Tsipras va gagner


Tsipras va gagner

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On a souvent reproché à la gauche, entendons la vraie gauche qui est actuellement au pouvoir en Grèce, de ne pas avoir le sens des réalités ou, variante « de manquer de réalisme ».

Primo,  il faudrait s’interroger sans faire de la philosophie (grecque évidemment) sur ces « réalités » et sur ce « réalisme ». Dans la terminologie libérale dont on remarquera qu’elle est devenue celle de la quasi totalité des média mainstream, la réalité ou le réalisme veut dire être d’accord avec une certaine vision de l’économie qui est celle du capitalisme financiarisé et de la spéculation, tout le reste n’étant qu’utopie.

La morgue des faux compétents en la matière devrait pourtant se calmer à la lecture du regretté Bernard Maris qui remarquait dans Houellebecq économiste : « Dans quelques décennies, un siècle, plus tôt peut-être, il apparaitra invraisemblable qu’une civilisation ait pu accorder autant d’importance à une discipline non seulement vide mais terriblement ennuyeuse, ainsi qu’à ses zélateurs, experts et journalistes, graphicomanes, aboyeurs, barons du débatteur du pour et du contre (quoique l’inverse soitbien possible.) L’économiste est celui qui est toujours capable d’expliquer ex post pourquoi il s’est trompé. »

Et Dieu sait sur la Grèce qu’ils se sont trompés, les économistes dominants. Ils se sont trompés ou ils ont menti en inondant la Grèce de prêts toxiques, façon subprimes à l’échelle d’une nation comme le fit l’ancien employé de Goldman Sachs et actuel gouverneur de la BCE. En effet, quand on en est à une dizaine de mémorandums comminatoires sur les « réformes » à mener et qu’au bout de cinq ans on a complètement ruiné une économie et mis un peuple sur la voie de la tiers-mondisation, le minimum serait de s’interroger sur le bien fondé des politiques mises en œuvre et d’admettre leur nocivité effroyable. Deux prix Nobel le firent  tout récemment, Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ce qui prouve que « la secte » (cette expression était en cours sous Louis XV pour désigner les premiers néolibéraux appelés physiocrate, encore un mot grec) a elle aussi ses dissensions, et même un peu plus que ça.

Secundo, on remarquera que la gauche de Tsipras n’a pas manqué de réalisme. Pour tenir face à des instances unanimement hostiles et à une propagande éhontée qui a flirté avec le racisme hellénophone, le mépris des « sachants » et des appels plus ou moins masqués à la déchéance du gouvernement élu ou au coup d’Etat financier, elle a dû faire preuve d’une étonnante intelligence de la situation qui pour aller vite était sur le terrain aussi favorable que celle des légionnaires français à Camerone (j’évite les Thermopyles, on en a ici et là usé et abusé). Jusqu’au referendum du 5 juillet qui ne fut pas le coup de poker qu’on a bien voulu dire mais précisément un moyen de religitimer une action. Et quelle était cette action?

Justement, encore une fois, elle est guidée par le réalisme. Tsipras a compris que personne, pas lui évidemment mais pas non plus les Européens, n’avaient intérêt à un Grexit, sauf peut-être les retraités allemands aisés, ce qui, on en conviendra, est assez peu représentatif de la population européenne. Donc Tsipras a fait parler son peuple alors que partout ailleurs, il n’y a pas besoin de faire parler les peuples allemands, slovaques, finlandais, espagnols, portugais, irlandais qui eux seraient très mécontents car ils auraient fait les sacrifices contrairement aux indolents buveurs d’ouzo surmutaulisés.

Pour ma part, j’attends avec impatience que ces peuples s’expriment directement à l’occasion d’élections : cela va être très bientôt le cas en Espagne ou Podemos, encore un parti anti austéritaire décidément, semble pouvoir gagner et infirmer l’idée que le peuple espagnol baignerait dans le bonheur après les plans d’ajustement qu’il a connus.

Tsipras, lui, avait besoin du Non, non pas pour sauter dans le vide mais pour arriver à une chose simple: ouvrir la question de la restructuration de la dette en Europe. Si pour ça, il faut en passer par l’acceptation des mesures, tout de même assez infléchies, demandées par les créanciers, pourquoi pas ? Il s’agira de serrer les dents, de temporiser (bon nombre de mesures ne sont pas pour tout de suite), de faire porter l’effort sur les plus riches et non les plus fragiles , toutes nuances qui n’auraient pas été acceptées si le oui l’avait emporté et si dans la foulée, comme le souhaitait Martin Schulz, on avait nommé un gouvernement de « techniciens », entendez un gouvernement d’économistes qui ne changeront rien au « diaploki », c’est à dire ce mot intraduisible pour désigner les relations incestueuses qu’entretiennent la presse, l’industrie et la politique à travers quelques grandes familles qu’un gouvernement conservateur, ironie de l’histoire, celui de Karamanlis en 2005, voulut démanteler et qui vit la commission européenne mettre son veto.

Bref, Tsipras a réussi. La preuve, ceux qui disent qu’il a perdu se recrute et sur son extrême gauche et sur son extrême-droite. C’est qu’il a relu le Xénophon de l’Anabase, Tsipras, dans son appartement sur une colline du quartier populaire de Kypseli, et qu’il sait qu’une retraite bien menée équivaut à une victoire future : « Je vous disais que nous avons beaucoup de puissants motifs d’espérer que nous nous sauverons avec gloire. D’abord nous observons les serments dont nous avons appelé les cieux à témoins ; et nos ennemis se sont parjurés : traité, serments, ils ont tout violé. Il est donc probable que les dieux combattront avec nous contre nos adversaires ; les dieux qui, aussitôt qu’il leur plaît, peuvent rendre en un moment les grands bien petits, et sauvent avec facilité les faibles des périls les plus imminents. Je vais même vous rappeler les dangers qu’ont courus vos ancêtres, pour vous convaincre qu’il est de votre intérêt de vous conduire avec courage, et, qu’aidés par les Immortels, de braves gens se tirent d’affaire à quelques extrémités qu’ils soient réduits. Quand les Perses et leurs alliés vinrent avec une année nombreuse pour détruire Athènes, les Athéniens osèrent leur résister et les vainquirent. » 

*Photo: Thanassis Stavrakis/AP/SIPA. AP21763485_000016.



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