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Claude Rich est Monsieur Jadis

"Monsieur Jadis", un film de Michel Polac (DVD L’Œil du Témoin)


Claude Rich est Monsieur Jadis
Claude Rich dans une scène du téléfilm "Monsieur Jadis" réalisé par Michel Polac d'après le roman d'Antoine Blondin © JACQUES CHEVRY / Ina / Ina via AFP

Le roman d’Antoine Blondin adapté à la télévision par Michel Polac en 1975, enfin disponible en DVD


Tout le talent de Michel Polac (1930-2012) n’y fait rien. Monsieur Jadis ou l’école du soir, roman d’Antoine Blondin paru en 1970 à la Table Ronde était inadaptable par nature, que ce soit au cinéma ou à la télévision. L’objet était inflammable et souterrain. Ce livre se propage en nous à la manière d’un rhizome, tissant des ramifications puissantes, creusant peu à peu le puits du désarroi, alors que l’écran se contente d’aplatir l’imaginaire. À moins de la trahir complètement ou de s’en extraire totalement, cette autofiction bicéphale pleine de chausse-trappes perfuse une mélancolie insoutenable, voguant entre l’aigreur aristocratique et le rire troupier, le souvenir d’un être cher et la mésestime de soi, dans un entre-deux que l’image est incapable de saisir. Elle manque de doigté donc de sensibilité. Là où les lettres ensemencent l’esprit, l’image réduit ou grossit la fiction à sa seule fonction déclamatoire.

L’amitié céleste de Roger Nimier

La lecture ouvre les vannes, la télé les canalise. Bon élève, respectueux du texte jusqu’à l’ascèse, vénérant cette prose si délicate, Michel Polac s’est refusé à profaner l’œuvre de Blondin. Que fallait-il faire ? Tailler à la hache ou suggérer, transposer ou épaissir, au risque de dénaturer ce merveilleux agencement des mots. On comprend l’extrême pudeur de Polac à s’octroyer le droit au saccage. Il y aurait eu une forme de sacrilège à vouloir déranger l’ordonnancement d’une telle errance vagabonde, succession de saynètes titubantes où le héros part à la recherche de son identité perdue, autant confession d’un ratage programmé qu’ode à l’amitié céleste de Roger Nimier. La soulographie est un art flou, Blondin en maîtrisait toutes les nuances et la griserie. Les voies de l’ivrognerie ne sont-elles pas impénétrables ?

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Hypnotisé par cette composition française, le réalisateur colle un peu trop au livre, ne réussissant jamais vraiment à rendre au spectateur ce que l’écrivain avait donné au lecteur. Le charme de la disgrâce, la volupté de la terre brûlée. Blondin travaillait dans les interstices, dans l’indicible effroi qui ne quitte pas celui qui a failli comme père, comme artiste ou comme amant, celui qui vit en permanence avec sa pénitence. Ce désenchantement amer si familier aux Hussards est un but presque inatteignable. C’est pourquoi Polac est largement pardonné dans sa tentative d’adapter Monsieur Jadis. Le héros et son double sont déchirants, écœurants, ridicules et inconsolables ; ils sont soutenus par l’esthétique de l’échec (en cascade); prisonniers d’une enveloppe qui les déçoit profondément. C’est l’histoire d’un homme inapte au bonheur, noyé volontaire, abonné à la défaite par manque de caractère et aussi, par haute exigence littéraire. Cette rareté télévisuelle enfin en DVD sort en même temps qu’un autre téléfilm méconnu de Polac: « La Sourde Oreille » de 1980 avec Charles Denner, Jean-Luc Bideau et Judith Magre. « Monsieur Jadis » est le sixième épisode de ce « ciné-club TV » édité par L’Œil du Témoin après notamment les excellents, « Bartleby » de Maurice Ronet ou « Le Moustique » de Maurice Frydland.

De riches suppléments

Les suppléments de ce DVD sont bien garnis : « La Politesse du désespoir », un documentaire inédit de Roland-Jean Charna avec la participation d’Alain Riou et d’Alain Cresciucci évoque avec beaucoup de justesse la figure de Blondin. Il ne sort pas indemne de cette fine analyse. Le téléfilm diffusé le 18 décembre 1975 à 20h30 sur Antenne 2 s’apparente à une lente déambulation qui offre le plaisir de revoir un Paris non défiguré, dans ses tons grisâtres et populistes, dans le décor dépouillé des bistrots et des commissariats de quartier. Polac a choisi Claude Rich (1929-2017) pour interpréter Blondin, il en a la rêverie féconde, le regard vague et la diction florentine. Comme le soulignent les intervenants dans le bonus, Rich est probablement moins à l’aise dans la cuite pathétique et la débauche guignolesque. Son élégance l’immunise contre les outrages de l’alcool. Il garde à son personnage une dignité assez étrangère à Monsieur Jadis/Antoine Blondin dont les excès et les coups de poing dans les bars n’apportaient rien de plus à la légende, si ce n’est l’irrémédiable fuite en avant. Son œuvre qu’il qualifiait de mince (sans y croire) suffit à le surclasser dans les manuels de littérature du XXème siècle. La relation avec la mère (Germaine Blondin jouée par Elina Labourdette), poétesse primesautière à l’optimisme aveuglant est particulièrement touchante.

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Si l’on ajoute à ce tableau nocturne la présence d’Hubert Deschamps dans le rôle d’Albert Vidalie, l’apparition furtive d’Edith Scob, celle du regretté Henri Czarniak et même celle d’Antoine Blondin lui-même en veste Adidas à la démarche pâteuse, ce téléfilm a le charme fracassé des enfants qui refusent de grandir conformément à la dernière phrase du roman : « Sous ma défroque du Jockey-Club, je viens de le décider : je serai un de ces vieux messieurs qui ont gardé le cœur jeune ».


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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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