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Les femmes et les enfants d’abord

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Revoilà la bête immonde, mais pas celle que vous croyez. Pas de chemises brunes défilant au pas de l’oie. Cette fois-ci, elle est en chacun de nous. En vrai, en chacun de vous, les mecs. Même quand elle meurt, elle ne se rend pas – raison pour laquelle un criminel sexuel à peu près impuissant demande qu’on la lui coupe.

Bonne fille, l’actualité vient rappeler à nos esprits oublieux que le danger rôde. Les quelques semaines qui viennent de s’écouler ont été généreuses en « affaires ». Qu’y a-t-il de commun entre le crime de Polanski, la faute de Frédéric Mitterrand, le débat sur la castration chimique et la gracieuse idée du Garde des sceaux de réfléchir à la possibilité de recourir à la castration physique – entre adultes consentants bien sûr ? Vous y êtes. Tout ça se passe en dessous de la ceinture. Autrement dit, dans le passé le plus sombre de l’humanité. Parce que le sexe, c’est réac, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il faut s’en débarrasser urgemment.

[access capability= »lire_inedits »]Le message est clair. Le sexe tue. Surtout, celui des hommes qui se trouve ainsi être à la fois l’arme et le mobile du crime. La preuve, c’est qu’il s’en prend d’abord aux femmes et aux enfants. Je sais, il y a aussi les hommes et les hommes et les femmes et les femmes ; mais quelles que soient les « pratiques sexuelles » comme disent les sondeurs, la sexualité n’en est pas moins anthropologiquement fondée sur la division sexuelle, autrement dit sur la rencontre et sur son impossibilité. Et comme l’a fort bien analysé mon cher Philippe Muray, l’Histoire aussi.

On me dira que ce n’est pas très nouveau et qu’on savait depuis longtemps que c’était mal. Durant des millénaires, en gros, d’Adam et Eve aux années 1960, ce fut même l’un des intérêts de la chose. C’était mal mais c’était bon, et un peu bon aussi parce que c’était mal. Puis on décida de se délivrer des tourments et, par la même occasion, des délices de la culpabilité et du négatif. Le sexe devint innocent, égalitaire et, par-dessus tout, libre. Quand je veux, si je veux : on en avait fini avec les pulsions destructrices ou autodestructrices, la domination, la folie amoureuse. On en avait fini au passage avec le désir et sa mort programmée – donc avec la mort. Ce faisant, on en finissait avec la vie elle-même. Les hommes et les femmes (voir plus haut) enfin réconciliés s’entendraient désormais sur la base raisonnable et contractuelle du plaisir équitablement partagé. Après coup, on s’aperçut que la libération était devenue libéralisation et on trouva que ce n’était pas plus mal. Délivrée des chichis de la libido, de ses tours de salope et de ses coups de sang, protégée d’elle-même, l’humanité allait enterrer en même temps la guerre, le clivage, le ratage et retrouver son innocence perdue. Comme l’écrit brillamment Bruno Maillé, la meute est innocente. C’est ce qui fait sa force.

L’opération a parfaitement réussi. Il n’y a plus ni hommes ni femmes, nous sommes tous Enis, l’enfant martyrisé par un prédateur. Ou alors Francis Evrard. Victime ou bourreau, rien entre les deux.

Il est tentant de voir dans cette ambiance plombée la manifestation du retour de bâton (backlash) que les féministes appellent de leurs vœux depuis vingt ans, en vain d’ailleurs. Désolée, pas d’ordre moral en vue. À quoi diable servirait la morale dans un monde délivré du mal ? Enfance pour tous : le programme qui est en cours d’accomplissement n’est pas un retour en arrière mais au contraire un grand bond en avant. On croyait que le sexe libéré dans la grande fusion des genres et des corps était le comble du moderne, et le voilà détrôné par plus moderne encore. (« Moderne contre Moderne », Muray, une fois de plus, avait inventé tout ce qui arrive). Nous n’accostons pas sur les rives du Paradis perdu mais sur d’inviolés rivages sans sexualité. Il est déjà permis de rêver à l’avenir radieux où l’on n’aura plus besoin de castrer les mâles parce qu’ils auront applaudi à leur castration − pas symbolique, réelle, ainsi que l’observe Alexandre Livier.

D’accord, je mets tout dans le même sac, mais c’est l’époque qui met tout dans le même sac. Florentin Piffard a raison : on dirait que s’instaure, dans l’esprit public, une continuité entre sexe consenti et sexe subi, érotisme adulte et pédophilie. « Tu justifies un viol », m’a dit un ami, la voix vaguement tremblante, alors que je plaidais la cause de Polanski, maladroitement sans doute. Dès que l’on essaie d’imaginer la scène au cours de laquelle le cinéaste a eu, il y a plus de trente ans « des relations sexuelles illicites avec une mineure », les mots sonnent faux ou même dégueulasses. « C’est ça, dis qu’elle l’a cherché. » Non, ce n’est pas ça. Mais peut-on rappeler que le désir d’un homme sexuellement actif pour une femme, fût-elle encore aussi une enfant, qui pose devant lui, nue dans un jacuzzi, n’est pas en lui-même criminel et que, pour condamnable qu’il soit, le passage à l’acte mérite peut-être des circonstances atténuantes ? Ce à quoi il faut ajouter qu’il est tombé dans un véritable piège judiciaire, comme l’explique Sylvie Topaloff.

Un mot sur la jurisprudence Mitterrand. Quelques semaines après sa nomination, sa défense ratée de Polanski a rappelé aux fins limiers de la grande presse que, dans une autre vie, le ministre allait aux putes. Ces putes étaient des hommes, mais soyons honnête, ce n’est pas ça qui a posé problème. Non, le scandale est qu’il y allait en Thaïlande, là où les corps sont lisses et disponibles. On appelle ça « tourisme sexuel » en raison de la différence de pouvoir d’achat – et de pouvoir tout court. On achète des cuirs en Italie, des écrans plats fabriqués à bas coût et au mépris des droits du travailleur − sinon de l’homme ou de l’enfant − en Chine au supermarché du coin et du sexe en Asie. En vrai, pour Frédéric Mitterrand, l’argument économique n’est guère probant car j’imagine qu’il aurait pu s’offrir à Paris toutes sortes de ressources érotiques tarifées. Quoi qu’il en soit, il a eu recours à la prostitution. En France, ce n’est pas interdit, mais ailleurs, oui (pour les Français). À l’exception du crime contre l’humanité, c’est, me semble-t-il, l’un des rares délits commis hors du territoire pour lequel on puisse être poursuivi par la justice française.

On peut se demander ce qui, en dehors de l’affaire Jean Sarkozy et de ses réseaux, d’autant plus efficaces qu’ils sont fondés sur le fait qu’il est visiblement un « type bien », a sauvé le soldat Mitterrand. La réponse est simple : il a publiquement fait acte de contrition. D’ailleurs, chez lui, le repentir est inscrit dans l’acte : il y a un côté catho torturé chez cet homosexuel tourmenté. Frédéric Mitterrand n’est jamais entré dans le monde enchanté du sexe sans risque et sans douleur. À le lire, on sent que, pour lui, le plaisir et la honte restent indissolublement liés. Il est un homme du vieux monde, c’est son charme.

Et puis, il y a le peuple qui, note Luc Rosenzweig, en a marre de voir les élites s’affranchir de la morale commune. Le peuple prêt, nous dit-on, à se rassembler en place de Grève pour assister à la castration de ceux qui font du mal aux divins enfants. En vérité, on ne sait jamais très bien, dans ce que pense le peuple, ce qui lui a été inspiré par le concert des médias, experts et sondeurs. Et puis tant pis si je ne suis pas d’accord avec le peuple.

Nous croyons édifier une humanité sans crime, nous inventons une humanité sans hommes. Bienvenue dans l’ère des coupeuses de testicules, qui sont parfois des hommes, et des casseurs de couilles qui sont souvent des femmes, et plus encore des mères. L’âge des gonzesses arrive, ou pire encore, le règne des mamans. Fini de rigoler.[/access]

Puissants et misérables

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Jacques Chirac
Ancien président de la République, le "Chi" doit-il craindre d'être jugé ?

Je ne voudrais pas être dans les escarpins de Xavière Siméoni. En l’absence de pistolet fumant, même le dossier le mieux bouclé risque de fondre sous le feu des avocats de la défense. En décidant de renvoyer Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, sur une simple probabilité de conviction, la juge a mis en jeu la crédibilité du juge d’instruction et même celle de la justice française. Elle devait arbitrer entre deux passions françaises, l’égalité et l’attachement au principe monarchique relooké par le suffrage universel. En faisant prévaloir l’égalité devant la loi, elle a pris une décision juste et cohérente.

Les faits sont connus, à défaut d’être simples à qualifier. Les salaires de permanents du RPR étaient payés par la mairie de Paris. Quelques collaborateurs de Chirac de l’époque − et notamment Alain Juppé − ont déjà été condamnés dans cette affaire mais, protégé par l’immunité, Chirac est resté pendant les douze ans de son mandat présidentiel hors de portée de la justice et, malgré les efforts de certains magistrats, la question de son implication n’a pas été tranchée. Abriter l’ancien président derrière le fait que deux décennies ont passé revient à tuer ses parents avant de réclamer la miséricorde due à un orphelin.

[access capability= »lire_inedits »]Il est vrai que, d’un point de vue juridique, la question de la responsabilité de Chirac dans les emplois fictifs est tout sauf simple. Du reste, elle divise les professionnels. En avril 1999, le procureur de la République de Nanterre fait état de fortes présomptions sur la participation de Chirac à une prise illégale d’intérêt et recel d’abus de bien sociaux. Dix ans plus tard, le Parquet de Paris demande un non-lieu général. Forte de ces deux avis contradictoires, la juge Siméoni aurait pu choisir la voie facile et moins controversée du non-lieu sans risquer d’essuyer l’indignation générale. Elle en a décidé autrement. On peut, même sans la partager, admettre que cette position est légitime.

Résumons la question posée à Mme Siméoni – qui jouit d’un fort soutien dans la magistrature. Quand l’égalité et l’autorité symbolique se croisent sur un pont étroit, qui doit céder le passage à l’autre ?

La réponse n’est pas évidente. La désacralisation du pouvoir est l’un des premiers et des plus constants reproches adressés à Nicolas Sarkozy. Sa façon d’habiter la fonction de chef de l’État tranche nettement avec la majesté présidentielle du précédent locataire du « Château », quels qu’aient été par ailleurs ses penchants de « roi fainéant ». De fait, même la culture démocratique ne peut se passer d’une dimension symbolique qui a le visage d’un homme couronné par le suffrage populaire – ce qui n’est pas rien.

