Accueil Politique Yves Bertrand : « Il faut en finir avec la diabolisation du FN »

Yves Bertrand : « Il faut en finir avec la diabolisation du FN »


Yves Bertrand (photo : Le Point)

Elisabeth Lévy : Vous semblez amer ou en colère. Pourtant, toutes les plaintes déposées à la suite de la diffusion dans la presse du contenu de vos carnets, notamment celle de Nicolas Sarkozy, ont été classées sans suite.

Je vous rappelle que ce n’est pas moi qui ai publié ces carnets et qu’ils contiennent des notes personnelles qui n’ont évidemment pas valeur d’information et qui n’étaient pas forcément transmises à l’autorité de tutelle. La Justice les a saisis et a refusé de les restituer. Il aurait tout de même été hallucinant que je sois poursuivi pour leur divulgation ! Reste que cette affaire est révélatrice de la dégradation du climat politique. On ne parle plus d’adversaires mais d’ennemis à abattre. Ce manichéisme est insupportable.

EL : Il s’agit moins de manichéisme, en tout cas idéologique, que de la guerre impitoyable qui se poursuit au sein de la droite. Dîtes clairement que vous avez un problème avec le Président de la République qui vous a évincé.

Cela n’a rien à voir avec mon éviction. Et au plan personnel, je n’ai aucune animosité contre le Président. Ce n’est pas moi qui ai un problème avec lui, mais lui qui a un problème avec moi comme avec beaucoup d’autres. Après avoir quitté le gouvernement pour diriger l’UMP et se présenter à l’Elysée, il m’a « convoqué », pardon « invité », à le rencontrer à deux reprises. Il était très en colère, à sa façon que vous connaissez.

EL : Je n’ai jamais eu l’honneur…

Je ne vais pas vous faire un dessin. Il s’agitait, mangeait des chocolats et voulait absolument me faire dire que j’avais participé à la falsification du listing Clearstream, ou même que j’en étais l’un des initiateurs. Ce qui est totalement faux.

EL : Ce qui est vrai, c’est que vous avez été un fidèle serviteur de Jacques Chirac. Qui n’était pas dans les meilleurs termes avec l’actuel Président.

J’ai été « chiraco-villepiniste ». Et je ne le renie pas. Mais ces batailles de clans qui remontent à la candidature Balladur sont insupportables.

EL : En somme vous dénoncez le clanisme en vous réclamant d’un clan. Quel sens a aujourd’hui la fracture entre ex-balladuriens et ex-chiraquiens ?

Mais le sectarisme n’est pas de mon côté. Et au-delà du clanisme, il y a la pratique du pouvoir, en tout cas dans mon domaine : avec la fusion RG/DST, la distinction entre les missions d’information générale et les missions judiciaires a tendance à s’effacer. Les fonctionnaires de la DST, contrairement à ceux des RG, étaient des officiers de police judiciaire. Ils pouvaient saisir la justice. Les RG faisaient seulement de l’information à l’exception de ceux qui étaient chargés de la lutte anti-terroriste.

EL : Certes, jusque-là, l’amour et la paix régnaient à droite où, jusqu’à Nicolas Sarkozy, on n’a connu que des anges du ciel. Et de 1958 à 2007, on n’a pas vu l’ombre d’un coup tordu. Il ne serait venu à l’idée de personne d’écouter un journaliste…

Ne me faites pas dire n’importe quoi. Cependant, il y a une différence. Les autres Présidents déléguaient. Tout ne remontait pas à l’Elysée. Et les affaires les plus troubles étaient traitées par des officines. Aujourd’hui, ce sont les services de l’Etat qui sont mobilisés pour défendre le clan au pouvoir.

EL : Si vous avez des informations à ce sujet, je suis tout ouïe.

Je me contente de lire la presse et d’observer ce qui se passe. Et j’en conclus que Nicolas Sarkozy utilise toutes les possibilités que lui offre la Constitution pour avoir une pratique du pouvoir plus personnelle que celle de ses prédécesseurs.

EL : Peut-être ceux-ci étaient-ils plus discrets. Vous allez adhérer au PS ?

Si François Hollande devait être élu, cela ne me dérangerait pas. Pour moi, c’est un radical façon IIIème et IVème Républiques. Mais je suis un homme de droite.

EL : Un homme de droite qui ne va sans doute pas soutenir le candidat de la droite. Pourriez-vous vous laisser séduire par Marine Le Pen ?

La question n’est pas d’être séduit ou de se rallier. Mais Marine Le Pen est quelqu’un de respectable et elle devrait pouvoir participer pleinement au débat politique. Elle est victime d’une diabolisation injuste et absurde à cause de son nom. Elle est née en 1968. Qu’a-t-elle à voir avec la Seconde guerre mondiale ou la guerre d’Algérie ? Elle a exclu des gens qui tenaient des propos antisémites et elle a eu raison.

EL : Je crains qu’il ne reste quelques antisémites au FN. Celui-ci n’est pas sorti de terre comme un champignon à Tours, en janvier dernier, lorsqu’elle a pris le pouvoir. Le discours de Bruno Gollnisch qui n’était pas franchement républicain a été applaudi plus que celui de Marine Le Pen.

Cela prouve qu’il y a des courants au sein du Front. Franchement, des fascistes dans le sens de sectaires, il y en a dans tous les partis. Mais jusqu’à preuve du contraire les déclarations de Marine Le Pen prouvent qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter : elle est républicaine. C’est pourquoi, je le répète, il faut en finir avec la politique dite du « cordon sanitaire ».

EL : Politique dont Chirac a été un ardent défenseur. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Pour vous le Front a-t-il vocation à devenir l’un des partis de la droite, voire une composante de l’UMP ?

Mais c’est un parti de droite. La seule différence entre Lionnel Luca et Marine Le Pen, c’est que lui n’a d’autre ambition que de capter les voix frontistes. Maintenant que les fantômes du passé ont disparu, le FN doit être réintégré dans la famille.

EL : Concrètement, êtes-vous pour une alliance ? Pour des accords de désistement ?

Je le répète, il faut en finir avec la diabolisation. Je suis favorable à l’introduction de la proportionnelle. Et si on ne le fait pas, il devrait y avoir des accords en cas de triangulaire. Si cela avait été le cas, la gauche ne dirigerait pas 21 régions sur 22.

EL : Bon, vous trouvez Marine Le Pen respectable et sympathique. Mais est-elle crédible ?

Comment voulez-vous qu’on le sache puisqu’elle n’a jamais gouverné ? En tout cas, elle n’a rien à envier au personnel politique de notre époque. Je crois de surcroît que le vote FN est de moins en moins un vote de contestation et de plus en plus un vote d’adhésion.

EL : Est-ce que ce sera le vôtre ?

Mon vote n’a rien à voir avec tout ça. Ce que je souhaite, comme citoyen et comme ancien serviteur de l’Etat, c’est qu’on en finisse avec la diabolisation du FN et que Marine Le Pen puisse pleinement participer au débat public. Je n’ai pas à proclamer mon vote. Nous ne savons toujours pas exactement quels seront les candidats en présence. Je suis un homme libre et j’attends l’évolution de la campagne pour faire mon choix. Mais maintenant, je n’ai plus de devoir de réserve.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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