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Victoria, Jason Bourne, Nocturama, etc.


Victoria, Jason Bourne, Nocturama, etc.

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La défaite en plaidant

Elle se heurte, elle se cogne. Aux hommes, aux règles, au poids des choses. Son baby-sitter la plante en lui faisant une leçon de morale. Son ex (l’excellent Laurent Poitrenaux), écrivaillon, graphomane autofictionnel, décrit par le menu ses turpitudes intimes, mêlant avec perversité le vrai et le faux. Son meilleur ami (le beau Melvil Poupaud) l’entraîne dans des problèmes insolubles. Et son sauveur (Vincent Lacoste) la vole allègrement. L’avocate pénaliste Victoria Pick (Virginie Efira) est donc au bout du rouleau. Tel est l’argument de la désopilante comédie de mœurs Victoria, réalisée par Justine Triet (La Bataille de Solférino), dont le ton, l’énergie, l’intelligence des situations et des dialogues (jamais lourdement « dialogués ») inaugurent un style assez nouveau et frais dans le paysage français du genre.

Si l’on peut regretter que Vincent Lacoste n’en finisse pas de faire du Vincent Lacoste (aimable mollasson post-adolescent à qui les réalisateurs ne se résolvent pas à donner un rôle un peu plus à contre-emploi – il y a pourtant, pour qui sait regarder, du tueur chez cet acteur !), on ne peut qu’être emballé par l’énergie contenue de Virginie Efira, qui tient à elle seule tout le film, assume avec naturel les situations les plus absurdes et nous entraîne dans de longs fous rires. Notons également l’excellente prestation de Laure Calamy dans le rôle d’une avocate survoltée – épatante ![access capability= »lire_inedits »]

Cerise sur le gâteau, Victoria ne se contente pas de nous divertir (et comment !), elle nous offre aussi un beau portrait de femme qui ne vainc tout à fait que dans une forme de défaite amoureuse à laquelle psys et cartomancienne ne cessaient de l’inviter.

Victoria, un film de Justine Triet.

Se taper l’incruste !

La multiplication des procédés imitant la navigation internet fatigue le cinéphile.

Hollywood n’a pas son pareil pour s’emparer des faits de société, en pousser les curseurs jusqu’à la limite du crédible pour en faire des histoires qui transforment notre quotidien en aventure haletante. L’informatique, l’extension de la connectivité, l’analyse des masses de données, la géolocalisation des individus et des objets sont évidemment un thème fort du cinéma actuel. Ainsi le dernier Jason Bourne est-il tout entier orienté autour des questions de la surveillance mondialisée et des possibilités – musclées – de déjouer celle-ci. Dans un registre plus féminin, le film Nerve met en scène un groupe d’adolescents constamment reliés entre eux par les réseaux sociaux, et qui sont pris dans une spirale de transgressions absurdes, chacun devenant, via son smartphone, le spectateur de l’autre.

Au-delà des qualités des deux films (Jason Bourne vieillit, Nerve fait preuve d’une belle inventivité scénaristique), on ne peut qu’être frappé par l’omniprésence des incrustations – messages qui apparaissent dans un scintillement sonore –, zooms écran et autres boutons à cliquer qui transforment le grand écran en Game Boy géante. L’intention est évidente : ramener au cinéma un public de plus en plus scotché à ses écrans portatifs, quitte à rapprocher l’expérience de la salle et du grand écran de celle du jeu vidéo. C’est sans doute faire peu de cas de la singularité du cinéma et de ses possibilités qui ne sont pas toutes d’imitation. Et pour les vieux de la vieille, c’est franchement agaçant.

Nerve, d’Ariel Schulman, en salles.

Jason Bourne, de Paul Greengrass, en salles.

Désislamiser la radicalité

La sagesse populaire veut qu’on évite de parler de corde dans la maison du pendu. Bertrand Bonello n’aura pas eu cette délicatesse. Ayant imaginé, dès 2010, le scénario de Nocturama (une bande de jeunes gens commettent une série d’attentats au cœur de Paris), le réalisateur s’est finalement résolu à tourner son histoire en 2015, dans une ville pourtant déjà martyrisée par des événements comparables.

Ce télescopage est d’autant plus propice au scandale que l’histoire inventée par Bonello fait la part belle aux conjurés. Jeunes gens d’origines diverses, sans aucune motivation religieuse ni raciste, ces garçons et ces filles, souvent beaux, fragiles et pleins de grâce, semblent mus par la nécessité intérieure, presque vitale, de se révolter et de renverser l’ordre des choses. Ce faisant, Bonello « désislamise » la radicalité. Dans un saisissant contraste, les forces de l’ordre qui donnent l’assaut dans un bâtiment de l’ex-Samaritaine où se cachent les jeunes gens font figure d’assassins. Elles abattent froidement chacun des conjurés, même lorsque l’un d’entre eux, les mains en l’air et sanglotant, supplie les policiers de l’aider.

Ce renversement de la représentation des attentats de 2015 horrifiera tous ceux que la terreur islamiste a marqués, dans les esprits comme dans les chairs. Il ravira au contraire ceux qui n’ont jamais accepté la réalité de l’événement, sa dimension religieuse, raciste et fasciste, et voudront voir dans les actes de ces apôtres du chaos la réalisation d’une sorte de promesse messianique, façon L’insurrection qui vient. Nocturama est en lui-même un attentat contre les représentations sécuritaires et la distribution des rôles qu’elles imposent : victimes, tueurs déterminés et police secours. Que le réalisateur le veuille ou non, le film s’inscrit ainsi dans la logique perverse du long-métrage de Mel Gibson, Golgotha : les offenseurs deviennent victimes, les offensés persécuteurs. De facto, Nocturama réalise la sainte alliance entre le désir d’un certain christianisme de renverser l’ordre établi et celui de l’islam politique qui pare l’instinct de razzia d’oripeaux victimaires. Bertrand Bonello revendique le droit à la fiction, mais il ne peut ignorer ni le contexte politique dans lequel celle-ci s’inscrit ni l’inconscient religieux dont il est porteur.

Pourtant le film est beau. Si la première partie est un peu longue – Bonello insiste sur la diversité des origines des conjurés qui n’ont en commun que la jeunesse (donc, la révolte – tout est là), la seconde, pendant laquelle les terroristes se croient à l’abri dans un grand magasin fermé pour la nuit et où, grands enfants, ils livrent à la caméra une déconcertante fantaisie, est en revanche magnifique. Au cours de quelques scènes d’une stupéfiante beauté (le play-back de My Way, joué par l’excellent Hamza Meziani, vaut à lui seul d’aller voir le film), Bonnello permet à ses acteurs d’accéder à leur plus belle part, poétique et douce, d’autant plus bouleversante qu’on sait ces jeunes gens condamnés. Entre émotion et malaise, je me suis retenu d’applaudir.[/access]

Septembre 2016 - #38

Article extrait du Magazine Causeur



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