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SMS – SS !

Près d’une semaine qu’on ne parle que de ça. Le prétendu texto présidentiel. Il faut dire que le SMS, comme moyen de communication, ça va comme un gant à Nicolas Sarkozy qui trouve bien naturel de pianoter sur son portable en public, serait-il au Vatican. Enfin, ce n’est pas le sujet. Voilà une semaine, donc, que le supposé message publié sur le site du Nouvel Observateur alimente les conversations de bureau et répand la zizanie dans les rédactions. Est-ce un ragot, est-ce une info ? Sarko est-il fou ? Jaloux ? Peut-il déclencher la frappe nucléaire en tapotant sur son Nokia ? Cécilia ? Carla ?

Revanche de la démocratie, chacun, puissant ou misérable, anonyme ou célèbre, a pu y aller de ses certitudes de comptoir et de sa psychanalyse de bazar sur la supposée résilience dont aurait été frappé Nicolas Sarkozy avec la réconfortante conviction de s’intéresser à l’avenir du pays. Au passage, même en supposant que le texto maudit soit authentique, peut-être 60 millions de psychologues ont-ils commis un contresens majeur. Peut-être ont-ils entendu une supplique là où il fallait lire une menace : « Si tu reviens m‘enquiquiner, j’annule tous nos accords. » Ou alors, il s’agissait d’un tout bête arrangement de week-end ou de vacances comme en ont tous les parents divorcés : « Si tu reviens maintenant, j’annule la deuxième semaine de location à Palavas les Flots. » Va savoir.

Peu importe. Au bout de quelques jours, nous avions épuisé les charmes du SMS. Ces quelques mots avaient livré tous leurs secrets et permis à chacun de se forger une opinion parfaitement fondée sur la relation entre le chef de l’Etat et son ex-épouse. Le vrai débat pouvait avoir lieu. Fallait-il publier ? Oublier ? Les journalistes sont-ils des salauds ? Des héros ? Sommes-nous allés trop loin ? Avons-nous perdu notre âme ? On a bien cru, l’espace d’un instant, que la corporation allait se livrer, pour de bon, à un vaste examen de conscience. Qu’on se rassure. Comme disait l’autre, je suis dans le ruisseau, c’est la faute à Sarko. D’abord, c’est lui qui nous a refilé la came. Oui, celle que nous vous revendions à bon prix, chers lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Ce glamour à deux balles que nous méprisons tous et qui, mystérieusement, fait de bonnes ventes, cette exhibition bling-bling si peu conforme au bon goût dont nous nous targuons tous, c’est le président qui nous y a rendus accros. Oui, c’est lui qui a commencé. Nous pas responsables. Bon, d’accord, nous avons été faibles, un peu minables. Mais nous avons des circonstances atténuantes. Tout est de sa faute. Le dealer, c’est lui.

Il faut dire qu’il a aggravé son cas, le président. Perte de sang-froid caractérisée. Nous, on le comprend, même si, comme l’a finement remarqué Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo (dont il faut saluer l’excellente « une ») il aurait peut-être été plus adapté de mettre son poing dans la figure du journaliste concerné, genre ni vu-ni connu, une explication « entre hommes ». Mais attaquer un journaliste au pénal, vous n’y songez pas. On sent le parfum de la dictature. De quoi donner une attaque à Robert Ménard, le patron de Reporters Sans Frontières. Certes, nul ne pense que le journaliste du Nouvel Observateur va croupir en prison. Le plus probable est que cette procédure bancale n’ira pas à son terme. Mais, puisque, sur le papier, la possibilité d’une peine d’emprisonnement existe, profitons-en. Octroyons-nous, une fois encore, le grand frisson de la Résistance. No pasaran. Halte à la poutinisation ! (Il est clair que, dans la conjoncture politique actuelle, la mise au pas des médias est à l’ordre du jour).

Dans ces conditions, Carla Bruni a des excuses. D’abord, l’entretien qu’elle a accordé à L’Express est de bonne tenue, avec des mots grecs, de la hauteur de vue et de la modestie ainsi qu’il sied à une « première dame » – appliquée à la nouvelle élue (du cœur du président, pas des Français), cette expression désuète est un brin cocasse, non ? Passons. Venons-en à la gaffe, cette comparaison absurde, cette reductio ad hitlerum aurait pu dire notre belle helléniste. (Oui, oui, on sait, c’est du latin, mais agape, c’est du grec… et belle latiniste aurait été moins amusant). « A travers son site Internet, déclare Mme Nicolas Sarkozy, Le Nouvel Observateur a fait son entrée dans la presse people. Si ce genre de sites avait existé pendant la guerre, qu’en aurait-il été des dénonciations de juifs ? » La gaffe. Un peu plus et elle manifestait en scandant : SMS-SS ! En plus, balancer ça dans les dents du Nouvel Obs, fallait oser. Et pourtant, répétons-le, elle a des excuses. Après tout, il y a à peine trois mois, mademoiselle Bruni était au Zénith avec toute l’intelligentsia « antifasciste » pour protester contre l’amendement scélérat. Et on l’imagine volontiers défilant, non seulement pour Armani ou Prada, mais aussi contre les expulsions de sans-papiers que nombre de ses copains qualifient subtilement de déportations. Bref, elle s’est contentée de servir aux journalistes la référence qu’ils balancent régulièrement dans les gencives de ceux qui leur déplaisent, le genre « ça nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire ». Normal : culturellement, elle vient de leur monde. Elle fréquente peut-être la droite bling-bling, elle n’en est pas moins une enfant chérie de la gauche bobo.

