« Audrey Croisic, jeune comédienne âgée de vingt-deux ans a été retrouvée morte ce matin à son domicile. » À ce stade de l’enquête, le célèbre et non moins efficace détective privé Joss Beaumont — oui, le même nom que Belmondo dans Le Professionnel — ne peut que s’en remettre aux supputations permises par la rubrique faits divers. On ne saurait aller plus loin, même pour un spécialiste, que les propos de comptoir que tient avec gourmandise son fidèle indic Merlin entre deux plats en sauce.

Cette jeune ambitieuse aura été victime d’un admirateur détraqué, pas grand-chose de nouveau sous le soleil. « Les enquêteurs penchent pour une piste crapuleuse. » Joss Beaumont n’est pas de cet avis. Guidé par l’appât du gain plus que par sa conscience professionnelle, quasi inexistante, il lance sur les routes de Bretagne son inénarrable break Volvo (le même que Jean Rochefort dans Le Cavaleur). Au menu, millefeuilles aux fraises de Plougastel, famille de nouveaux riches, crachin, mère allumeuse et domestique imbuvable. Joss s’emmêle les pinceaux, son alter-ego l’inspecteur Tabourin se frotte les mains : pour une fois, la police a un train d’avance sur le privé engagé par les Croisic mère et père.

Pas si sûr… Le petit monde des médias finissait à peine d’adresser ses condoléances qu’une autre notice nécrologique a envahi les écrans. Cette fois-ci, « Caroline Lombard, la célèbre actrice de télévision, se serait suicidée en Italie sur le tournage d’une série réalisée par Émile Ray. »

Détective seventies

Beaumont sent son flair lui faire faux-bond. Entre deux escapades infructueuses chez les parents d’Audrey, il propose à sa maîtresse de vingt ans sa cadette de s’installer avec lui et se concentre sur des affaires de successions bancales et d’enfants illégitimes. Mais ce double décès lui laisse un goût amer. D’autant plus que « Caroline Lombard n’avait donné aucun signe de faiblesse. Au contraire l’actrice avait décroché le premier rôle dans cette saga dont le prestigieux casting, etc. »

Joss Beaumont est macho, cynique, paresseux, fréquente un sosie de Zavatta qui se prend pour Noiret et se trouve trop vieux pour sa jeune fiancée. Tout cela le rend éminemment sympathique. Il semble venir des seventies du siècle dernier avec une machine à remonter le temps chargée de toutes les références de cette époque bénie.

Ce sont sans doute ces turpitudes d’homme entre deux âges qui le mettent sur la bonne piste. Au son de « Quand j’étais chanteur » de Delpech, il va revoir la Normandie où l’amène l’unique indice détenu par la police scientifique, qui est incapable de l’interpréter correctement. Seul un esprit embué par les vapeurs de Gevrey-Chambertin et l’air d’être revenu de tout pouvait plonger aussi profond dans les histoires sentimentales, apparemment sans sel, des starlettes du petit écran.

Dans ce deuxième volet d’une série que l’on souhaite pléthorique, Joss Beaumont déchire le voile, les masques tombent, mais les journaux télévisés ont déjà oublié. « La télévision salit tout ce qu’elle touche » prophétisait le sosie de Zavatta en se resservant un verre. De quoi s’enfoncer encore dans le confort des vieilles voitures et des jeunes femmes.

 

Madame est servie ! de Thomas Morales, Le Rocher, 156 pages.