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Respect!

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


Respect!
© Soleil

On insulte un homme, on ne peut pas offenser une croyance ou une idée… En France, Dieu merci !, on a encore le droit de traiter son voisin d’imbécile – on appelle ça: l’égalité.


Le mépris, le dédain, la rébellion, etc.

C’était depuis Mai 68 un mot un peu rance et galvaudé pour toute une génération – la mienne –, mais il a repris des couleurs jusque dans la langue des banlieues. « Respect ! », c’est dire : « Je m’incline. »

Le respect parle au-dessus de la crainte. Respecter, ce n’est pas aimer, ni admirer, ni se prosterner face contre terre. On se respecte quand on a une haute idée de soi. On respecte (ou pas) un homme – un aîné, une femme, un enfant –, au-delà de ce qu’on leur doit ou de l’autorité qu’on leur prête. On ne respecte pas un tortionnaire, un dictateur ou un traître, on les craint seulement.

Le contraire du respect, c’est le mépris : un exil hautain et volontaire ; on se sent supérieur, on se croit pur, on veut en finir – il faut être Chamfort pour voir dans le mépris une forme de charité. Préférable : le dédain, qui est aussi un exercice solitaire – moins une morale qu’une esthétique. On n’est aristocrate qu’en songe !

Toujours possible : la rébellion, qui s’oppose à la paresse, à condition de ne pas devenir une pose. Quant à l’irrespect, c’est le privilège de la jeunesse – la maladie infantile des petits raisonneurs quand ils s’efforcent de grandir.

En France, on a le droit de traiter son voisin d’imbécile – on appelle ça : l’égalité. Une conviction, une croyance, une idée, c’est autre chose, on l’approuve ou on la combat, on la partage ou on la rejette ; on peut s’en moquer, elle reste intacte. On insulte un homme, on ne peut pas offenser une conviction, une croyance ou une idée – sinon par ivresse ou par ignorance, ce qui ne vaut rien.

L’intellectuel

« Ce qu’on croit vrai, il faut le dire et le dire hardiment ; je voudrais, m’en coûtât-il grand-chose, découvrir une vérité faite pour choquer tout le genre humain : je la lui dirais à brûle-pourpoint », professe Joseph de Maistre. À sa façon, Flaubert dit la même chose : « Moi aussi je me sens parfois bien vieux, bien las. N’importe ! – je continue et je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé quelques pots de merde sur la tête de mes semblables. » (Lettre à Tourguéniev, 8 novembre 1879)

Et si c’était ça, un intellectuel ? Rien d’aimable.

Un emmerdeur. Un fanfaron. Un vidangeur – et un jardinier. Quelqu’un qui pense à rebours des slogans et trouble l’ordre public. Ni un groupie ni un sniper, comme le suggère la mode actuelle – un trublion. Son arme ? Le style – étymologiquement, un poignard. Une dague plutôt qu’un gourdin.

On reconnaît un Péguy, un Mauriac, un Muray, à ce qui d’emblée les sépare de la foule : leur indépendance, leur solitude souveraine, leur puérilité parfois, leur culot – une posture intellectuelle qui ne manque pas de surprendre et d’agacer : « Moi tout seul contre le reste du monde » !

Refuser de se taire. Résister à la pente du : « je like » ou « je lapide ». Encore mieux me direz-vous : l’ironie silencieuse. Se sauver de la malveillance par un sourire ? Oui, mais en restant à l’écart, on ne sera pas entendu. L’abstention est un péché d’orgueil. Il faut descendre dans l’arène – à ses risques et périls – en sachant que le public est avide de sang frais.

Dogmes

Aujourd’hui, dire ce qu’on pense, penser ce qu’on dit, tout haut, cela devient risqué, mais ce n’est pas encore pendable, streng verboten ! comme en Russie, en Iran ou en Chine – il faut seulement du courage, et de la ruse, l’intelligence ne suffit pas.

Quand s’impose une croyance par la peur ou par la force, fût-ce celle de la majorité, ce n’est plus une croyance, c’est un dogme. L’idéologie, qu’elle soit politique ou religieuse, repose sur des dogmes affichés ou implicites, ce qui permet de s’entre-tuer en toute quiétude. Une Révolution, un schisme, c’est quand on change de dogmes. Ça ne tue que mieux – pas les mêmes ! Les exécuteurs de basses œuvres ont l’art de s’adapter ; aussitôt les médias les recrutent.

Ce qui est le plus difficile, c’est de respecter l’autre, c’est-à-dire d’accepter qu’il ait des idées qui s’opposent aux miennes – le principal obstacle étant de se croire chacun délivré de tous les dogmes.

Un seul remède, le rire

Le rire est le propre de l’homme, mais ça s’apprend. Il faut être capable de rire de tout si l’on veut pleinement remplir son devoir d’humanité[tooltips content= »Je signale à ce propos un livre éclairant de Jean-Noël Allard, La Cité du rire : politique et dérision dans l’Athènes classique (Belles-Lettres). On vante à Athènes la parrhèsia – la liberté de tout dire. L’auteur qui fait joyeusement dialoguer Aristophane et Bourdieu, Habermas et Démosthène, décrit une société profondément structurée par le rire – joutes, invectives, railleries, caricatures, insultes. L’un des fondements oubliés de la démocratie ? »](1)[/tooltips]. Respecter autrui, ce n’est pas vouloir l’empêcher de rire, fût-ce du Fils de Dieu ou du Prophète – ce qu’Ils ne sont que pour vous –, même si cela vous blesse.

L’un dira : je doute. L’autre : je sais. Un troisième : je crois. Un quatrième : allez vous faire foutre ! C’est leur droit.

On se parle, on s’interpelle, on s’écharpe entre Gaulois, mais ne rêvons pas : c’eût été un dialogue de sourds entre Montaigne et Pascal, s’ils s’étaient rencontrés !

Les opinions – la concurrence des mémoires, des désirs, des intérêts –, quel bazar ! Les autocrates de tout poil ont beau jeu de considérer les démocraties occidentales comme suicidaires et atteintes de gâtisme – on fait tout pour leur donner raison.

Aujourd’hui, celui qui pense comme moi, je l’appelle mon « ami », c’est idiot – un « follower » n’est pas un « ami » !

L’adversaire

Mon seul adversaire, c’est celui qui veut m’empêcher de vivre et de penser autrement que lui. Il a plusieurs visages : mauvais perdants façon Trump, Salieri de toutes obédiences – quoi de plus vindicatif que la médiocrité vexée ! –, censeurs hypocrites, statisticiens pékinois, sentinelles moscovites, sociologues émues, flaireurs de bidet, chercheurs de poux, procureurs envieux ou guérisseurs jaloux qui vous parlent du cœur comme on parle du nez et qui éternuent en regardant la lune.

Relire Molière pour ne pas s’attrister.

Quel pire tyran que Tartuffe ? Orgon, on le sait, parce qu’il est sincère, le bougre.

Mars 2021 – Causeur #88

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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