Ne sous-estimons pas l’apport de cette dimension monarchique, injectée dans le système en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel direct. Elle a contribué à apaiser la société et à stabiliser le système politique. Bref, on le sait, l’ADN républicain recèle toujours des gènes monarchiques.

Oui, mais voilà, aussi lourd, aussi important soit cet héritage, il doit s’incliner devant une valeur énigmatique et fondamentale : l’amour de l’égalité.

Ce qui est en jeu dans l’affaire Chirac, c’est, de surcroît, l’égalité matricielle, celle qui conditionne ou plutôt qui remplace toutes les autres : l’égalité de tous devant la loi. L’inégalité économique est constitutive de la société – et, quoi qu’on en pense, acceptée comme légitime jusqu’à un certain point. L’égalité entre les sexes, les races et les individus est une proclamation, l’égalité des chances une politique. Le principe d’une loi pour tous, sans exception, puissants et misérables, est un mur porteur de la République.

Pour autant, Chirac n’est pas un citoyen ordinaire. La justice devra mettre dans la balance le poids du symbole incarné par l’ancien président de le République, tant en France qu’à l’étranger. Comment ne pas prendre en compte les services rendus au pays, et même l’affection bruyante et récente que le grand-père de la nation inspire aux Français − qui ne le ménageaient guère quand il occupait la place du Père ? Peut-être le tribunal devra-t-il, au vu du dossier, faire preuve d’indulgence et relaxer Chirac.

Quoi qu’il en soit, la justice ne saurait se dessaisir a priori. Le citoyen Jacques Chirac doit répondre aux accusations dont il est l’objet. Mais au moment de rendre leur décision, les juges devront se rappeler que celui qu’ils vont condamner ou relaxer est aussi l’ancien président.[/access]

Mourir, c’est un métier

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Sépulture

Un ami à moi, professeur émérite d’histoire à la Sorbonne, vient de publier un ouvrage écrit à quatre mains avec son épouse[1. Tu nous as quittés, de Daniel et Françoise Rivet (Armand Colin).] qui fait l’histoire des annonces nécrologiques du carnet du Monde de sa création en 1944 à aujourd’hui.

Voilà au moins une chose dont la Toile ne s’est pas emparée. On continue à mourir sur le papier : les quotidiens nationaux et régionaux nous amènent chaque jour une fournée de macchabées plus ou moins sincèrement regrettés par leur famille, parents et alliés.

[access capability= »lire_inedits »]Dans la presse nationale, Le Figaro et Le Monde sont les leaders incontestés de ce type d’annonces. Seuls quelques vieux bab’s choisissent de mourir dans Libération en utilisant une prose nécrologique post-soixante-huitarde. Le contingent des curés de campagne « rappelés par le Seigneur » étant en voie d’extinction définitive, le carnet de La Croix est devenu squelettique.

Mourir est aujourd’hui beaucoup plus compliqué que jadis. D’abord, on n’est jamais à l’abri de l’acharnement thérapeutique d’un toubib qui met un point d’honneur à vous conserver dans ce bas monde le plus longtemps possible.

De plus, si la religion ne vous a pas rattrapé au seuil du grand passage, il va falloir que vous même, ou votre famille en cas de décès brusque et inattendu, formuliez des souhaits pour vos obsèques.

Crémation ou inhumation  ? Bach ou Mozart ? Le Monde ou Le Figaro ? C’est pourquoi quelques solides mécréants finissent par craquer, et confier aux professionnels de la profession, curés, pasteurs, rabbins ou imams le soin de procéder aux rites indispensables au bien-être des survivants à défaut de garantir la vie éternelle au défunt.

La seule règle qui transcende les différences religieuses et s’impose également aux incroyants fut formulée il y a bien longtemps par ces futés de Romains : De mortuis aut bonum, aut nihil ; des morts, on dit du bien, sinon rien. C’était juste pour causer…


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Crise d’âme

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François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.

L’identité, c’est comme la culture : au pluriel, tout le monde se pâme, au singulier, on se pince le nez. L’identité, ça sent tout de suite le renfermé, le moisi comme disait Sollers au siècle dernier. Ça trimballe son pesant de singularité mal embouchée. Ça fait français et qui entend le rester. Les identités, ça sonne bien mieux, ça a un petit air de festival des cultures du monde. Derrière ce pluriel, on entend tout de suite « métissage », « diversité »« les mots magiques de la France qui pense bien, ceux qui comptent triple au scrabble de l’éditorialiste », pour reprendre l’heureuse formule de Marc Cohen et Aimée Joubert.

Il n’est guère surprenant qu’Éric Besson ait déclenché un flot de commentaires indignés avec le lancement de sa french pride (celle-là est de Luc Rosenzweig). Il est même probable qu’il l’espérait. Il est vrai que ce « grand débat » avec les « forces vives de la nation » orchestré par le corps préfectoral a toutes les chances de sombrer dans la grand-guignolade. D’ailleurs, ça n’a pas loupé, quelqu’un a déjà proposé d’organiser un Grenelle de l’Identité. Sans rigoler.

[access capability= »lire_inedits »]On m’accordera sans doute que la nation, comme toute chose, a une identité qu’on appellera, faute d’un terme moins corrosif, « identité nationale ». C’est impossible à définir, ça bouge en permanence et ça se fabrique en malaxant des éléments hétérogènes de modes de vie, cadres de pensée et expériences du monde. Max Gallo parle de l’« âme de la France ». Quel que soit le nom qu’on lui donne, ça ne va pas très fort : culpabilité, dépression, perte de soi, overdose de passé, les symptômes de la névrose nationale abondent. On crée une cellule d’aide psychologique dès qu’un nourrisson perd son doudou : il n’est pas interdit de se demander ce qui cloche du côté de notre inconscient collectif. Même si, c’est certain, Besson derrière le divan, on n’y croit pas.

Ce qui est choquant, m’explique-t-on, ce n’est pas de poser la question de l’identité nationale mais de la relier à celle de l’immigration. Cela reviendrait à jeter la suspicion sur les étrangers – en fait sur les Français d’origine étrangère. La bonne blague. Surtout, n’en parlons pas. Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre l’évolution de l’identité nationale et l’immigration. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Dominique Sopo, patron de SOS Racisme (qui est souvent mieux inspiré), estime qu’en lieu et place du débat réclamé par Besson, on ferait mieux de se demander comment on lutte contre les discriminations qui, comme chacun sait, constituent la trame de la vie collective dans notre pays. Aucun rapport, je vous dis.

J’ai beau chercher, je ne vois pas où est le scandale. L’immigration a changé la France, c’est un fait et on ne cesse de nous le répéter. Il paraît légitime de se demander en quoi consiste ce changement. Il ne s’agit pas de s’en réjouir ou de s’en désoler – encore qu’on ait le droit de faire l’un ou l’autre. On peut penser que l’immigration est une chance pour la France et/ou que la France est une chance pour les immigrés. Cela n’a aucun sens de faire comme si rien ne s’était passé.

L’identité a partie liée avec la ressemblance. Tout l’enjeu caché du débat qui n’aura pas lieu est là. Que la France soit un pays multiethnique, de longue date au demeurant, tout le monde le voit. La seule question qui vaille en réalité et celle sur laquelle on s’écharpe sans le dire est : comment fabrique-t-on des Français ? L’assimilation, « cette machine à gagner ensemble » (encore Marc et Aimée), est devenue un gros mot. Elle a pourtant permis l’existence d’une identité collective qui était autre chose que la compilation des identités particulières et qui avait sur elles une relative prééminence. En France, on laissait un peu plus de ses différences à l’entrée qu’ailleurs. « Tout comme individu, rien comme peuple » (on dirait aujourd’hui « communauté » : l’injonction hier adressée aux juifs n’est guère d’actualité – y compris pour les juifs d’ailleurs. Aujourd’hui, tout le monde veut trimballer son origine en bandoulière, comme si les différences constituaient le seul monde commun possible. La France connaît elle aussi ses « accommodements raisonnables ».

On l’aura compris, dans cette affaire d’identité nationale, ce n’est pas le national qui fait dresser les cheveux sur les têtes, c’est l’identitaire. Sur la nation, du PS à l’UMP, de Libération au Monde (ce qui, j’en conviens, décrit un arc idéologique assez restreint), on jure sur tous les tons qu’on a compris la leçon. Promis, on ne la laissera plus au Front national. Mais il n’y a aucune raison d’abandonner l’identité aux « identitaires ». Ni à Éric Besson d’ailleurs.[/access]

En terrain connu

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Lagune Colorada, Bolivie
Lagune Colorada, Bolivie

Bientôt Noël et vous êtes à nouveau envahis par une sourde angoisse bien connue : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir acheter à papa, cette année ? Bon, déjà pas un CD de Cali ou de Diam’s : trop subversifs pour le padre. Heureusement pour vous, amis du genre humain, une série de livres et de DVD conformes aux normes européennes concernant le militantisme va vous permettre à la fois d’assurer votre futur héritage et de lutter ostensiblement contre le réchauffement climatique.

En effet, des documentaires consensuellement engagés comme La Terre vue du ciel ou Rendez-vous en terre inconnue se déclinent désormais en objets dérivés, disponibles sur les têtes de gondole des meilleures librairies. A la manière d’un tee-shirt « Yes, we can ! », ils vont vous donner l’occasion de faire un geste fort à l’intention des générations futures. Car comment racheter la mauvaise conscience qui vous a forcément envahi après une soirée devant l’une de ces cassandreries en cinémascope ? On n’a pas envoyé des escadrons d’hélicoptères aux antipodes pour que vous puissiez vous estimer quittes au moment d’éteindre votre poste de télé ! Avec son futur cadeau, votre papa pourra s’extasier, avec toute la famille, devant ces magnifiques images de notre planète que nous, sales Occidentaux, sommes en train de saloper avec nos pots de yaourts vides.

Certaines personnes, m’a-t-on dit, persistent à ne pas regarder ces émissions hypnopédiques. Peut-être faites-vous comme ces traîtres à la planète qui osent les boycotter au profit d’un match de 3ème division ou d’une gauloiserie pseudo-comique. On mettra ça sur le compte de l’ignorance plutôt que de vous assimiler à ces collabos des trusts chimico-impérialistes, qui se fichent pas mal de savoir qu’une famille de coupeurs de têtes habite sur chaque arbre qu’on abat en Amazonie…

Pourtant, si vous aviez vu Rendez-vous en terre inconnue, vous comprendriez aussitôt son caractère d’utilité publique. Un baroudeur hirsute y joue le tour-operator sympa pour people à l’humanisme photogénique. Car maintenant que les french doctors ont définitivement posé leurs sacs de riz, voici la relève prise par des animateurs de prime-time éthique qui nous montrent que l’ouverture à l’autre, ça commence à 20h35, dorénavant.

