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Le cas Robespierre

Un projet de musée à Arras ne fait pas l'unanimité


Le cas Robespierre
Robespierre (1759-1794). Gravure du XIXᵉ siècle © ABECASIS/SIPA Numéro de reportage: 00554496_000050.

La ville natale de Robespierre, Arras, s’apprête à célébrer le Révolutionnaire. Contestable et parfois ridicule sur la forme, cette célébration pourra-t-elle néanmoins aider à la réévaluation en cours du rôle historique de l’Incorruptible?


Adulé par les faubourgs pendant la Révolution, Robespierre n’a pourtant donné son nom à aucune artère parisienne. Le projet avait été soumis à Anne Hidalgo qui l’avait jugé « peu consensuel ». La ville d’Arras voudrait réparer cet oubli, en honorant le député artésien et enfant du pays d’un musée au lieu même où il est né.

Envoyant Danton, Hebert ou Brissot à la guillotine, il a associé son nom à la Terreur et aux débordements de la Révolution. Il a aussi défendu la plèbe en exigeant qu’elle ait son pain.

Retombées touristiques

Robespierre défiait ainsi une confiscation élitiste et bourgeoise de son soulèvement. Héros ou monstre selon les mémoires, le projet se veut lui « historique », animé du noble (et pontifiant) souci de « replacer l’homme dans son contexte ». Renonçant à toute cohérence idéologique, c’est d’ailleurs une mairie centriste qui en est l’auteur. L’UDI est-elle devenue une formation « incorruptible » ? Le territoire attendrait surtout des retombées touristiques.

Et le Pas-de-Calais n’a pas (encore) réputation d’être une terre d’exil. Hélas, son terroir est pauvre en souvenirs. La mémoire locale est habituée à confondre l’âge d’or avec la fosse à charbon. Ainsi on patrimonialise les mines, comme pour éveiller l’étrange nostalgie d’une époque où la silicose épargnait rarement les survivants du coup de grisous.

Selon le journal Libération, lequel cite « la légende », l’ancien maire Jean-Marie Vanlerenberghe aurait consenti au projet après un voyage en Australie. Un touriste lui aurait lancé « Vous venez d’Arras ? La ville de Robespierre ! » Interrogé par le quotidien, un ancien professeur d’histoire et promoteur du projet, Alexandre Cousin assure en expert « un T-Shirt Robespierre cartonnerait ! » Lourdes a ses boules de neige « Bernadette de Soubirous », Ajaccio ses mugs « Bonaparte »… Alors pourquoi pas demain des mini guillotines « Robespierre » pour les fumeurs de cigare ?

Reliques

Mais avant les produits dérivés, quelques reliques seraient exposées au futur musée, comme pour y faire des miracles : des lettres plus ou moins passionnantes, un manuscrit, le tout signé Robespierre et même son acte de baptême – pas sûr cependant que cette dernière relique soit efficace au regard dont l’enfant aspergé a honoré sa promesse chrétienne. Il eut la main lourde pour fermer des églises et enfermer des prêtres réfractaires à la République ou punir ceux qui les suivaient.

Aussi, le projet qui entend « autant aborder la légende noire que la légende dorée » ne convainc pas tout le monde. Libération nous apprend qu’un ancien adjoint au patrimoine compare Robespierre à Hitler… La légende noire en a fait le précurseur du totalitarisme. Mystique de pureté, l’homme aurait été exalté par son propre amour de l’intelligence. Il l’idolâtra jusqu’à instituer pour elle le culte de la Raison – et finalement lui sacrifier par milliers opposants, amis et révoltés. Insistant sur son magnétisme et sa volonté perverse, on lui attribue les dix-sept mille morts de la Terreur, la loi des suspects, les noyades de Nantes et une certaine martyrologie contre-révolutionnaire qualifie les massacres de Vendée de « génocide ».

Une réévaluation du rôle de Robespierre ?

Rompant avec les injonctions mémorielles, idéologiques et affectives, l’histoire est depuis revenue sur cette vision des faits. En vérité, Robespierre semblait dépassé par le mécanisme dont il fut l’auteur en même temps que la victime. Perdant du combat intérieur qu’il menait de front avec un combat extérieur, il ne fut maître d’aucun de ses drames ; alors que dans l’histoire, les guerres civiles et étrangères attisent toutes les mauvaises volontés et hystéries collectives.

La Terreur visait à canaliser les violences que la révolution ne contrôlait plus. Ses chefs avaient joué avec le feu promettant au peuple des têtes, du sang, de la vengeance… lequel s’est finalement servi lui-même et l’horreur des massacres de septembre avait terrifié l’Europe.

Tout ce qu’il eut à assumer n’était pas de son fait – c’est la responsabilité, et parfois le drame, très ingrate du politique. C’est en tout cas toujours sa charge. Et on peut penser que celle du gouvernement de la France était un peu trop lourde pour l’avocat d’Arras – qui pourtant s’en contentait mal puisqu’il aurait voulu étendre sa Révolution à l’Europe entière.

Une patrimonialisation qui est un contresens

Aussi il fut incapable de prévenir l’évolution despotique de la révolution comme son horreur. Elle ne doit en tout cas rien – ou si peu – à la personnalité ou sa psychologie, finalement bien moins intéressante qu’on ne l’a pensée. Le musée entend revenir sur les lieux de sa formation et de son enfance. Intéressante en psychanalyse, la démarche est d’un faible intérêt en histoire. A l’image du projet :une imbécile patrimonialisation régionaliste du jacobinisme, lequel entendait niveler les droits et originalités provinciales de la France.



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