comprend alors que les progressistes poussent des cris d’orfraie devant ce dogmatisme fascisant pour qui toute forme d’union matrimoniale n’est pas également souhaitable. L’évocation d’une norme n’est-elle pas le dangereux rappel des guerres civiles du XVIème siècle ? Surtout, le rappel de cette norme qu’est la nature pour affirmer la tendance innée à l’hétérosexualité semble un crime de lèse-liberté, une infraction au droit qu’a l’homme moderne de déterminer arbitrairement ses valeurs et changer comme il le souhaite son identité. 

Liberté éclairée et liberté d’indifférence

Mais comme toujours, deux poids deux mesures. Descartes nous parle de deux libertés : supérieure, la « liberté éclairée » se dirige vers un bien qui dépend aussi peu d’elle que l’universalité de la raison dont elle se revendique. Inférieure, la « liberté d’indifférence » consiste à pouvoir choisir au hasard, c’est-à-dire indifféremment de tout motif rationnel déterminant. Nos postmodernes vertueux préfèrent celle-ci à celle-là. 

Mais une combinaison de dés aléatoirement issue d’un lancer peut-elle encore se dire libre d’être ce qu’elle est ? Sans relever de la nécessité, le hasard ou l’indétermination quantique sont-ils pour autant redevables de la « liberté » ? C’est ce que voudrait nous faire croire Sartre, et le magazine Têtu. La distinction entre genre volontariste et sexe biologique relève de ce fantasme d’une liberté absolue. Celle-ci me permettrait de décider de ce que je suis comme un enfant roi (né en pleine vogue sartrienne : coïncidence ?) délivré de l’autoritarisme parental des traditions, de la nation, du sexe biologique et autres déterminismes désormais obsolètes.  Revendication libérale d’un « décider de qui je suis » qui entre pourtant en patente contradiction avec le déterminisme prôné par l’intersectionnalité : l’essence du mâle blanc cisgenre occidental est sa tendance oppressive irréductible, quelles que soient les dénégations qu’émet pompeusement son illusoire liberté. Ainsi, soit je suis libre de décider de mon genre indépendant de toute norme comme une combinaison aléatoire de dés le serait, soit je suis entièrement déterminé par mon identité socio-culturelle, en l’occurrence elle du mâle blanc oppresseur. Mais dans le cas de la décision arbitraire comme dans celui d’un déterminisme tout-puissant, toute valeur normative est évacuée. À moins que la seule légitime soit justement celle d’une absence de norme supérieure. Il est interdit d’interdire, car la norme est l’absence de norme : à cela, nous pourrions objecter la contradiction irréductible de cette forme éminente de relativisme. Si tout est relatif, le « tout est relatif » ne l’est pas, donc, tout n’est pas relatif. 

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Vouer Madame Cayeux aux gémonies fascistes parce qu’elle parle du Mariage pour tous comme d’une « ouverture de droit irrespectueuse de la nature », c’est opposer à sa norme de facto dénoncée comme un archaïsme totalitaire ce qui n’est pas moins une norme, celle du refus de toute norme !

Mais celle que Madame Cayeux assume revêt au moins le mérite d’une prudente acceptation de notre finitude, contre la boite de Pandore transhumaniste qu’est la norme du refus de la norme : après le Mariage pour tous, la GPA… Celle-ci n’est-elle pas également une torche de la liberté libérale, pudique cache-sexe de la marchandisation des corps ? Qu’on ne soit pas dupe. Derrière le libéralisme des mœurs se terre souvent l’intérêt économique bien compris, et nos pétitionnaires progressistes de Têtu sont bien pris qui croyaient prendre.



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Professeur de philosophie

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