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Sarkozy, où est ta victoire ?


Photo : The Prime Minister's Office

Sei Shonagon, une adorable jeune fille japonaise du XIème siècle qui vivait dans l’entourage de l’impératrice, est restée dans l’histoire pour ses Notes de Chevet. Elle y indiquait au jour le jour ses pensées ou ses émotions selon une classification précise : les « choses qui me font battre le cœur », les « choses qui me font rire », les « choses qui passent avec le temps », les « choses qui me mettent en colère », celles « que je ne comprends pas », etc…

C’est dans ces deux dernières catégories que j’aimerais placer, dans mes propres Notes de chevet sur le sarkozysme, ce que m’inspirent les récents développements de l’affaire libyenne.

Il paraît que la France et le Royaume-Uni ont gagné. Qui sait d’ailleurs si dans l’inconscient collectif des deux gouvernements, ce tandem old school n’a pas été une revanche sur l’expédition de Suez de 1956 ? A l’époque, l’URSS et les USA avaient assez fermement fait comprendre au corps expéditionnaire franco-britannique qu’il n’était plus que l’émanation de puissances moyennes désormais exclues du Grand Jeu…

Mais bon, admettons : nous sommes intervenus pour renverser un dictateur. On a sauvé Benghazi du massacre et c’est très bien, je l’ai même déjà écrit ici.

Quand, ensuite, les choses ont pris l’ampleur que l’on connaît, on a tout de même pu s’interroger sur les buts de guerre. La durée des combats et la persistance de nombreuses poches de résistance nuancent l’habituelle lecture manichéenne qui oppose les « admirables combattants de la liberté » aux « mercenaires sanguinaires au service d’un Ubu des sables ». Or, du côté de l’oasis de Bani Walid, de la ville des sables de Sebha ou sur le rivage de Syrte, malgré une situation militaire désespérée, on refuse toute les propositions de reddition et l’on se prépare à la minute prescrite pour l’assaut. Par allégeance tribale ou non, une part importante de la population reste ainsi fidèle à Kadhafi.

On se souvient sans doute, dans les états-majors occidentaux, du fameux triangle sunnite qui émergea comme un cauchemar pour les troupes américaines en Irak. Dès le 1er mai 2003, la victoire avait pourtant été proclamée par un George Bush martial, sur un porte-avions où il avait lui-même atterri, dans une incarnation parfaite du chef de guerre recevant les lauriers de César.

Heureusement, Sarkozy et Cameron ne sont pas superstitieux. Car ils reproduisent au geste près l’attitude du président américain qui avait vendu la peau de l’ours saddamite avant de l’avoir totalement tué, ce qui a couté la vie à des milliers de GI.

Les déclarations belles comme l’Antique de Nicolas Sarkozy demanderaient sans doute un peu plus de prudence, bien que l’odeur du pétrole soit décidément aussi alléchante que celle des droits de l’homme. Quand on s’exclame « Vive Benghazi, vive la Libye, vive l’amitié entre la France et la Libye », ça paraît beau comme du De Gaulle.

Le problème, c’est que les responsables du CNT ont quand même expliqué que la charia n’était finalement pas si mal pour inspirer, même de loin, une constitution. Et que le premier ministre turc Recep Erdogan vient lui aussi de rendre une petite visite de politesse en Libye, sans doute pour expliquer son concept d’islamisme modéré qui permet de faire passer la pilule aux investisseurs. Dans quelques temps, on demandera (en fait, non, on ne leur demandera pas puisqu’on ne leur demandera plus rien) aux femmes libyennes- longtemps considérées comme les plus émancipées du monde arabe- comment elle se sentent dans ce nouvel Etat pétri de liberté.

Encore une fois, c’est Bernard Henry Lévy qui le dit. Juste après la défaite des Taliban, il nous avait également expliqué que l’Afghanistan allait devenir une nouvelle Arcadie, sous la houlette de Karzaï, nouveau champion du progrès et des Lumières, par ailleurs un peu aidé par les armées occidentales. On allait construire des écoles, des hôpitaux, des routes, une ENA et faire émerger une classe moyenne cultivée en un rien de temps. Depuis, on mesure chaque jour à quel point ce programme merveilleux a tout changé là-bas. Puisque la mission est accomplie, on va même s’en aller et laisser les Afghans à leur nouveau bonheur.

Dans la classification de Sei Shonagon, on passe alors des « choses que je ne comprends pas » aux « choses qui me mettent en colère ». Pour avoir gardé un excellent souvenir de mon service militaire à Saint-Cyr, y avoir vu des jeunes gens qui, en pleines années 80, préféraient la carrière des armes à une carrière tout court, j’éprouve une certaine sympathie pour l’armée. Même depuis la fin de la conscription, elle reste l’une des dernières institutions profondément républicaines, à laquelle, à droite comme à gauche, on voudrait même confier l’encadrement des délinquants.

Or, notre armée a perdu soixante-quinze hommes, tués par les cousins germains des « rebelles » pour lesquels on a massivement bombardé la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Je trouve cette contradiction intenable. Et si l’horreur ne se partage pas, pourquoi n’entendons-nous pas BHL et l’autre ministre des Affaires Etrangères, un certain Alain Juppé, parler un peu plus fort des Benghazi quotidiens qui ont lieu en Syrie depuis six mois ?

Je n’ose penser que c’est parce que les Syriens n’ont presque plus de pétrole mais une aviation relativement conséquente dont ils savent, eux aussi, se servir.

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