Bien entendu, l’autochtone qui aura l’honneur d’héberger nos stars cathodiques devra suivre un cahier des charges précis : afficher un sourire chronique et ne pas battre son épouse devant les caméras. De plus, il lui sera demandé à la fois de présenter de ses coutumes une image séduisante – en portant son costume traditionnel lors des prises de vue – et d’accepter avec humilité quelques admonestations paternalistes de nos représentants lorsqu’il rechigne à faire la vaisselle. La dextérité des caméramen fera le reste, particulièrement au moment crucial des adieux : là où il faut trouver le meilleur angle pour choper la larme qui perle, avec le soleil qui embrase le ciel, en fond.

Le succès en parts d’audience ainsi obtenu a évidemment suscité l’avidité de producteurs étrangers s’imaginant déjà en faire un remake présenté par George Clooney ou Brad Pitt. Mais ils devront se faire une raison : le concept restera hexagonal. La bienveillance et la générosité ne sont pas à vendre, qu’ils se le disent ! Ou alors, seulement en librairie, avec un joli papier cadeau autour…

Rendez-vous en terre inconnue (ancienne édition)

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Des pommes, des Pachtouns et des scoubidous

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L’Afghanistan a exporté 14 tonnes de pommes vers l’Inde et le ministre de l’agriculture, Mohammad Asif Rahimi, fier comme un Artaban pachtoun, espère même atteindre le chiffre colossal de 400 tonnes pour la saison. C’est à ce genre d’admirables résultats que l’on comprend que le sacrifice de nos soldats et de ceux de l’Otan n’est pas vain. La pomme afghane, c’est tout un symbole, un peu comme celle du président Chirac pour sa campagne de 1995. Bon, les esprits chagrins rappelleront que l’Afghanistan est essentiellement contrôlé par les talibans qui sont en position de quasi-monopole pour l’exportation du pavot avec 8000 tonnes annuelles. Mais ne boudons pas notre plaisir : à nous les bonnes tartes tatin de Kandahar et le cidre de Kaboul ! Et le premier qui osera dire, comme Francis Blanche, dans la célèbre scène des Tontons Flingueurs, « T’auras beau dire, y a pas que de la pomme ! », celui-là sera privé de défonce… Euh, de dessert.

Marre du Prolétairement correct

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Karl Marx

Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : si ma mémoire est bonne, c’est à peu près en ces termes que Smerdiakov, dans Les Frères Karamazov,  répond à Ivan, juste avant d’accomplir une sale, sale besogne : tuer cet affreux père Karamazov, dont l’assassin semble être aussi un fils, illégitime. Il y a avantage à causer avec un  homme d’esprit : Dostoïevski, le Grand subtil, ne dit jamais, notez-le, que Smerdiakov est le criminel d’un père dont tous les enfants pourraient souhaiter la mort. Il le suggère, par cette petite phrase. C’est Ivan qui, à demi-mots, commandite le crime et Smerdiakov qui se charge de l’exécuter, fasciné qu’il est par un frère affichant l’aura de l’Idée.

Ce que Dostoïevski veut, entre autre, nous signifier, c’est que les passions les plus fortes sont celles de l’intellect, de l’Idée fixe. Ivan s’est engouffré  dans sa théorie pré-révolutionnaire, il a quitté le terrain du réel et annonce à qui veut l’entendre que désormais, si on le veut bien, tout est permis. Près d’un demi-siècle plus tard, Georg Orwell reprendra à son compte le message dostoïevskien et soutiendra également que les régimes totalitaires sont les conséquences de psychoses intellectuelles et les dictateurs, des théoriciens.

Je vois d’ici la tête du lecteur : ai-je bien lu le titre ou le sous-titre de cet article ? Suis-je bien en train de lire une réponse, amicale, à un précédent article de Jérôme Leroy, consacré à une banale affaire de « trafic de toponymie », dans la bonne ville de Montreuil sous bois ? C’est sûr, Causeur a dû se tromper : confusion, aléa du copier-coller, enfin, je ne sais quoi… 

Lecteur, rassure-toi, mon propos, j’y viens, j’y viens. « Dieu écrit droit par des lignes courbes », tu sais bien, toi qui comme Badiou a lu Claudel et l’épigraphe choisie par le poète pour habiller son Soulier de satin.

 Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit, donc. Dans cette histoire de Montreuil, il n’y a pas mort d’homme – à part le pauvre Frachon, ma foi : il y a peut-être simplement, tout d’abord, que notre ami Jérôme Leroy, s’est glissé, – qu’il me pardonne, – dans la peau d’un Smerdiakov, écoutant le commanditaire d’une fausse information dont par la plume il s’est fait l’exécuteur. Quel homme d’esprit – quel communiste, de Montreuil ou d’ailleurs ? – a-t-il écouté, qui lui a glissé à l’oreille, sournoisement, qu’il pouvait y aller ?  Va, cours, vole, à la défense de la mémoire prolétaire, bafouée à Montreuil ! Mais parfois, on le sait aussi, l’homme d’esprit on se le façonne, pour soi seul.

 Le premier hic, donc, c’est que le plaisant commanditaire, s’il existe et si j’ose ainsi parler, a pris un malin plaisir à ce que Leroy soit la main littéraire d’une rumeur, infondée : non, non, il n’est pas vrai, camarade Jérôme, que le Maire de Montreuil, Dominique Voynet, ait pris la décision de rayer de la liste des noms de rues et places, le nom de Benoît Frachon.  La place en question, cela fait des années qu’elle n’existe plus, enterrée, par les pelleteuses de l’ancien maire, dans un trou béant, qu’on peut venir voir.

Non, et non, il n’est pas vrai non plus que le supposé perfide maire montreuillois ait décidé d’ « amputer la mémoire ouvrière à coups de hachoir » : non seulement il y aura quoi qu’il arrive, une place Frachon à Montreuil, mais, comble de bonne volonté, l’équipe municipale est en voie de transformer l’actuel musée d’Histoire vivante de cette bonne ville en une « Cité nationale du mouvement ouvrier ». Avouer que comme amputation, on a fait mieux, – ou pire, c’est à voir !

 Mais je me rends compte, soudain, que beaucoup de nos lecteurs ne sont sans doute pas montreuillois, contrairement à moi, qui fréquente ses sous-bois depuis une quinzaine d’années. À défaut d’un dessin, je m’en vais donc leur faire une petite visite touristique des lieux du trafic patronymique supposé, du carnage local, avec pour objectif d’expliquer à nos causeurs comment on en est arrivé à cette rumeur d’une profanation fâcheuse. Suivez le guide.

L’actuelle place Frachon, celle donc qui – ô horreur – va être rebaptisée, le nom de Frachon s’en trouvant alors fâcheusement déplacé,  je vous demande de l’imaginer, voyageurs de la Toile, fait partie d’une vaste esplanade, située face à la mairie des lieux. Vaste esplanade disais-je, divisée en trois places édifiantes. De l’une d’elles, ceux qui ont suivi connaissent déjà le nom ; quant aux deux autres places, elles ont pour noms jolis et bien réglementaires Jaurès et Guernica.

Mais, – Lénine m’empale ! – pourquoi diable ce projet soudain de débaptiser à tour de bras ? Il n’est pas bien, Frachon, à sa place ? Ce qu’il me faut ajouter, pour compléter le tableau, c’est que ce vaste ensemble municipal est au cœur d’un projet de rénovation urbaine, entamé, pour ceux qui s’en souviennent, par l’ancien édile des lieux, Jean-Pierre Brard. Le nom de ce projet, du temps de notre communiste élu, qui n’était pas gris, je le concède, qui arborait même souvent des costumes jaunes, un peu ridicules ? Cœur de ville, justement. Cœur de ville, c’est joli, n’est-ce pas ?  Autant dire que les élus communistes n’ont pas attendu Voynet pour faire dans la Novlangue consensuelle, le moderne lissage. Cœur de ville, répétez après moi, la bouche en cul de poule, mais fleurie. Au lieu de cela, Dominique Voynet et son équipe, préfèrent revenir en arrière et parler, pour nommer cette place rouge centrale, ce trou encore béant, de …centre-ville. C’est d’un banal…

Je résume, pour ceux qui n’écoutent pas. Loin de « se faire l’allié objectif de la droite libérale », l’équipe Voynet, si je compte bien : 1. conservera, pour une de ses places, le nom de Frachon ; 2. transformera un vieillot musée à l’agonie en « Cité nationale du mouvement ouvrier » ; 3. conservera encore, pour deux des places situées en « cœur de ville »  des patronymes fleurant bon le communisme conforme. Quant à la troisième place, il n’est pas certain du tout, contrairement à ce que prétend le camarade Leroy, qu’elle soit rebaptisée place Aimé Césaire. Dans l’entourage du maire, on me souffle que le nom du poète martiniquais circule, parmi d’autres, et de ce remue-méninges, rien encore n’est encore définitivement sorti.

A ce propos, si je voulais faire le malin – ce dont Staline ou ses suppôts me gardent – et puisque rien n’est définitif, chère Dominique, je te soufflerais volontiers quelques noms, pour renommer l’actuel trou à pelleteuse qui portait jadis le nom de  Benoît Frachon. Et ils ne seraient pas consensuels, ceux-là, crois-moi. Tiens, tu pourrais par exemple,  ce fichu terre-plein central, le nommer… Mais mon épouse me chatouille et me supplie déjà, s’il te pôlait, dit-elle, en imitant la mère Deume, arrête, arrête, mon chéri, tu te fais du mal, et tu vas encore passer  pour un vieux réac !

Je passe donc, par amour pour ma moitié. Mais je n’en pense pas moins. Et qu’on se le dise, s’il ne tenait qu’à moi, on sabrerait dans l’annuaire municipal ; pire, on nettoierait ce prolétairement correct, obligatoire, dans toutes les villes de la petite couronne parisienne : prolétairement correct qui fait que, si de ces villes on consulte simplement la liste des rues, on éprouve la sensation inquiétante de lire  dix fois le même annuaire municipal, résultat de la folie mégalomane d’un totalitaire magna : Jaurès, Gambetta, Frachon, j’en passe : qu’on soit à Pantin, Saint-Denis, Montreuil, toujours les mêmes rues, les mêmes places ! Et pour les noms cités, encore ça va ; mais nos causeurs savent bien que, dans chacune des villes nommées, on trouve par exemple une avenue,  que sais-je, un boulevard Lénine. Tiens, tout près de chez moi, Vladimir Ilitch a droit à un square. Si encore, il s’agissait d’une impasse… Passons.

