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Fact checking, quand la calculette remplace le cerveau


Voici une rubrique qui s’est installée dans notre intimité médiatique, sans qu’on y prenne gare. Et qui a vite fait des petits partout, sur internet mais aussi à la tévé et à la radio : le fact checking, en VF la vérification des annonces de nos politiques par la bonne statistique dénichée au fin fond d’une obscure étude de l’INSEE. Bref, il s’agit de traquer le mensonge, à J plus un ou deux de la connerie proférée généralement dans la fougue d’un débat, par un politique supposément approximatif.

Il faut lire ces rubriques : c’est encore moins drôle que les pages nécrologiques de la presse locale, dans lesquelles on apprend au moins le nom des petits-enfants et l’année de naissance de la mémé. Passons. On y traque le chiffre juste à la virgule près du nombre de chômeurs, d’agriculteurs, de jeunes aux chômages ou du taux d’imposition moyen en Basse-Saxe. Ces chiffres remettent à leur place des politiques perdus dans une argumentation de basse politique, appuyée sur les approximations fournies dans les fiches rédigées par des chargés de mission à peine pubères.

Pourquoi ces rubriques ? C’est une merveilleuse invention de la presse américaine qui depuis des années vérifie les dires des candidats à la Maison Blanche mais aussi à la mairie de Tampa, ou du moindre impétrant sheriff du Midwest. L’internet a également tout changé en donnant une visibilité énorme à ces singes savants installés au cœur des plus grands et plus anciens journaux américains.

Evidemment, la presse française qui manque encore plus d’imagination que de lecteurs mais se rêve néanmoins aussi géniale que les grands titres US, a introduit la discipline avec la ferveur du converti et l’humour du jésuite anachorète. Oubliant l’humour, et le reste. C’est-à-dire que si on veut être rigoureux avec la parole des autres, autant a minima l’être avec la sienne. Et faire un journal dans lequel on lui raconte des histoires. Ce pourquoi le pékin moyen accepte de mettre plus d’1,50 euros dans un truc qui tache les doigts, a du mal à se lire dans le métro et finira sous la caisse du chat. Parfaitement, des histoires, vraies tant qu’à faire, qu’il n’aura pas lues ailleurs ou entendues à la radio à 7 heures du matin en se rasant dans sa salle de bains.

Et le fact check, c’est tout sauf des histoires : c’est Wikipédia sans les fautes d’orthographe (quoique) et sans les poussées d’ego qu’on peut trouver dans certaines notices auto-écrites par le sujet de ladite note. Mais ne parlons pas de la presse, elle souffre suffisamment comme ça. Parlons plutôt de ce qu’on reproche aux politiques qu’on épingle dans ces rubriques : ils mentent, ils nous trompent, sont approximatifs sur les taux d’imposition couples monoparentaux ou les mesures de protection de la pipistrelle, le nombre de logements avec balcon construits en 15 ans, ou l’âge moyen de naissance premier enfant ? En vérité, on s’en fout. La politique ça n’est pas l’exactitude du Quid à chaque question, le débat n’est pas un Trivial Pursuit géant.

J’attends un sens, un élan, une direction, qui peut changer d’ailleurs. On appelait ça un roman national autrefois. Je rigole qu’on mette le ticket de métro à 4 euros, je n’en tire pas plus de conclusion que ça. Cette ministre ne sait pas, et alors ? Franchement, qui peut croire qu’elle paie avec sa petite carte bleue ses petits tickets ? On peut le regretter, il faudrait éviter de faire mine de s’en offusquer. D’autant qu’en se planquant derrière les faits, rien que les faits, le journaliste espère éviter la critique en (hou, hou !) populisme. Car comme disait le Maréchal, à moins que ce soit son homeboy Antoine Pinay, les chiffres, eux, ne mentent pas.

Au risque de me répéter, moi, j’aime qu’on me raconte des histoires. Dans les journaux, dans les campagnes électorales. Si je voulais des faits bruts, je m’abonnerais aux dépêches de l’AFP plutôt qu’au New Yorker et sur ma table de chevet, je remplacerais le dernier Quignard par le rapport annuel sur comptes de la sécurité sociale publié par La documentation Française. Et si je veux qu’on me raconte la vérité en politique, je vote Bayrou (nan je déconne), j’arrête la politique. En politique comme en maints autres territoires, j’ai depuis longtemps renoncé à ce qu’on ne me mente pas, tout ce que je demande, c’est qu’on le fasse avec grâce…



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est journaliste

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