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Robert Benchley ! What else ?


Ce jour-là, aucun quotidien dans ma boîte aux lettres… Résultat : j’ai lu un livre ! Et pas n’importe lequel : un que j’avais volé à ma meilleure amie femme (consentante, selon mes souvenirs).
Remarquable, n’est-ce pas ? De fait, c’est le titre d’un recueil de chroniques signées Robert Benchley, écrites à l’origine pour Vanity Fair et le New Yorker. L’ensemble est publié « Chez Monsieur Toussaint Louverture » ; pourquoi pas ?

Par rapport à l’édition originale de 1963, deux bonus non négligeables : plusieurs textes inédits, et pas de préface ! Celle de la première édition, platement factuelle, préparait au choc Benchley à peu près comme Pierre Bellemare introducing saint Augustin.

Pour vous donner une idée, Robert Benchley (1889-1945) est aussi l’auteur, entre autres, de L’expédition polaire à bicyclette (Le Dilettante, 2002) et de Pourquoi personne ne me collectionne (Rivages, 2008). Voici donc un Américain du XXe siècle qui se trouve être, par une ruse de la Raison, le maître du nonsense britannique de la fin du XIXe.

Si comme moi, vous êtes taraudé par des questions du genre « Comment perdre cent mille dollars par an ? » ou « Pourquoi Budapest n’existe pas ! », alors Robert Benchley peut vous aider à traverser la vie – cette vallée de larmes où chaque rire fait un arc-en-ciel, n’est-ce pas ?
Donc, Budapest n’existe pas. Ou plus précisément, elle n’existe plus depuis le Traité de 1802, qui mit fin à la fameuse guerre de 1805 entre Bulghs et Slovènes. Les deux peuples, raconte Benchley, après s’être battus sauvagement pour refiler Budapest à l’autre, se sont finalement mis d’accord pour annuler purement et simplement la ville (Traité d’Ulm, 1802).
Or voilà qu’un fâcheux, M. Schweitzer de New York, contredit Benchley dans une lettre à peine polie : « Tâchez de vous faire rembourser vos cours de géographie. Budapest existe et ce n’est pas un hameau, tant s’en faut : c’est la capitale de la Hongrie ! »
Benchley, qui n’a pas sa plume dans sa poche, lui répond assez vertement : « Je reste sur mes positions : Budapest n’existe pas. Vous vouliez peut-être dire « Bucarest », mais peu importe : Bucarest n’existe pas non plus. »

Outre ce texte fondateur du révisionnisme moderne, je comptais vous résumer une de mes nouvelles favorites, certes plus romancée, intitulée « Un autre conte de Noël de l’oncle Edith ». Las ! Après plusieurs heures d’essais infructueux, j’ai dû me rendre à l’évidence : de même que l’éléphant selon Vialatte est irréfutable, Benchley est irracontable.
Sachez seulement que cet « autre » conte de Noël est le seul du bouquin ; qu’il n’a d’ailleurs pas le moindre rapport avec la fête de Noël ; et qu’en outre, ledit Edith n’est l’oncle de personne.

« Ça n’a pas de sens ! », diront certains membres de l’Union Rationaliste (parmi lesquels je ne vous compte pas ; sinon, vous auriez zappé depuis longtemps.) Eh bien, je les arrête tout de suite ! Ces gens-là, comme je disais dans mon fameux Appel du 7 juillet 2008 en citant Jacques Brel, confondent le non-sens, qui est un plat pays, avec les montagnes russes du nonsense.
Mais comment distinguer le vrai nonsense® des piètres palinodies d’un Pierre Dac ou même d’un Alphonse (vache) Allais ? « Trop facile la question ! » comme diraient nos jeunes d’aujourd’hui, de Neuilly à Tamanrasset. Le vrai nonsense, c’est celui qui vous enlève tel Ganymède (plutôt classe, non ?) pour vous laisser entrevoir depuis les abîmes, par une subtile mise en abyme, où se trouvent les sommets et comment y accéder.
« C’est dans l’obscurité qu’il est beau de croire à la lumière », comme disait le cuistre citant le poète. (Veuillez m’excusez. Parfois la culture chez moi tente de l’emporter sur l’intelligence – en vain, heureusement.)

Un exemple de vrai nonsense racontable et qui fait sens – pour la route ? Que diriez-vous de « Shakespeare expliqué », chronique tout entière consacrée au commentaire de sa fameuse tragédie Périclès – mais si, vous savez… ?
Donc, Benchley nous soumet un court texte agrémenté d’un long appareil critique. En français, des notes en bas de page, qui présentent ici la particularité d’occuper la quasi-totalité des pages.
Plus précisément, outre le titre et l’exposé liminaire, Robert ne nous cite que la première phrase de l’acte II, scène 3 – agrémentée pas moins de onze notes explicatives.
Alors de qui se moque-t-on, et au nom de quoi ? En d’autres termes, hormis le fait avéré qu’il se fout du monde, Robert Benchley a-t-il ici quelque chose à nous dire de sensé ?
Oui da ! C’est même marrant que vous me posiez la question précisément ici sur Causeur. Parce qu’il est là (entre autres), le lien benchleyen entre nonsense et réalité, c’est-à-dire sens. Onze notes critiques concernant une seule ligne, ça ne vous rappelle rien ? Moi, ça me fait irrésistiblement penser à nos mille et un commentaires sur l’affaire Al-Dzaïmer (ou un truc comme ça.)

A vrai dire, quel que soit le papier, les cinq ou dix premiers posts ont un rapport avec le papier qui les a générés. Puis insensiblement le sujet est oublié, puis l’objet. Restent des dizaines de duels croisés et d’empaillages généralisés entre blogueurs – dont seul un Champollion du Causeurisme pourrait reconstituer le fil. (Les sites concurrents j’en parle pas ; je ne suis même pas sûr qu’il y en ait.)
Tout ça pour dire que le nonsense benchleyen n’a guère de leçons à recevoir de notre humaine Raison. A moins que la nature n’imite l’art. Mais ceci est une autre histoire…

Remarquable, N'Est-Ce Pas?

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