36 heures de garde à vue!


36 heures de garde à vue!

bruno cremer maigret

En livre, en illustré ou sur petit écran, aucun moyen d’échapper au phénomène Maigret ! Le commissaire a cerné votre personnalité forcément trouble. Il connaît vos faiblesses, cette nostalgie lancinante pour l’odeur du tabac froid, le goût ambigu de la tarte au riz et cette pluie adorée qui s’infiltre dans les interstices de l’âme. Les psychologues de comptoirs peuvent se rhabiller. Maigret a fait effraction dans votre moi, surmoi et quant-à-soi. Vous êtes à découvert, nu comme un verre.

La comédie humaine peut alors commencer. Coincé dans son bureau du 36, quai des orfèvres, la Seine en contrebas, vous allez passer un grand moment de télévision avec ce nouveau chapelet de DVD en 3 volumes. Koba Films a eu l’excellente idée de ressortir les premières enquêtes du commissaire dans la peau de Bruno Cremer. Soit, au total, 36 heures d’interrogatoires à la bière, de Citroën Traction Avant sur les pavés luisants et de ballets d’imperméables dans les rues de Prague (le lieu de tournage censé reproduire l’atmosphère du Paris d’après-guerre dans les premières saisons), le bonheur en somme ! Le volume 4 comportant les huit enquêtes suivantes sortira le 3 juin prochain juste avant l’été. A la télé, Maigret a connu plusieurs vies plus ou moins heureuses. Jean Richard a longtemps incarné le commissaire dans un registre dépouillé à la limite du végétal. Les épisodes tournés en extérieur dans les années 70 et 80 méritent cependant un visionnage attentif pour constater les transformations radicales de notre pays. Paris et sa banlieue étaient encore recouvertes d’un linceul sombre avant le grand toilettage touristico-économico-démago.

Ce décor d’une âpreté sensuelle réjouira les amateurs de vérités historiques. Mais, entre 1991 et 2005, un  acteur a donné corps au plus fin limier de la PJ : Bruno Cremer (1929-2010), irrésistible de tension, de précision, la brute suave, large d’épaules, un voile de tendresse traversant son regard, un miracle de télévision. On n’imagine plus Nestor Burma sans la dégaine swingante de Guy Marchand et Maigret sans la carrure de Cremer, ce roc impénétrable qui laisse pourtant filtrer quelques failles. Une telle rencontre entre un acteur et un personnage de fiction n’est pas sans risques. Cremer avouait dans son  autobiographie Un certain jeune homme parue chez de Fallois en 2000 que Maigret/Simenon l’avait poussé à l’introspection, notamment à se rappeler de ses années d’enfance.

Simenon a toujours eu l’art de dépouiller l’Homme de ces murs d’orgueil, le mensonge ne lui résiste pas. « C’est bien Maigret qui m’a permis de mettre en forme toutes ces impressions qui surgissaient de l’obscurité. Et plus je grandissais dans ma mémoire, plus je découvrais quelqu’un que j’avais oublié et qui me faisait peur pour lui. Comme une enquête sur moi-même… » écrivait-il. Cette coproduction européenne était remarquable par le choix des réalisateurs (Pinheiro, Goretta, Leroy, Van Effenterre, Tasma,  Kostenko, etc…), de la musique (Laurent Petitgirard), du décor jusqu’à la figuration, tout était parfait dans cette reconstitution des années 50. La distribution ringardiserait n’importe quel film oscarisé. Aurore Clément mutique et splendide cafetière dans Maigret et le corps sans tête, Roland Blanche garagiste à l’humeur vipérine dans Maigret et la nuit du carrefour, Michael Lonsdale terrifiant dentiste dans Maigret et la grande perche, Alexandra Vandernoot, montagne de désir refoulé dans Maigret chez les flamands, et tant d’autres (Bernadette Lafont, Jean Yanne, Claude Piéplu, Marie Dubois, Daniel Gélin, Michel Bouquet, Odette Laure, etc…). Rien que du beau monde en garde à vue.

Maigret – DVD – Bruno Crémer – Volume 1 , 2 et 3 – Koba Films –

À paraître : Volume 4 – 3 juin 2015.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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