Je sais bien, je m’égare, comme vous vous égarâtes, camarade Jérôme, et fûtes mal inspiré, dans votre article récent, en laissant entendre, encore, que Dominique Voynet choisit Montreuil par stratégie politique. Apprenez qu’elle s’est installée dans notre bonne ville il y a de cela quelques années déjà, quatre ou cinq ans au moins, avant de présenter sa candidature. Or, vous laissez entendre qu’elle fut comme parachutée, selon l’expression consacrée. Autre chose encore : j’en ai un peu ras la casquette, et j’en perds alors ma langue, je dois dire, qu’on moque les bobos, à Montreuil ou ailleurs.  De ces bobos, je ne crois pas faire partie ; mais si par bobos, au sens large, on désigne tous ces couples, toutes ces familles qui, bien qu’ayant les moyens de s’installer ailleurs, ont néanmoins choisi de vivre à Montreuil, pour vivre dans une ville où règne un minimum de mixité sociale, – c’est comme ça qu’on dit ? -, alors, je veux bien passer pour un bobo. Car, que voudrait-on, enfin, que Montreuil, et toutes les cités modestes de la petite couronne ne soient habitées que par des familles à faible revenu social ? Voudrait-on qu’elles soient réservées à des Français pour qui le vote communiste serait obligatoire ?  Ce qu’on voudrait donc, et pour aller vite, c’est que les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches, avec les riches ? Dois-je déménager, cher Jérôme, à Vincennes, la voisine, la mignonne ? Par pitié, que ceux qui vivent bien à l’abri dans une résidence cossue, située dans leur ville jolie, ne viennent pas, en plus, nous faire la leçon, à nous qui avons choisi de vivre – ô disgrâce ! –  et qui nous en portons bien, ma foi, dans des communes modestes, à côté des chômeurs, des pauvres, – pardon, des personnes à revenus réduits, doux euphémisme, lissage joli -, des étrangers, que sais-je, des…communistes !

Et puis, je termine : n’y a-t-il pas quelque chose de cocasse, cher Jérôme, à venir reprocher à des élus verts de débaptiser des noms de places, quand on sait que cette auguste tradition, nous la devons principalement à des communistes, justement ? Falsifier le passé, ils s’y connaissent, non ? Et si on les laissait faire, ils continueraient, eux, bien moins timides que nos élus verts, à débaptiser et rebaptiser à tour de bras, toutes les rues, les places, les villes même, qui évoquent par exemple, le nom de saints ?

Mais, camarade Jérôme, que dites-vous encore ? Que « les Verts qui se veulent la gauche ouverte et moderne de demain ont décidé d’en finir avec un mauvais rêve qui est celui de l’hypothèse communiste et de sa mémoire. Ils mettront, à les détruire, autant d’acharnement que la droite la plus libérale. » Rassurez-vous, l’hypothèse communiste, la grande Histoire s’est chargée elle-même de lui faire un sort ; et pour ce qui est de se détruire, les communistes s’en chargent bien tout seuls, comme des grands : c’est pas joli joli, d’accuser les Verts, ma foi. Voyez-vous, camarade, moi je crois plutôt, comme Gatignon, le maire communiste de Sevran, que « depuis trente ans, la direction du PCF a mis tous ses dissidents dans un ghetto intellectuel et l’extrême gauche s’est enfermée dans la pureté révolutionnaire ». Et d’ajouter : « Nous n’avons jamais travaillé sur ce qu’a représenté pour nous l’écroulement du monde soviétique »[1. « Le maire communiste de Sevran sous la bannière d’Europe Ecologie », Le Monde, 09/11/2009]. Voilà, pas besoin de verts boucs émissaires, c’est par là qu’il faut chercher des raisons à la déroute électorale. Du côté de la psychose intellectuelle, dirait Orwell.

Mais je vous vois sourire, cher Jérôme, avouez-le. Preuve que j’ai vu un peu juste. Preuve, s’il en fallait une, qu’il y a plaisir à causer avec un homme d’esprit, va.

Encore une minute, monsieur le bourreau

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John Allen Muhamad, ancien soldat de l’armée américaine et tireur d’élite, a été exécuté hier à 2h11 GMT par injection mortelle dans le pénitencier de Greenville, en Virginie (USA). Il avait participé à la guerre du Golfe en 1991, le premier conflit post-guerre froide et la première ratonnade pétrolière assistée par ordinateur. En 2002, John Allen Muhamad, avait tué une dizaine de personnes au hasard en une semaine, terrorisant la capitale fédérale et gagnant le surnom de « sniper de Washington ». Il promettait d’arrêter le massacre par lettres anonymes en échange d’une rançon de plusieurs millions de dollars. On félicitera la rigueur des autorités de Virginie qui, pour mettre à mort ce tireur fou, ont attendu que celui-ci puisse assister aux fêtes célébrant la chute du Mur de Berlin et se rendre compte ainsi quel monde de paix et d’harmonie, il allait laisser derrière lui. Le bourreau assure, contrairement à ce que laisseraient entendre de mauvaises langues, que le dernier soupir de John Allen Muhamad n’était pas un soupir de soulagement.

Polanski, Finkielkraut et l’internet

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Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle, vers 1495.
Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle, vers 1495.

Depuis que le « scandale » Polanski a été détrôné par d’autres scandales, il est désolant de constater que l’affaire, momentanément enterrée, a fini par graver dans le marbre des informations fallacieuses qui s’amplifient sur le net, et obligent à rappeler quelques vérités de base. 

Oui, tolérer le viol d’une jeune fille sous prétexte qu’elle fait des photos déshabillée est bien sûr inadmissible. Et excuser le viol d’une jeune fille sous prétexte que le violeur serait un grand cinéaste est plus inique encore. La plupart des Français ont (ré-)entendu parler de l’affaire Polanski après de son arrestation en Suisse comme l’histoire d’un homme qui a fui la justice après avoir commis un viol sur une jeune fille de 13 ans. Face à ces accusations inexactes, les Français ont trouvé bien faibles les arguments de la défense, évoquant un droit de prescription (qui n’existe pas aux Etats Unis) et la partialité du juge de Californie (qui a renié sa parole, faute pour laquelle l’affaire lui a été retirée). Et cette défense est passée comme une argutie juridique masquant la terrible réalité.

Le tollé est devenu si considérable que la seule interrogation des faits passe aujourd’hui pour une justification du viol et de la pédophilie. Or, si ce sont les faits qui comptent, rappelons que la Cour de Californie a jugé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre Roman Polanski pour viol, mais pour unlawful sexual intercourse (relation sexuelle illicite). Donc, les faits sont les faits et les mots ont un sens: le détournement de mineur n’est pas un viol. On peut bien sûr estimer que le consentement d’une jeune fille n’a aucune valeur dès lors qu’elle n’a pas atteint sa majorité sexuelle (décrétée aujourd’hui à 15 ans, hier à 18 ans, avant-hier à 21 ans). On peut aussi penser que Polanski a néanmoins commis une faute morale et que, sans employer la force, il a abusé de sa notoriété et son aura. Mais il est en revanche scandaleux que dans cette affaire de « détournement de mineur » ou « d’abus de pouvoir », l’accusé continue d’être présenté comme coupable de « viol », comme l’a affirmé Daniel Cohn-Bendit, et comme ne cesse de le répéter la foule des internautes — scandalisés qu’on puisse laisser ce « viol de pédophile » impuni.

Ajoutons que l’affaire Polanski n’a rien à voir avec la pédophilie, puisque celle-ci, tous les juristes le savent, ne concerne que les enfants, c’est-à-dire les mineurs pré-pubères. Mais son sens est suffisamment flou (puisqu’il est passé de « avoir du désir pour les enfants » à « avoir des relations sexuelles avec eux ») et les crimes si odieux (depuis l’affaire Dutroux) que la Calomnie en fait aisément son miel. Ne s’intéressant pas aux faits, elle préfère ourdir des procès d’intention sur des citations fallacieuses, dont Alain Finkielkraut a été récemment l’étonnante victime. Répondant à l’accusation de pédophilie contre Polanski, il a précisé au micro de France Inter que la plaignante « n’était pas une enfant au moment des faits. C’était une adolescente qui posait dénudée pour Vogue Hommes qui n’est pas un journal pédophile.» Répondant à l’accusation de viol, il a rappelé que «Polanski a toujours nié le viol, ne nous exemptons pas de notre devoir de réserve». Voilà qui suffisait pour que, dans son éditorial du journal Elle[1. Hector Obalk collabore régulièrement à Elle.] du 23 octobre 2009, intitulé « déni de viol », Marie-Françoise Colombani réécrive le texte ainsi: «Pas question de parler de viol pour Monsieur Finkielkraut puisque « la jeune fille avait déjà eu des relations sexuelles » (sic) et qu’elle « posait dénudée dans les journaux » (re-sic) » — les « sic » indignés et grotesques sont de l’éditorialiste. Voilà comment avec deux citations exactes et un « puisque », on fait passer n’importe qui pour un défenseur du viol… Afin que nul n’en doute, dois-je préciser : je m’appelle Hector Obalk et je suis contre le viol, que rien ne saurait justifier. Sic. 

Droit dans le Mur

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Après les mille conjectures, témoignages, invectives, photomontages et autres figures obligées ayant souillé la commémoration de la fin inopinée de la frontière minérale de Berlin, quelques mises au point s’imposent. Premièrement la plupart des éléments du Facebook présidentiel sont aisément vérifiables. Par exemple, il est indubitable qu’il était bien maire de Neuilly et responsable du RPR lors de la chute du Mur. Voilà qui devrait mettre fin à une polémique indigne, d’autant plus qu’il n’est pas exclu qu’Angela Merkel, dont nul n’osera nier la présence à Berlin en ce jour fondateur, rédige, à l’issue des cérémonies parisiennes du 11 novembre, une attestation écrite comme quoi elle a bien vu notre futur président manier le marteau-piqueur à Check Point Charlie le neuf novembre 1989. Rideau ! (de fer, faut-il le dire ?)

