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Préférez-vous la mort ou la vie ?


Préférez-vous la mort ou la vie ?

Etes-vous favorable à ce que de courageux petits gars de vingt ans se fassent trucider par des barbares dans un pays lointain ? Bon, je charrie. Bien sûr, ce n’est pas dans ces termes que Le Parisien a interrogé « les Français » – terme qui dans ce contexte désigne 1008 personnes âgées de 18 ans et plus et sélectionnées selon l’ancestrale et mystérieuse méthode des quotas. Il faut saluer la diligence de CSA qui a réalisé ce « sondage exclusif » sur l’engagement de la France en Afghanistan « à l’arrache », le 20 août, trente-six heures après l’annonce de la mort de dix soldats français dans une embuscade des Talibans. Il est vrai que sur genre de coup, il faut être le premier ou rien. L’opération a parfaitement réussi, en tout cas pour ce qui est de la « reprise », c’est-à-dire de la publicité gracieusement faite par les confrères qui est l’unique objectif poursuivi par la presse avec la publication de sondages. Celui du Parisien a bien « fait » l’ouverture d’un nombre respectable de journaux radio. L’effet sur les ventes n’est pas nécessairement garanti. Enfin, moi, j’ai acheté Le Parisien.

Rappelons que cet honorable quotidien n’a pas l’apanage du « sondage à l’estomac », même si, dans le genre, il est plutôt bon. Grâce au vieux couple qu’il forme avec son institut attitré CSA, on sait en effet, en temps presque réel, ce que pensent « les Français » (voir plus haut le sens de ce terme) sur des questions de la plus haute importance comme « Harry Roselmack doit-il rester au 20 heures ? » ou « Faut-il limoger Domenech? », deux exemples qui me reviennent en mémoire mais au sujet desquels je ne me rappelle pas quelles réponses avaient été données.

On apprend donc dans Le Parisien du 22 août que « 55 % des Français sont pour un retrait de nos soldats d’Afghanistan ». Résultat ô combien surprenant ! D’abord, tout être humain normal ne peut qu’être glacé par la mort de dix jeunes gens dans de telles conditions. De plus, dès l’annonce du guet-apens, télévisions et radios ont répété en boucle que ce drame relançait le débat sur la présence française en Afghanistan, tandis que des proches des victimes s’indignaient de ce que l’on ait envoyé des gamins de vingt ans sur un terrain aussi dangereux. Qui ne s’identifierait pas à ces parents, ces frères et sœurs endeuillés ? C’est bien ce qui me chafouine. En interrogeant son « échantillon de France » à chaud, le sondeur ne s’adresse pas à l’être de raison qui sommeille en chacun de nous ou presque (chez certains, il est dans le coma) mais au téléspectateur englué dans des torrents d’émotion cathodique. Ainsi demandera-t-on « aux Français » s’ils sont pour le service minimum au dixième jour d’une grève des transports ou s’ils font confiance aux compagnies low cost au lendemain d’un crash. Dans le cas présent, si la réponse n’est pas totalement contenue dans la question (il s’est tout de même trouvé 36 % de sans-cœur pour affirmer que nos soldats devaient rester en Afghanistan), elle y est fortement suggérée.

On ne voit pas pourquoi les médias s’abstiendraient vertueusement d’exploiter le filon inépuisable de l’émotion populaire, quand les politiques ne cessent de la flatter. Ainsi François Fillon s’est-il engagé à ce que la présence française en Afghanistan fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement. On m’objectera que cela est fort démocratique et que notre participation à « la guerre contre le terrorisme » mérite bien un débat. Certes. Mais alors, il fallait l’organiser en avril, quand le président a décidé d’envoyer des renforts à Kaboul. Cette annonce faite quelques jours après l’embuscade de la vallée d’Uzbin – et le jour même de la publication du sondage du Parisien – donne l’impression que le Premier ministre cède à l’opinion ; plus fâcheux, il semble penser que la mort de nos dix soldats rend urgent un débat qui ne l’était pas il y a quatre mois. Comme si ces morts remettaient en cause la légitimité de la participation française à la « guerre contre le terrorisme » (ce qui, au passage, est l’objectif des assaillants). On se gardera de trancher ici l’épineuse question de la présence française en Afghanistan, mais soit la France avait raison d’y être hier, et elle a encore raison aujourd’hui, soit elle a tort aujourd’hui et elle avait déjà tort hier. Reste une réalité qu’on avait oubliée à force d’entendre parler de nos troupes envoyées sur des théâtres extérieurs comme si elles étaient composées d’infirmières en goguette humanitaire. Il s’agit de soldats et de guerres, et à la guerre les soldats peuvent mourir.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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