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Sushis et suicide

Le billet du vaurien


Sushis et suicide
Vue d'Osaka. Image: Pixabay

Le billet du vaurien


Je me suis rendu quatre fois au Japon. La première dans l’intention d’y trouver la mort. Je ne voulais pas vivre au-delà de quarante ans. C’était devenu ce qu’il est convenu d’appeler en psychiatrie « une idée fixe ». Ça l’est demeuré même après avoir largement dépassé la quarantaine.

Le deuxième séjour revêtit un tour beaucoup plus classique : une jeune Japonaise, couvant elle aussi une « idée fixe » : celle de m’épouser, avait décidé de me présenter à mes futurs beaux-parents. Ils étaient charmants et d’une politesse d’autant plus exquise qu’ils étaient plus jeunes que moi. L’expérience ne fut pas concluante. Je découvris une fois de plus que la vie conjugale n’était pas tout à fait appropriée à mon caractère.

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La troisième fois, je saisis l’occasion inespérée d’une drague réussie au cinéma Action Christine pour m’envoler avec une folle ingénue à Tokyo. Elle était beaucoup plus dérangée que je n’aurais osé l’espérer et nettement moins ingénue que je ne l’avais cru. Toutes les conditions étaient requises pour que je m’aventure une fois au moins dans un Love Hotel . Ce ne fut pas le cas. L’idée d’être dans une chambre où je me serais senti tenu de me livrer à certaines acrobaties, ne m’attirait pas trop.

Lui succéda Masako qui m’aimait plus que de raison. Je n’allais quand même pas lui refuser de la rejoindre au Keio Palace, dans la suite où Richard Brautigan avait fait installer une table de ping-pong. Je ne lui ai d’ailleurs jamais rien refusé et c’est sans doute pourquoi je l’ai perdue. Je n’avais pas pris garde qu’au Japon la parole la plus estimée est celle qui entretient l’équivoque.

Si je me tue, je voudrais beaucoup que ce soit avec toi

Mais à quoi reconnaît – on qu’on est amoureux ? À ce qu’on commence à agir contre son intérêt. En ce sens, le suicide est la forme la plus achevée de l’amour de soi. Et l’on peut être certain d’être aimé quand une Japonaise vous murmure : «  Tu vois, si je me tue, je voudrais beaucoup que ce soit avec toi. » François Truffaut ne s’y était pas trompé quand il racontait l’apprentissage sentimental d’Antoine Doinel. Pour moi, il est un peu tard maintenant, ayant déjà perdu la certitude d’être encore vivant.



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