Les femmes et les enfants d’abord

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Corps

Corps

Revoilà la bête immonde, mais pas celle que vous croyez. Pas de chemises brunes défilant au pas de l’oie. Cette fois-ci, elle est en chacun de nous. En vrai, en chacun de vous, les mecs. Même quand elle meurt, elle ne se rend pas – raison pour laquelle un criminel sexuel à peu près impuissant demande qu’on la lui coupe.

Bonne fille, l’actualité vient rappeler à nos esprits oublieux que le danger rôde. Les quelques semaines qui viennent de s’écouler ont été généreuses en « affaires ». Qu’y a-t-il de commun entre le crime de Polanski, la faute de Frédéric Mitterrand, le débat sur la castration chimique et la gracieuse idée du Garde des sceaux de réfléchir à la possibilité de recourir à la castration physique – entre adultes consentants bien sûr ? Vous y êtes. Tout ça se passe en dessous de la ceinture. Autrement dit, dans le passé le plus sombre de l’humanité. Parce que le sexe, c’est réac, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il faut s’en débarrasser urgemment.

[access capability= »lire_inedits »]Le message est clair. Le sexe tue. Surtout, celui des hommes qui se trouve ainsi être à la fois l’arme et le mobile du crime. La preuve, c’est qu’il s’en prend d’abord aux femmes et aux enfants. Je sais, il y a aussi les hommes et les hommes et les femmes et les femmes ; mais quelles que soient les « pratiques sexuelles » comme disent les sondeurs, la sexualité n’en est pas moins anthropologiquement fondée sur la division sexuelle, autrement dit sur la rencontre et sur son impossibilité. Et comme l’a fort bien analysé mon cher Philippe Muray, l’Histoire aussi.

On me dira que ce n’est pas très nouveau et qu’on savait depuis longtemps que c’était mal. Durant des millénaires, en gros, d’Adam et Eve aux années 1960, ce fut même l’un des intérêts de la chose. C’était mal mais c’était bon, et un peu bon aussi parce que c’était mal. Puis on décida de se délivrer des tourments et, par la même occasion, des délices de la culpabilité et du négatif. Le sexe devint innocent, égalitaire et, par-dessus tout, libre. Quand je veux, si je veux : on en avait fini avec les pulsions destructrices ou autodestructrices, la domination, la folie amoureuse. On en avait fini au passage avec le désir et sa mort programmée – donc avec la mort. Ce faisant, on en finissait avec la vie elle-même. Les hommes et les femmes (voir plus haut) enfin réconciliés s’entendraient désormais sur la base raisonnable et contractuelle du plaisir équitablement partagé. Après coup, on s’aperçut que la libération était devenue libéralisation et on trouva que ce n’était pas plus mal. Délivrée des chichis de la libido, de ses tours de salope et de ses coups de sang, protégée d’elle-même, l’humanité allait enterrer en même temps la guerre, le clivage, le ratage et retrouver son innocence perdue. Comme l’écrit brillamment Bruno Maillé, la meute est innocente. C’est ce qui fait sa force.

L’opération a parfaitement réussi. Il n’y a plus ni hommes ni femmes, nous sommes tous Enis, l’enfant martyrisé par un prédateur. Ou alors Francis Evrard. Victime ou bourreau, rien entre les deux.

Il est tentant de voir dans cette ambiance plombée la manifestation du retour de bâton (backlash) que les féministes appellent de leurs vœux depuis vingt ans, en vain d’ailleurs. Désolée, pas d’ordre moral en vue. À quoi diable servirait la morale dans un monde délivré du mal ? Enfance pour tous : le programme qui est en cours d’accomplissement n’est pas un retour en arrière mais au contraire un grand bond en avant. On croyait que le sexe libéré dans la grande fusion des genres et des corps était le comble du moderne, et le voilà détrôné par plus moderne encore. (« Moderne contre Moderne », Muray, une fois de plus, avait inventé tout ce qui arrive). Nous n’accostons pas sur les rives du Paradis perdu mais sur d’inviolés rivages sans sexualité. Il est déjà permis de rêver à l’avenir radieux où l’on n’aura plus besoin de castrer les mâles parce qu’ils auront applaudi à leur castration − pas symbolique, réelle, ainsi que l’observe Alexandre Livier.

D’accord, je mets tout dans le même sac, mais c’est l’époque qui met tout dans le même sac. Florentin Piffard a raison : on dirait que s’instaure, dans l’esprit public, une continuité entre sexe consenti et sexe subi, érotisme adulte et pédophilie. « Tu justifies un viol », m’a dit un ami, la voix vaguement tremblante, alors que je plaidais la cause de Polanski, maladroitement sans doute. Dès que l’on essaie d’imaginer la scène au cours de laquelle le cinéaste a eu, il y a plus de trente ans « des relations sexuelles illicites avec une mineure », les mots sonnent faux ou même dégueulasses. « C’est ça, dis qu’elle l’a cherché. » Non, ce n’est pas ça. Mais peut-on rappeler que le désir d’un homme sexuellement actif pour une femme, fût-elle encore aussi une enfant, qui pose devant lui, nue dans un jacuzzi, n’est pas en lui-même criminel et que, pour condamnable qu’il soit, le passage à l’acte mérite peut-être des circonstances atténuantes ? Ce à quoi il faut ajouter qu’il est tombé dans un véritable piège judiciaire, comme l’explique Sylvie Topaloff.

Un mot sur la jurisprudence Mitterrand. Quelques semaines après sa nomination, sa défense ratée de Polanski a rappelé aux fins limiers de la grande presse que, dans une autre vie, le ministre allait aux putes. Ces putes étaient des hommes, mais soyons honnête, ce n’est pas ça qui a posé problème. Non, le scandale est qu’il y allait en Thaïlande, là où les corps sont lisses et disponibles. On appelle ça « tourisme sexuel » en raison de la différence de pouvoir d’achat – et de pouvoir tout court. On achète des cuirs en Italie, des écrans plats fabriqués à bas coût et au mépris des droits du travailleur − sinon de l’homme ou de l’enfant − en Chine au supermarché du coin et du sexe en Asie. En vrai, pour Frédéric Mitterrand, l’argument économique n’est guère probant car j’imagine qu’il aurait pu s’offrir à Paris toutes sortes de ressources érotiques tarifées. Quoi qu’il en soit, il a eu recours à la prostitution. En France, ce n’est pas interdit, mais ailleurs, oui (pour les Français). À l’exception du crime contre l’humanité, c’est, me semble-t-il, l’un des rares délits commis hors du territoire pour lequel on puisse être poursuivi par la justice française.

On peut se demander ce qui, en dehors de l’affaire Jean Sarkozy et de ses réseaux, d’autant plus efficaces qu’ils sont fondés sur le fait qu’il est visiblement un « type bien », a sauvé le soldat Mitterrand. La réponse est simple : il a publiquement fait acte de contrition. D’ailleurs, chez lui, le repentir est inscrit dans l’acte : il y a un côté catho torturé chez cet homosexuel tourmenté. Frédéric Mitterrand n’est jamais entré dans le monde enchanté du sexe sans risque et sans douleur. À le lire, on sent que, pour lui, le plaisir et la honte restent indissolublement liés. Il est un homme du vieux monde, c’est son charme.

Et puis, il y a le peuple qui, note Luc Rosenzweig, en a marre de voir les élites s’affranchir de la morale commune. Le peuple prêt, nous dit-on, à se rassembler en place de Grève pour assister à la castration de ceux qui font du mal aux divins enfants. En vérité, on ne sait jamais très bien, dans ce que pense le peuple, ce qui lui a été inspiré par le concert des médias, experts et sondeurs. Et puis tant pis si je ne suis pas d’accord avec le peuple.

Nous croyons édifier une humanité sans crime, nous inventons une humanité sans hommes. Bienvenue dans l’ère des coupeuses de testicules, qui sont parfois des hommes, et des casseurs de couilles qui sont souvent des femmes, et plus encore des mères. L’âge des gonzesses arrive, ou pire encore, le règne des mamans. Fini de rigoler.[/access]

Puissants et misérables

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Jacques Chirac
Ancien président de la République, le "Chi" doit-il craindre d'être jugé ?
Jacques Chirac
Ancien président de la République, le "Chi" doit-il craindre d'être jugé ?

Je ne voudrais pas être dans les escarpins de Xavière Siméoni. En l’absence de pistolet fumant, même le dossier le mieux bouclé risque de fondre sous le feu des avocats de la défense. En décidant de renvoyer Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, sur une simple probabilité de conviction, la juge a mis en jeu la crédibilité du juge d’instruction et même celle de la justice française. Elle devait arbitrer entre deux passions françaises, l’égalité et l’attachement au principe monarchique relooké par le suffrage universel. En faisant prévaloir l’égalité devant la loi, elle a pris une décision juste et cohérente.

Les faits sont connus, à défaut d’être simples à qualifier. Les salaires de permanents du RPR étaient payés par la mairie de Paris. Quelques collaborateurs de Chirac de l’époque − et notamment Alain Juppé − ont déjà été condamnés dans cette affaire mais, protégé par l’immunité, Chirac est resté pendant les douze ans de son mandat présidentiel hors de portée de la justice et, malgré les efforts de certains magistrats, la question de son implication n’a pas été tranchée. Abriter l’ancien président derrière le fait que deux décennies ont passé revient à tuer ses parents avant de réclamer la miséricorde due à un orphelin.

[access capability= »lire_inedits »]Il est vrai que, d’un point de vue juridique, la question de la responsabilité de Chirac dans les emplois fictifs est tout sauf simple. Du reste, elle divise les professionnels. En avril 1999, le procureur de la République de Nanterre fait état de fortes présomptions sur la participation de Chirac à une prise illégale d’intérêt et recel d’abus de bien sociaux. Dix ans plus tard, le Parquet de Paris demande un non-lieu général. Forte de ces deux avis contradictoires, la juge Siméoni aurait pu choisir la voie facile et moins controversée du non-lieu sans risquer d’essuyer l’indignation générale. Elle en a décidé autrement. On peut, même sans la partager, admettre que cette position est légitime.

Résumons la question posée à Mme Siméoni – qui jouit d’un fort soutien dans la magistrature. Quand l’égalité et l’autorité symbolique se croisent sur un pont étroit, qui doit céder le passage à l’autre ?

La réponse n’est pas évidente. La désacralisation du pouvoir est l’un des premiers et des plus constants reproches adressés à Nicolas Sarkozy. Sa façon d’habiter la fonction de chef de l’État tranche nettement avec la majesté présidentielle du précédent locataire du « Château », quels qu’aient été par ailleurs ses penchants de « roi fainéant ». De fait, même la culture démocratique ne peut se passer d’une dimension symbolique qui a le visage d’un homme couronné par le suffrage populaire – ce qui n’est pas rien.

