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Libertinage: que la fête recommence !

Enquête sur nos ardeurs déconfinées


Libertinage: que la fête recommence !
Bologne (Italie), 16 mai 2020. © Roberto Brancolini/IPA/SIPA

Avec le confinement, l’industrie du sexe a fait grise mine. Passés ces deux mois de frustration et de lassitude, maîtresses, soumis et échangistes brûlent de retrouver les lieux de libertinage. 


Le confinement a eu ceci de charmant qu’il a permis moult théories sur nos comportements amoureux et pratiques sexuelles, théories délivrées des contraintes habituelles du réel. Tablant sur notre besoin de sécurité affective, les psys, à commencer par Boris Cyrulnik, prédisaient ainsi le renouveau des amours romantiques, au moment même où les Français s’abandonnaient aux joies du papillonnage et de la consommation compulsive du prochain sur la Toile.

Pendant le confinement, la boulimie sexuelle a surtout frappé les célibataires coincés en solo chez eux

Les chiffres en témoignent : 38 % d’augmentation de visionnages de films pornos en France pendant le confinement, auxquels il faut ajouter une hausse de 27 % des messages envoyés au mois d’avril sur les applications Tinder, Meetic et OKCupid. La fonction « Passeport » sur Tinder, permettant de draguer à l’échelle planétaire en supprimant la géolocalisation, était jusque-là payante. Offerte en accès libre pendant la crise sanitaire, elle a permis à quelque 175 millions de personnes dans le monde de s’adonner aux jeux de l’amour à distance et du hasard numérique selon Group Match qui édite plusieurs applications de rencontres. Beaucoup ont sans doute cru à ces passions sans frontières se riant des obstacles. L’illusion, certes, n’a pas duré. Faut-il pour autant le regretter ?

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Un confinement bien dur

DJ à ses heures perdues et accessoirement de confession libertine, Martin, 33 ans, beau gosse au regard à la James Dean, parle de cette période dans une salve de rires : « Quand Tinder a débloqué sa fonction Passeport, ce fut de la folie à l’état pur. Je n’ai jamais autant tchatché. Mais entre les filles exotiques qui cherchaient des pigeons au portefeuille bien fourni et ces autres Américaines qui fantasmaient sur un French Lover, on était vite frustré et, au final, vite lassé. » Scrupuleusement respectées par les adeptes du libertinage, à en croire notre interlocuteur, les mesures sanitaires ont surtout bouleversé le travail des professionnels du divertissement charnel. Maîtresse Gladys, une dominatrice quadragénaire, a dû réviser sa stratégie commerciale : « J’ai passé deux mois à travailler sur ma communication, ma présence sur les réseaux sociaux et les sites, mais je n’ai reçu aucun client. Financièrement, c’est dur, même si je ne pense pas avoir perdu mon temps. » La branche, de plus en plus concurrentielle, a tenté de survivre à l’aide de la webcam et de scénarios de soumission adaptés aux circonstances. Là aussi, le virtuel a montré avec évidence ses failles et ses limites. « C’était délicat pour les clients confinés avec des familles », reconnaît Maîtresse Gladys, évoquant l’aspect logistique de l’exercice. La perspective d’arborer un collier clouté devant ses enfants pouvait dissuader les pratiquants les plus fervents, les spécificités psychologiques de la discipline rendaient d’autres plus méfiants encore : « Les soumis ont besoin de connaître la personnalité de leur dominatrice et à distance, cela ne fonctionne pas. Après tout, je vends mon emprise sur l’autre. Pour que les gens s’abandonnent, ils doivent avoir une confiance totale. » Une confiance revenue dès la levée du confinement, en dépit des risques de contamination. « J’ai un habitué âgé qui est venu en séance avec un masque pour aussitôt l’enlever sans la moindre inquiétude. Il n’y a pas d’échange de fluides en soumission, alors ça rassure », détaille Maîtresse Gladys. Son sens de la responsabilité lui a fait adopter des règles d’hygiène strictes bien avant que la pandémie ne pousse les Français à dévaliser le rayon savon des supermarchés.

Les célibataires coincés chez eux 

Ces précautions n’aident pas à faire revivre la grande fête charnelle.

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« Peu évident », admet Martin dépité, soulignant la frilosité des organisateurs de soirées privées et accusant avec peine la fermeture des boîtes de nuit jusqu’à septembre. « La fête de la musique a été un excellent révélateur de la fougue des jeunes. Les gens sont en attente, prêts à saisir toute occasion pour s’amuser et draguer », peste-t-il, convaincu que les habitués de la bringue dénudée ne songent qu’à revenir à Cap d’Agde. Plus que l’apparition hypothétique d’un cluster sur les plages réservées aux naturistes, il faut redouter selon lui les retards des trains, le trafic aérien incertain et les difficultés à se loger. Une réticence qui a pourtant peu de chances de profiter de nouveau à YouPorn ou aux sites de rencontres, tant l’emballement qu’ils ont provoqué, comme par surprise, semble épuisé. Pendant le confinement, estime Martin, la boulimie sexuelle a surtout frappé les célibataires coincés en solo chez eux – ce fut le cas de 27 % des Français. Mais plus personne ne semble prêt à se satisfaire de plaisirs solitaires devant l’écran. Le sexe et l’amour restent encore largement une affaire de peau, de regards et de contacts charnels. Au moins une part de la vie que le numérique n’aura pas.

Été 2020 – Causeur #81

Article extrait du Magazine Causeur




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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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