Daech contre la théorie du complot


Daech contre la théorie du complot

Daech théorie du complot

Dans son discours du 27 janvier, François Hollande s’élevait contre les conspirationnistes en tous genres qui, nourris d’informations vaseuses pêchées sur Internet, se replient dans la défiance à l’égard de toute parole officielle et menacent de verser dans le djihadisme : « C’est toujours le complot, le soupçon, la falsification (…). Les théories du complot se diffusent sans limites et ont, dans le passé, déjà conduit au pire. Alors face à ces menaces, il nous faut des réponses, des réponses fortes, des réponses adaptées. (…) Nous devons agir au niveau international pour qu’un cadre juridique puisse être défini, et que les plateformes qui gèrent les réseaux sociaux soient mises devant leurs responsabilités et que des sanctions soient prononcées en cas de manquement. »

Cette première évocation du problème par le Président de la République après les attentats de janvier marque le début de la procédure d’adoption d’une loi dite « renseignement », principalement destinée à lutter contre la propagation de l’islamisme radical. L’un des volets de cette loi vise en effet les sites diffusant des thèses « complotistes », censées mener tout droit au terrorisme.

Dans le même registre, le site Stop-djihadisme, plateforme gouvernementale de prévention et de lutte contre le djihadisme, explique la nécessité de dénoncer les thèses conspirationnistes qui prospèrent sur Internet. On y détaille les biais par lesquels des organisations criminelles embrigadent nos jeunes : « Les terroristes cherchent à convaincre les jeunes qu’ils vivent dans un monde corrompu – dirigé par des sociétés secrètes – où tous les adultes leur mentent. C’est la théorie du complot. Ils n’hésitent pas, à travers une propagande très étudiée qui oppose « le vrai » et « le faux », à inventer des preuves qui conduisent les jeunes à se méfier de tout et de tous. Les jeunes en viennent à rejeter leur entourage (professeurs, éducateurs, animateurs et jusqu’à leurs propres parents, frères ou sœurs) qui n’adhère pas à cette vision paranoïaque du monde. »

Une fois séduits par toutes ces âneries, il n’y aurait plus rien à faire pour ces jeunes gens, « car l’autorité du groupe djihadiste s’est substituée à l’autorité familiale » A priori, le conspirationnisme le plus répandu, qui consiste en une aversion irrationnelle pour « le sionisme » et/ou l’Occident, est en effet parfaitement soluble dans l’idéologie de Daech. Et il n’est certainement pas étranger au départ de nombreux jeunes acculturés. Pourtant, il semblerait que nos dirigeants aient trouvé en l’Etat islamique un allié inattendu dans leur lutte contre ces dangereuses affabulations. Car les thèses délirantes des complotistes finissent paradoxalement par nuire aussi aux terroristes, Etat Islamique en tête, en diminuant l’ardeur combattante d’islamistes plus tout à fait convaincus du bien-fondé de leur mission divine….

En fouillant un peu, on trouve en ligne la version anglaise du magazine Dabiq de l’Etat Islamique [1. J’espère que MM. Valls et Hollande comprendront que je ne le télécharge que pour des motifs journalistiques…]. Et à sa lecture, on conçoit mieux que Daech soit furieux contre les conspirationnistes. « Les théories du complot sont devenues une excuse pour abandonner le Djihad », nous apprend un article. Pour les fous d’Allah, les complotistes sont donc des « abrutis » qui donnent tous les pouvoirs aux « infidèles », en refusant de reconnaître que les islamistes ont perpétré les attentats du 11 Septembre et que l’Etat Islamique est une création émanant de la volonté d’Allah lui-même. En effet, poussés par « leur désir et leur débilité », les conspirationnistes font de l’Etat Islamique une création de la CIA et sapent donc son autorité.

Forcément, avec tout le mal que se donne Daech pour terroriser le monde, ses dirigeants doivent être un peu vexés que leurs propres guerriers puissent s’imaginer être à la solde des Américains. Conséquence : les chefs de l’organisation terroriste la plus redoutée du moment n’ont, eux, pas perdu une seconde pour édicter leurs propres mécanismes de surveillance d’Internet. Dans un tract distribué à la population, l’organisation précise à l’intention de « tous les utilisateurs » des réseaux qu’elle a décrété « la suppression de toutes les connexions en dehors des cybercafés », et que « cela vaut pour les soldats de l’EI ».

Obligés de se connecter dans des lieux surveillés, les membres de l’Etat Islamique eux-mêmes sont donc soumis à un contrôle encore plus rigoureux que nous lorsqu’ils se promènent sur Internet. Des ONG expliquent que cette surveillance a pour but d’empêcher toute communication « officielle » sur les atrocités perpétuées par l’organisation en Syrie, et d’éviter que les candidats à la désertion n’entrent en contact avec le monde extérieur. Mais une troisième raison, évoquée par Paris Match, serait  la possibilité de s’assurer que les jeunes moudjahidines ne consultent pas de sites conspirationnistes.

Moralité : quand on est complotiste, on est complotiste. Méfiant vis-à-vis de toute organisation, on finit par tout mettre en doute et se retrouver seul. Le gouvernement ferait peut-être mieux d’insister sur le fait que, ce jour-là, mieux vaut être dans sa chambre avec un PC qu’au milieu d’un désert en guerre.

*Photo : Wikimedia Commons



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Journaliste et syndicaliste, Manuel Moreau est engagé dans le mouvement social.

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