Ne sous-estimons pas l’apport de cette dimension monarchique, injectée dans le système en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel direct. Elle a contribué à apaiser la société et à stabiliser le système politique. Bref, on le sait, l’ADN républicain recèle toujours des gènes monarchiques.

Oui, mais voilà, aussi lourd, aussi important soit cet héritage, il doit s’incliner devant une valeur énigmatique et fondamentale : l’amour de l’égalité.

Ce qui est en jeu dans l’affaire Chirac, c’est, de surcroît, l’égalité matricielle, celle qui conditionne ou plutôt qui remplace toutes les autres : l’égalité de tous devant la loi. L’inégalité économique est constitutive de la société – et, quoi qu’on en pense, acceptée comme légitime jusqu’à un certain point. L’égalité entre les sexes, les races et les individus est une proclamation, l’égalité des chances une politique. Le principe d’une loi pour tous, sans exception, puissants et misérables, est un mur porteur de la République.

Pour autant, Chirac n’est pas un citoyen ordinaire. La justice devra mettre dans la balance le poids du symbole incarné par l’ancien président de le République, tant en France qu’à l’étranger. Comment ne pas prendre en compte les services rendus au pays, et même l’affection bruyante et récente que le grand-père de la nation inspire aux Français − qui ne le ménageaient guère quand il occupait la place du Père ? Peut-être le tribunal devra-t-il, au vu du dossier, faire preuve d’indulgence et relaxer Chirac.

Quoi qu’il en soit, la justice ne saurait se dessaisir a priori. Le citoyen Jacques Chirac doit répondre aux accusations dont il est l’objet. Mais au moment de rendre leur décision, les juges devront se rappeler que celui qu’ils vont condamner ou relaxer est aussi l’ancien président.[/access]

Mourir, c’est un métier

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Sépulture

Sépulture

Un ami à moi, professeur émérite d’histoire à la Sorbonne, vient de publier un ouvrage écrit à quatre mains avec son épouse[1. Tu nous as quittés, de Daniel et Françoise Rivet (Armand Colin).] qui fait l’histoire des annonces nécrologiques du carnet du Monde de sa création en 1944 à aujourd’hui.

Voilà au moins une chose dont la Toile ne s’est pas emparée. On continue à mourir sur le papier : les quotidiens nationaux et régionaux nous amènent chaque jour une fournée de macchabées plus ou moins sincèrement regrettés par leur famille, parents et alliés.

[access capability= »lire_inedits »]Dans la presse nationale, Le Figaro et Le Monde sont les leaders incontestés de ce type d’annonces. Seuls quelques vieux bab’s choisissent de mourir dans Libération en utilisant une prose nécrologique post-soixante-huitarde. Le contingent des curés de campagne « rappelés par le Seigneur » étant en voie d’extinction définitive, le carnet de La Croix est devenu squelettique.

Mourir est aujourd’hui beaucoup plus compliqué que jadis. D’abord, on n’est jamais à l’abri de l’acharnement thérapeutique d’un toubib qui met un point d’honneur à vous conserver dans ce bas monde le plus longtemps possible.

De plus, si la religion ne vous a pas rattrapé au seuil du grand passage, il va falloir que vous même, ou votre famille en cas de décès brusque et inattendu, formuliez des souhaits pour vos obsèques.

Crémation ou inhumation  ? Bach ou Mozart ? Le Monde ou Le Figaro ? C’est pourquoi quelques solides mécréants finissent par craquer, et confier aux professionnels de la profession, curés, pasteurs, rabbins ou imams le soin de procéder aux rites indispensables au bien-être des survivants à défaut de garantir la vie éternelle au défunt.

La seule règle qui transcende les différences religieuses et s’impose également aux incroyants fut formulée il y a bien longtemps par ces futés de Romains : De mortuis aut bonum, aut nihil ; des morts, on dit du bien, sinon rien. C’était juste pour causer…


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Crise d’âme

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François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.

L’identité, c’est comme la culture : au pluriel, tout le monde se pâme, au singulier, on se pince le nez. L’identité, ça sent tout de suite le renfermé, le moisi comme disait Sollers au siècle dernier. Ça trimballe son pesant de singularité mal embouchée. Ça fait français et qui entend le rester. Les identités, ça sonne bien mieux, ça a un petit air de festival des cultures du monde. Derrière ce pluriel, on entend tout de suite « métissage », « diversité »« les mots magiques de la France qui pense bien, ceux qui comptent triple au scrabble de l’éditorialiste », pour reprendre l’heureuse formule de Marc Cohen et Aimée Joubert.

Il n’est guère surprenant qu’Éric Besson ait déclenché un flot de commentaires indignés avec le lancement de sa french pride (celle-là est de Luc Rosenzweig). Il est même probable qu’il l’espérait. Il est vrai que ce « grand débat » avec les « forces vives de la nation » orchestré par le corps préfectoral a toutes les chances de sombrer dans la grand-guignolade. D’ailleurs, ça n’a pas loupé, quelqu’un a déjà proposé d’organiser un Grenelle de l’Identité. Sans rigoler.

[access capability= »lire_inedits »]On m’accordera sans doute que la nation, comme toute chose, a une identité qu’on appellera, faute d’un terme moins corrosif, « identité nationale ». C’est impossible à définir, ça bouge en permanence et ça se fabrique en malaxant des éléments hétérogènes de modes de vie, cadres de pensée et expériences du monde. Max Gallo parle de l’« âme de la France ». Quel que soit le nom qu’on lui donne, ça ne va pas très fort : culpabilité, dépression, perte de soi, overdose de passé, les symptômes de la névrose nationale abondent. On crée une cellule d’aide psychologique dès qu’un nourrisson perd son doudou : il n’est pas interdit de se demander ce qui cloche du côté de notre inconscient collectif. Même si, c’est certain, Besson derrière le divan, on n’y croit pas.

Ce qui est choquant, m’explique-t-on, ce n’est pas de poser la question de l’identité nationale mais de la relier à celle de l’immigration. Cela reviendrait à jeter la suspicion sur les étrangers – en fait sur les Français d’origine étrangère. La bonne blague. Surtout, n’en parlons pas. Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre l’évolution de l’identité nationale et l’immigration. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Dominique Sopo, patron de SOS Racisme (qui est souvent mieux inspiré), estime qu’en lieu et place du débat réclamé par Besson, on ferait mieux de se demander comment on lutte contre les discriminations qui, comme chacun sait, constituent la trame de la vie collective dans notre pays. Aucun rapport, je vous dis.

J’ai beau chercher, je ne vois pas où est le scandale. L’immigration a changé la France, c’est un fait et on ne cesse de nous le répéter. Il paraît légitime de se demander en quoi consiste ce changement. Il ne s’agit pas de s’en réjouir ou de s’en désoler – encore qu’on ait le droit de faire l’un ou l’autre. On peut penser que l’immigration est une chance pour la France et/ou que la France est une chance pour les immigrés. Cela n’a aucun sens de faire comme si rien ne s’était passé.

L’identité a partie liée avec la ressemblance. Tout l’enjeu caché du débat qui n’aura pas lieu est là. Que la France soit un pays multiethnique, de longue date au demeurant, tout le monde le voit. La seule question qui vaille en réalité et celle sur laquelle on s’écharpe sans le dire est : comment fabrique-t-on des Français ? L’assimilation, « cette machine à gagner ensemble » (encore Marc et Aimée), est devenue un gros mot. Elle a pourtant permis l’existence d’une identité collective qui était autre chose que la compilation des identités particulières et qui avait sur elles une relative prééminence. En France, on laissait un peu plus de ses différences à l’entrée qu’ailleurs. « Tout comme individu, rien comme peuple » (on dirait aujourd’hui « communauté » : l’injonction hier adressée aux juifs n’est guère d’actualité – y compris pour les juifs d’ailleurs. Aujourd’hui, tout le monde veut trimballer son origine en bandoulière, comme si les différences constituaient le seul monde commun possible. La France connaît elle aussi ses « accommodements raisonnables ».

On l’aura compris, dans cette affaire d’identité nationale, ce n’est pas le national qui fait dresser les cheveux sur les têtes, c’est l’identitaire. Sur la nation, du PS à l’UMP, de Libération au Monde (ce qui, j’en conviens, décrit un arc idéologique assez restreint), on jure sur tous les tons qu’on a compris la leçon. Promis, on ne la laissera plus au Front national. Mais il n’y a aucune raison d’abandonner l’identité aux « identitaires ». Ni à Éric Besson d’ailleurs.[/access]

En terrain connu

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Lagune Colorada, Bolivie
Lagune Colorada, Bolivie

Bientôt Noël et vous êtes à nouveau envahis par une sourde angoisse bien connue : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir acheter à papa, cette année ? Bon, déjà pas un CD de Cali ou de Diam’s : trop subversifs pour le padre. Heureusement pour vous, amis du genre humain, une série de livres et de DVD conformes aux normes européennes concernant le militantisme va vous permettre à la fois d’assurer votre futur héritage et de lutter ostensiblement contre le réchauffement climatique.

En effet, des documentaires consensuellement engagés comme La Terre vue du ciel ou Rendez-vous en terre inconnue se déclinent désormais en objets dérivés, disponibles sur les têtes de gondole des meilleures librairies. A la manière d’un tee-shirt « Yes, we can ! », ils vont vous donner l’occasion de faire un geste fort à l’intention des générations futures. Car comment racheter la mauvaise conscience qui vous a forcément envahi après une soirée devant l’une de ces cassandreries en cinémascope ? On n’a pas envoyé des escadrons d’hélicoptères aux antipodes pour que vous puissiez vous estimer quittes au moment d’éteindre votre poste de télé ! Avec son futur cadeau, votre papa pourra s’extasier, avec toute la famille, devant ces magnifiques images de notre planète que nous, sales Occidentaux, sommes en train de saloper avec nos pots de yaourts vides.

Certaines personnes, m’a-t-on dit, persistent à ne pas regarder ces émissions hypnopédiques. Peut-être faites-vous comme ces traîtres à la planète qui osent les boycotter au profit d’un match de 3ème division ou d’une gauloiserie pseudo-comique. On mettra ça sur le compte de l’ignorance plutôt que de vous assimiler à ces collabos des trusts chimico-impérialistes, qui se fichent pas mal de savoir qu’une famille de coupeurs de têtes habite sur chaque arbre qu’on abat en Amazonie…

Pourtant, si vous aviez vu Rendez-vous en terre inconnue, vous comprendriez aussitôt son caractère d’utilité publique. Un baroudeur hirsute y joue le tour-operator sympa pour people à l’humanisme photogénique. Car maintenant que les french doctors ont définitivement posé leurs sacs de riz, voici la relève prise par des animateurs de prime-time éthique qui nous montrent que l’ouverture à l’autre, ça commence à 20h35, dorénavant.

