À qui le tour?

Chronique de la cancel culture


À qui le tour?
D.R.

Les « annulés » du mois de mars. Ce qui semblait une mauvaise blague est devenu un fait social. Chaque mois, de nouveaux accusés – parfois improbables – sont purement et simplement « effacés de la photo » comme dans les meilleures années du stalinisme. Motif ? Ils sont jugés « offensants » par les tenants de la cancel culture.


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Marieke Lucas Rijneveld

Chef d’inculpation : Trop blanche

Une Blanche pour traduire le texte d’une femme « résolument noire » ? Vous n’y pensez pas ! Dans une tribune enflammée, la militante racialiste Janice Deula dénonce le « choix incompréhensible » de confier à l’écrivaine néerlandaise Marieke Lucas Rijneveld la traduction de la jeune poétesse afro-américaine Amanda Gorman. Pourquoi un tel courroux ? Parce que, « blanche, non binaire », elle ne serait pas la bonne personne pour traduire une poétesse « jeune, femme et résolument noire » (sic). Cette mauvaise plaisanterie aurait dû, au pire s’arrêter là, au mieux être poursuivie pour racisme et discrimination liée au genre. Mais la tribune a été partagée, relayée, citée. Sous la pression, Marieke Lucas Rijneveld a annoncé qu’elle jetait l’éponge… Espérons que son cas ne fera pas jurisprudence et qu’on ne demandera pas aux traducteurs d’avoir la même couleur de peau, le même âge, le même genre, la même taille, la même corpulence, le même style et, pourquoi pas, le même lieu de naissance que les auteurs dont ils traitent les œuvres.

À lire aussi: Pays-Bas: jugée trop blanche, Marieke Lucas Reineveld renonce à traduire l’œuvre de Amanda Gorman


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Le Dr Seuss

Chef d’inculpation : Personnages stéréotypés

C’est le président Biden himself qui a donné le coup de semonce. Tandis qu’il proclamait ouverte, le 2 mars, la traditionnelle journée nationale de la lecture aux États-Unis, les Américains ont pu constater que le « Dr. Seuss Day » avait été renommé « Read Across America Day ». Le nom du Dr Seuss, grand auteur de littérature enfantine qui a donné son nom à l’événement – également programmé le jour de sa naissance – n’a pas été prononcé une seule fois dans le discours présidentiel. En prime, le même jour, six de ses ouvrages étaient retirés de la vente, la société gestionnaire des droits d’auteurs estimant qu’ils « dépeignent des gens de manière fausse et blessante ». Qu’est-il reproché à cet homme qui fut, dès la fin des années 1930, un caricaturiste engagé dans la lutte antifasciste, antinazie et anti-isolationniste ? Pratiquement rien, sinon quelques dessins jugés « stéréotypés ». Principalement un garçon chinois avec un bol et des baguettes, et deux Noirs vêtus d’un seul pagne. De fins analystes prétendent aussi que son célèbre « Chat chapeauté », noir à tête blanche, constituerait un cas avéré de blackface. C’est grave, docteur ?


Pépé le putois

Chef d’inculpation : Comportement inapproprié

Les coupeurs de tête de la cancel culture ne se contentent pas de juger les hommes : ils intentent aussi des procès aux animaux, comme les obscurantistes aux singes au siècle dernier. Cette fois, l’accusé est un putois. Pépé de son nom, personnage de dessin animé de son état, il passe le plus clair de son temps à poursuivre ses proies féminines sans aucun succès. Comme l’atteste son accent, Pépé est français : il symbolise donc, aux yeux des puritains américains, la quintessence du machisme made in France. Ce comportement sexiste a été brocardé dans un article du très sérieux New York Times, le petit animal y étant accusé de « normaliser la culture du viol », pas moins ! Pourtant, par son aspect grotesque, Pépé le putois ne plaidait pas la cause de la drague lourde, loin de là ! On ne riait pas avec lui, on riait de lui. Mais qu’importe, pour les censeurs d’outre-Atlantique, l’essentiel est qu’on ne rie plus du tout. L’indésirable a été coupé au montage des prochaines productions Looney Tunes. Le débat est ouvert : faudra-t-il aussi annuler Gros Minet pour tentatives de meurtre répétées contre Titi et Bip Bip pour excès de vitesse et mise en danger de la vie d’autrui ?


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La notation musicale

Chef d’inculpation : Suprématisme blanc

À Oxford, la musique n’adoucit pas les mœurs. Selon des documents internes recueillis par le Daily Telegraph, le personnel de la prestigieuse université britannique craint d’être soupçonné de « complicité de suprématisme blanc » dans les programmes de musique. En ligne de mire, « la musique européenne blanche de la période esclavagiste » portée par des compositeurs peu recommandables de l’acabit de Messieurs Mozart et Beethoven. L’an dernier, la Symphonie n° 5 était sur la sellette, accusée de « favoriser l’exclusion » en véhiculant les signifiants des « hommes blancs et riches ». Les professeurs d’Oxford vont plus loin, et préconisent carrément d’en finir avec la notation musicale qui n’aurait, selon eux, « pas rompu le lien avec son passé colonial ». Clé de sol, dièse ou double croche seraient autant de « gifles » pour certains étudiants. Et encore, le document ne dit rien sur les discriminations dont sont victimes les notes noires, qui valent toujours deux fois moins que les blanches ! Devant la « grande détresse » où sont placés les « étudiants de couleur », les professeurs d’Oxford appellent de leurs vœux un nouveau solfège « plus inclusif ». Pas de bémol à la bêtise !

À lire aussi: L’Université d’Oxford va-t-elle bannir la «musique blanche et colonialiste»?


Et aussi…

– Annie Cordy, controversée dans le débat sur le nouveau nom à donner à l’ex-tunnel Léopold II, pour le racisme supposé de sa chanson Chaud Ka Ka O.

When Harry Became Sally de Ryan T. Anderson, retiré d’Amazon pour avoir proposé une approche scientifique de la transsexualité évidemment jugée « transphobe ».

Certaines cartes « caisse de communauté » du Monopoly, en particulier celles qui attribuaient un prix à un concours de beauté, seront remplacées par des cartes écologiques et solidaires.

L’Enfer de Dante, expurgé dans sa nouvelle version néerlandaise des passages où figure le prophète Mahomet.

Le présentateur Piers Morgan, débarqué de la chaîne britannique ITV pour insensibilité notoire : il avait douté de la sincérité des idées suicidaires de Meghan Markle.

Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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Consultant en communication et relation publique

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