Bien entendu, l’autochtone qui aura l’honneur d’héberger nos stars cathodiques devra suivre un cahier des charges précis : afficher un sourire chronique et ne pas battre son épouse devant les caméras. De plus, il lui sera demandé à la fois de présenter de ses coutumes une image séduisante – en portant son costume traditionnel lors des prises de vue – et d’accepter avec humilité quelques admonestations paternalistes de nos représentants lorsqu’il rechigne à faire la vaisselle. La dextérité des caméramen fera le reste, particulièrement au moment crucial des adieux : là où il faut trouver le meilleur angle pour choper la larme qui perle, avec le soleil qui embrase le ciel, en fond.

Le succès en parts d’audience ainsi obtenu a évidemment suscité l’avidité de producteurs étrangers s’imaginant déjà en faire un remake présenté par George Clooney ou Brad Pitt. Mais ils devront se faire une raison : le concept restera hexagonal. La bienveillance et la générosité ne sont pas à vendre, qu’ils se le disent ! Ou alors, seulement en librairie, avec un joli papier cadeau autour…

Rendez-vous en terre inconnue (ancienne édition)

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Des pommes, des Pachtouns et des scoubidous

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L’Afghanistan a exporté 14 tonnes de pommes vers l’Inde et le ministre de l’agriculture, Mohammad Asif Rahimi, fier comme un Artaban pachtoun, espère même atteindre le chiffre colossal de 400 tonnes pour la saison. C’est à ce genre d’admirables résultats que l’on comprend que le sacrifice de nos soldats et de ceux de l’Otan n’est pas vain. La pomme afghane, c’est tout un symbole, un peu comme celle du président Chirac pour sa campagne de 1995. Bon, les esprits chagrins rappelleront que l’Afghanistan est essentiellement contrôlé par les talibans qui sont en position de quasi-monopole pour l’exportation du pavot avec 8000 tonnes annuelles. Mais ne boudons pas notre plaisir : à nous les bonnes tartes tatin de Kandahar et le cidre de Kaboul ! Et le premier qui osera dire, comme Francis Blanche, dans la célèbre scène des Tontons Flingueurs, « T’auras beau dire, y a pas que de la pomme ! », celui-là sera privé de défonce… Euh, de dessert.

Marre du Prolétairement correct

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Karl Marx

Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit : si ma mémoire est bonne, c’est à peu près en ces termes que Smerdiakov, dans Les Frères Karamazov,  répond à Ivan, juste avant d’accomplir une sale, sale besogne : tuer cet affreux père Karamazov, dont l’assassin semble être aussi un fils, illégitime. Il y a avantage à causer avec un  homme d’esprit : Dostoïevski, le Grand subtil, ne dit jamais, notez-le, que Smerdiakov est le criminel d’un père dont tous les enfants pourraient souhaiter la mort. Il le suggère, par cette petite phrase. C’est Ivan qui, à demi-mots, commandite le crime et Smerdiakov qui se charge de l’exécuter, fasciné qu’il est par un frère affichant l’aura de l’Idée.

Ce que Dostoïevski veut, entre autre, nous signifier, c’est que les passions les plus fortes sont celles de l’intellect, de l’Idée fixe. Ivan s’est engouffré  dans sa théorie pré-révolutionnaire, il a quitté le terrain du réel et annonce à qui veut l’entendre que désormais, si on le veut bien, tout est permis. Près d’un demi-siècle plus tard, Georg Orwell reprendra à son compte le message dostoïevskien et soutiendra également que les régimes totalitaires sont les conséquences de psychoses intellectuelles et les dictateurs, des théoriciens.

Je vois d’ici la tête du lecteur : ai-je bien lu le titre ou le sous-titre de cet article ? Suis-je bien en train de lire une réponse, amicale, à un précédent article de Jérôme Leroy, consacré à une banale affaire de « trafic de toponymie », dans la bonne ville de Montreuil sous bois ? C’est sûr, Causeur a dû se tromper : confusion, aléa du copier-coller, enfin, je ne sais quoi… 

Lecteur, rassure-toi, mon propos, j’y viens, j’y viens. « Dieu écrit droit par des lignes courbes », tu sais bien, toi qui comme Badiou a lu Claudel et l’épigraphe choisie par le poète pour habiller son Soulier de satin.

 Il y a avantage à causer avec un homme d’esprit, donc. Dans cette histoire de Montreuil, il n’y a pas mort d’homme – à part le pauvre Frachon, ma foi : il y a peut-être simplement, tout d’abord, que notre ami Jérôme Leroy, s’est glissé, – qu’il me pardonne, – dans la peau d’un Smerdiakov, écoutant le commanditaire d’une fausse information dont par la plume il s’est fait l’exécuteur. Quel homme d’esprit – quel communiste, de Montreuil ou d’ailleurs ? – a-t-il écouté, qui lui a glissé à l’oreille, sournoisement, qu’il pouvait y aller ?  Va, cours, vole, à la défense de la mémoire prolétaire, bafouée à Montreuil ! Mais parfois, on le sait aussi, l’homme d’esprit on se le façonne, pour soi seul.

 Le premier hic, donc, c’est que le plaisant commanditaire, s’il existe et si j’ose ainsi parler, a pris un malin plaisir à ce que Leroy soit la main littéraire d’une rumeur, infondée : non, non, il n’est pas vrai, camarade Jérôme, que le Maire de Montreuil, Dominique Voynet, ait pris la décision de rayer de la liste des noms de rues et places, le nom de Benoît Frachon.  La place en question, cela fait des années qu’elle n’existe plus, enterrée, par les pelleteuses de l’ancien maire, dans un trou béant, qu’on peut venir voir.

Non, et non, il n’est pas vrai non plus que le supposé perfide maire montreuillois ait décidé d’ « amputer la mémoire ouvrière à coups de hachoir » : non seulement il y aura quoi qu’il arrive, une place Frachon à Montreuil, mais, comble de bonne volonté, l’équipe municipale est en voie de transformer l’actuel musée d’Histoire vivante de cette bonne ville en une « Cité nationale du mouvement ouvrier ». Avouer que comme amputation, on a fait mieux, – ou pire, c’est à voir !

 Mais je me rends compte, soudain, que beaucoup de nos lecteurs ne sont sans doute pas montreuillois, contrairement à moi, qui fréquente ses sous-bois depuis une quinzaine d’années. À défaut d’un dessin, je m’en vais donc leur faire une petite visite touristique des lieux du trafic patronymique supposé, du carnage local, avec pour objectif d’expliquer à nos causeurs comment on en est arrivé à cette rumeur d’une profanation fâcheuse. Suivez le guide.

L’actuelle place Frachon, celle donc qui – ô horreur – va être rebaptisée, le nom de Frachon s’en trouvant alors fâcheusement déplacé,  je vous demande de l’imaginer, voyageurs de la Toile, fait partie d’une vaste esplanade, située face à la mairie des lieux. Vaste esplanade disais-je, divisée en trois places édifiantes. De l’une d’elles, ceux qui ont suivi connaissent déjà le nom ; quant aux deux autres places, elles ont pour noms jolis et bien réglementaires Jaurès et Guernica.

Mais, – Lénine m’empale ! – pourquoi diable ce projet soudain de débaptiser à tour de bras ? Il n’est pas bien, Frachon, à sa place ? Ce qu’il me faut ajouter, pour compléter le tableau, c’est que ce vaste ensemble municipal est au cœur d’un projet de rénovation urbaine, entamé, pour ceux qui s’en souviennent, par l’ancien édile des lieux, Jean-Pierre Brard. Le nom de ce projet, du temps de notre communiste élu, qui n’était pas gris, je le concède, qui arborait même souvent des costumes jaunes, un peu ridicules ? Cœur de ville, justement. Cœur de ville, c’est joli, n’est-ce pas ?  Autant dire que les élus communistes n’ont pas attendu Voynet pour faire dans la Novlangue consensuelle, le moderne lissage. Cœur de ville, répétez après moi, la bouche en cul de poule, mais fleurie. Au lieu de cela, Dominique Voynet et son équipe, préfèrent revenir en arrière et parler, pour nommer cette place rouge centrale, ce trou encore béant, de …centre-ville. C’est d’un banal…

Je résume, pour ceux qui n’écoutent pas. Loin de « se faire l’allié objectif de la droite libérale », l’équipe Voynet, si je compte bien : 1. conservera, pour une de ses places, le nom de Frachon ; 2. transformera un vieillot musée à l’agonie en « Cité nationale du mouvement ouvrier » ; 3. conservera encore, pour deux des places situées en « cœur de ville »  des patronymes fleurant bon le communisme conforme. Quant à la troisième place, il n’est pas certain du tout, contrairement à ce que prétend le camarade Leroy, qu’elle soit rebaptisée place Aimé Césaire. Dans l’entourage du maire, on me souffle que le nom du poète martiniquais circule, parmi d’autres, et de ce remue-méninges, rien encore n’est encore définitivement sorti.

A ce propos, si je voulais faire le malin – ce dont Staline ou ses suppôts me gardent – et puisque rien n’est définitif, chère Dominique, je te soufflerais volontiers quelques noms, pour renommer l’actuel trou à pelleteuse qui portait jadis le nom de  Benoît Frachon. Et ils ne seraient pas consensuels, ceux-là, crois-moi. Tiens, tu pourrais par exemple,  ce fichu terre-plein central, le nommer… Mais mon épouse me chatouille et me supplie déjà, s’il te pôlait, dit-elle, en imitant la mère Deume, arrête, arrête, mon chéri, tu te fais du mal, et tu vas encore passer  pour un vieux réac !

Je passe donc, par amour pour ma moitié. Mais je n’en pense pas moins. Et qu’on se le dise, s’il ne tenait qu’à moi, on sabrerait dans l’annuaire municipal ; pire, on nettoierait ce prolétairement correct, obligatoire, dans toutes les villes de la petite couronne parisienne : prolétairement correct qui fait que, si de ces villes on consulte simplement la liste des rues, on éprouve la sensation inquiétante de lire  dix fois le même annuaire municipal, résultat de la folie mégalomane d’un totalitaire magna : Jaurès, Gambetta, Frachon, j’en passe : qu’on soit à Pantin, Saint-Denis, Montreuil, toujours les mêmes rues, les mêmes places ! Et pour les noms cités, encore ça va ; mais nos causeurs savent bien que, dans chacune des villes nommées, on trouve par exemple une avenue,  que sais-je, un boulevard Lénine. Tiens, tout près de chez moi, Vladimir Ilitch a droit à un square. Si encore, il s’agissait d’une impasse… Passons.

Je sais bien, je m’égare, comme vous vous égarâtes, camarade Jérôme, et fûtes mal inspiré, dans votre article récent, en laissant entendre, encore, que Dominique Voynet choisit Montreuil par stratégie politique. Apprenez qu’elle s’est installée dans notre bonne ville il y a de cela quelques années déjà, quatre ou cinq ans au moins, avant de présenter sa candidature. Or, vous laissez entendre qu’elle fut comme parachutée, selon l’expression consacrée. Autre chose encore : j’en ai un peu ras la casquette, et j’en perds alors ma langue, je dois dire, qu’on moque les bobos, à Montreuil ou ailleurs.  De ces bobos, je ne crois pas faire partie ; mais si par bobos, au sens large, on désigne tous ces couples, toutes ces familles qui, bien qu’ayant les moyens de s’installer ailleurs, ont néanmoins choisi de vivre à Montreuil, pour vivre dans une ville où règne un minimum de mixité sociale, – c’est comme ça qu’on dit ? -, alors, je veux bien passer pour un bobo. Car, que voudrait-on, enfin, que Montreuil, et toutes les cités modestes de la petite couronne ne soient habitées que par des familles à faible revenu social ? Voudrait-on qu’elles soient réservées à des Français pour qui le vote communiste serait obligatoire ?  Ce qu’on voudrait donc, et pour aller vite, c’est que les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches, avec les riches ? Dois-je déménager, cher Jérôme, à Vincennes, la voisine, la mignonne ? Par pitié, que ceux qui vivent bien à l’abri dans une résidence cossue, située dans leur ville jolie, ne viennent pas, en plus, nous faire la leçon, à nous qui avons choisi de vivre – ô disgrâce ! –  et qui nous en portons bien, ma foi, dans des communes modestes, à côté des chômeurs, des pauvres, – pardon, des personnes à revenus réduits, doux euphémisme, lissage joli -, des étrangers, que sais-je, des…communistes !

Et puis, je termine : n’y a-t-il pas quelque chose de cocasse, cher Jérôme, à venir reprocher à des élus verts de débaptiser des noms de places, quand on sait que cette auguste tradition, nous la devons principalement à des communistes, justement ? Falsifier le passé, ils s’y connaissent, non ? Et si on les laissait faire, ils continueraient, eux, bien moins timides que nos élus verts, à débaptiser et rebaptiser à tour de bras, toutes les rues, les places, les villes même, qui évoquent par exemple, le nom de saints ?

Mais, camarade Jérôme, que dites-vous encore ? Que « les Verts qui se veulent la gauche ouverte et moderne de demain ont décidé d’en finir avec un mauvais rêve qui est celui de l’hypothèse communiste et de sa mémoire. Ils mettront, à les détruire, autant d’acharnement que la droite la plus libérale. » Rassurez-vous, l’hypothèse communiste, la grande Histoire s’est chargée elle-même de lui faire un sort ; et pour ce qui est de se détruire, les communistes s’en chargent bien tout seuls, comme des grands : c’est pas joli joli, d’accuser les Verts, ma foi. Voyez-vous, camarade, moi je crois plutôt, comme Gatignon, le maire communiste de Sevran, que « depuis trente ans, la direction du PCF a mis tous ses dissidents dans un ghetto intellectuel et l’extrême gauche s’est enfermée dans la pureté révolutionnaire ». Et d’ajouter : « Nous n’avons jamais travaillé sur ce qu’a représenté pour nous l’écroulement du monde soviétique »[1. « Le maire communiste de Sevran sous la bannière d’Europe Ecologie », Le Monde, 09/11/2009]. Voilà, pas besoin de verts boucs émissaires, c’est par là qu’il faut chercher des raisons à la déroute électorale. Du côté de la psychose intellectuelle, dirait Orwell.

Mais je vous vois sourire, cher Jérôme, avouez-le. Preuve que j’ai vu un peu juste. Preuve, s’il en fallait une, qu’il y a plaisir à causer avec un homme d’esprit, va.

Encore une minute, monsieur le bourreau

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John Allen Muhamad, ancien soldat de l’armée américaine et tireur d’élite, a été exécuté hier à 2h11 GMT par injection mortelle dans le pénitencier de Greenville, en Virginie (USA). Il avait participé à la guerre du Golfe en 1991, le premier conflit post-guerre froide et la première ratonnade pétrolière assistée par ordinateur. En 2002, John Allen Muhamad, avait tué une dizaine de personnes au hasard en une semaine, terrorisant la capitale fédérale et gagnant le surnom de « sniper de Washington ». Il promettait d’arrêter le massacre par lettres anonymes en échange d’une rançon de plusieurs millions de dollars. On félicitera la rigueur des autorités de Virginie qui, pour mettre à mort ce tireur fou, ont attendu que celui-ci puisse assister aux fêtes célébrant la chute du Mur de Berlin et se rendre compte ainsi quel monde de paix et d’harmonie, il allait laisser derrière lui. Le bourreau assure, contrairement à ce que laisseraient entendre de mauvaises langues, que le dernier soupir de John Allen Muhamad n’était pas un soupir de soulagement.

Polanski, Finkielkraut et l’internet

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Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle, vers 1495.
Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle, vers 1495.
Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle, vers 1495.

Depuis que le « scandale » Polanski a été détrôné par d’autres scandales, il est désolant de constater que l’affaire, momentanément enterrée, a fini par graver dans le marbre des informations fallacieuses qui s’amplifient sur le net, et obligent à rappeler quelques vérités de base. 

Oui, tolérer le viol d’une jeune fille sous prétexte qu’elle fait des photos déshabillée est bien sûr inadmissible. Et excuser le viol d’une jeune fille sous prétexte que le violeur serait un grand cinéaste est plus inique encore. La plupart des Français ont (ré-)entendu parler de l’affaire Polanski après de son arrestation en Suisse comme l’histoire d’un homme qui a fui la justice après avoir commis un viol sur une jeune fille de 13 ans. Face à ces accusations inexactes, les Français ont trouvé bien faibles les arguments de la défense, évoquant un droit de prescription (qui n’existe pas aux Etats Unis) et la partialité du juge de Californie (qui a renié sa parole, faute pour laquelle l’affaire lui a été retirée). Et cette défense est passée comme une argutie juridique masquant la terrible réalité.

Le tollé est devenu si considérable que la seule interrogation des faits passe aujourd’hui pour une justification du viol et de la pédophilie. Or, si ce sont les faits qui comptent, rappelons que la Cour de Californie a jugé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre Roman Polanski pour viol, mais pour unlawful sexual intercourse (relation sexuelle illicite). Donc, les faits sont les faits et les mots ont un sens: le détournement de mineur n’est pas un viol. On peut bien sûr estimer que le consentement d’une jeune fille n’a aucune valeur dès lors qu’elle n’a pas atteint sa majorité sexuelle (décrétée aujourd’hui à 15 ans, hier à 18 ans, avant-hier à 21 ans). On peut aussi penser que Polanski a néanmoins commis une faute morale et que, sans employer la force, il a abusé de sa notoriété et son aura. Mais il est en revanche scandaleux que dans cette affaire de « détournement de mineur » ou « d’abus de pouvoir », l’accusé continue d’être présenté comme coupable de « viol », comme l’a affirmé Daniel Cohn-Bendit, et comme ne cesse de le répéter la foule des internautes — scandalisés qu’on puisse laisser ce « viol de pédophile » impuni.

Ajoutons que l’affaire Polanski n’a rien à voir avec la pédophilie, puisque celle-ci, tous les juristes le savent, ne concerne que les enfants, c’est-à-dire les mineurs pré-pubères. Mais son sens est suffisamment flou (puisqu’il est passé de « avoir du désir pour les enfants » à « avoir des relations sexuelles avec eux ») et les crimes si odieux (depuis l’affaire Dutroux) que la Calomnie en fait aisément son miel. Ne s’intéressant pas aux faits, elle préfère ourdir des procès d’intention sur des citations fallacieuses, dont Alain Finkielkraut a été récemment l’étonnante victime. Répondant à l’accusation de pédophilie contre Polanski, il a précisé au micro de France Inter que la plaignante « n’était pas une enfant au moment des faits. C’était une adolescente qui posait dénudée pour Vogue Hommes qui n’est pas un journal pédophile.» Répondant à l’accusation de viol, il a rappelé que «Polanski a toujours nié le viol, ne nous exemptons pas de notre devoir de réserve». Voilà qui suffisait pour que, dans son éditorial du journal Elle[1. Hector Obalk collabore régulièrement à Elle.] du 23 octobre 2009, intitulé « déni de viol », Marie-Françoise Colombani réécrive le texte ainsi: «Pas question de parler de viol pour Monsieur Finkielkraut puisque « la jeune fille avait déjà eu des relations sexuelles » (sic) et qu’elle « posait dénudée dans les journaux » (re-sic) » — les « sic » indignés et grotesques sont de l’éditorialiste. Voilà comment avec deux citations exactes et un « puisque », on fait passer n’importe qui pour un défenseur du viol… Afin que nul n’en doute, dois-je préciser : je m’appelle Hector Obalk et je suis contre le viol, que rien ne saurait justifier. Sic. 

Droit dans le Mur

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Après les mille conjectures, témoignages, invectives, photomontages et autres figures obligées ayant souillé la commémoration de la fin inopinée de la frontière minérale de Berlin, quelques mises au point s’imposent. Premièrement la plupart des éléments du Facebook présidentiel sont aisément vérifiables. Par exemple, il est indubitable qu’il était bien maire de Neuilly et responsable du RPR lors de la chute du Mur. Voilà qui devrait mettre fin à une polémique indigne, d’autant plus qu’il n’est pas exclu qu’Angela Merkel, dont nul n’osera nier la présence à Berlin en ce jour fondateur, rédige, à l’issue des cérémonies parisiennes du 11 novembre, une attestation écrite comme quoi elle a bien vu notre futur président manier le marteau-piqueur à Check Point Charlie le neuf novembre 1989. Rideau ! (de fer, faut-il le dire ?)