Surtout, elle a présenté ses excuses. Futée, la première dame : au lieu de s’entêter, d’expliquer qu’elle a eu raison d’avoir tort, que c’est le Nouvel Obs qui a commencé, elle comprend qu’elle a dit une ânerie. Et hop, ni une, ni deux, elle demande pardon. L’incident est clos. Chapeau bas. Présenter ses excuses quand on a fait ou dit une connerie, fallait y penser. Certains journalistes feraient peut-être mieux d’en faire autant.

De la vertu aux temps de la cupidité

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Si on en croit Montesquieu, la démocratie est un système harmonieux qui ne peut que fonctionner. Son seul défaut est de supposer des dirigeants vertueux. Le capitalisme actuel souffre du même handicap : avec des acteurs vertueux, on peut tout imaginer, même que la main invisible soit l’instrument de l’intérêt général. Mais le désintéressement est déjà un exploit pour un élu. Dans la vie économique, il relève de la sainteté. Comme l’a observé Jean-Claude Michéa (L’Empire du moindre mal, Flammarion), Adam Smith serait horrifié à la vue de ceux qui se prétendent ses disciples.

L’affaire du « trader fou » montre qu’on est loin du compte. Ce qui est en cause, ce ne sont pas seulement un employé déchaîné et un mécanisme de contrôle défaillant, mais un système qui s’est éloigné de ses missions initiales. Les marchés financiers ont vocation à permettre l’allocation la plus efficace de ressources et le financement des entreprises. Aujourd’hui, ils s’autonomisent pour poursuivre un objectif qui leur est propre. C’est la queue qui agite le chien.

A l’aune de tels enjeux, le débat sur le scandale de la Société Générale est singulièrement réducteur. Le rapport de Bercy s’est prudemment concentré sur les aspects techniques de l’affaire – sous-encadrement des traders, suivi insuffisant de leurs activités et gestion de la crise par la direction de la Socgén. Autant de défaillances des procédures et du management qui, certes, ont leur importance, mais permettent d’éviter la question fondamentale : comment éviter la dérive des marchés financiers ? Autrement dit, comment faire en sorte que le chien soit maître de sa queue ?

L’économie mondiale peut être comparée à un réseau routier qui doit, en une décennie, accueillir de plus en plus de véhicules de plus en plus rapides et puissants. Du coup, toute perturbation devient un embouteillage monstre et l’accident le plus anodin cause des dégâts considérables. La propagation de la crise du crédit immobilier aux Etats-Unis illustre bien ce phénomène.

Il est donc légitime que les pertes essuyées par la Générale suscitent des interrogations sur l’état des autoroutes de la finance mondialisée.

Il ne s’agit pourtant pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, aussi trouble soit-elle aujourd’hui. Ni l’opacité croissante des opérations et produits financiers, ni le ressentiment toujours plus virulent à l’égard de « la banque » et des « marchés financiers » ne justifient un procès à charge. En économie comme en politique, le rejet des médiations est une illusion. Nous avons besoin des élus pour exercer le pouvoir en notre nom, tout comme nous avons besoin des banques, des marchés financiers et des professionnels qui y officient, pour gérer nos capitaux et nos risques.

Il faut aussi rappeler que beaucoup de ces « produits dérivés » constituent d’abord et surtout une police d’assurance permettant aux acteurs économiques d’atténuer les effets néfastes des fluctuations du prix des matières premières, des taux de change et des taux d’intérêt. Le fabricant qui achète ses matières premières en dollars, vend ses produits en euros et finance sa trésorerie avec un crédit bancaire, ne tiendrait pas longtemps sans y avoir recours. Seulement, contrairement à leur vocation initiale, ces instruments financiers sont devenus à leur tour des actifs financiers qui suscitent la convoitise des spéculateurs. Le bouclier est devenu une épée.

Dans ces conditions, l’heure n’est pas à la croisade idéologique. Or, pour certains, la loi du marché revêt un caractère sacré, comme s’il s’agissait d’une loi de la nature ou de l’aboutissement inéluctable de l’histoire humaine. « Tout le problème, pour le pouvoir, est de ne pas glisser de l’autorégulation du système par ses acteurs, les mieux à même de le réparer, à sa régulation par en haut, au risque d’en casser les ressorts », écrit Alain-Gérard Slama (Le Figaro, 1er février). En clair, tout acteur est légitime à intervenir, à l’exception des détenteurs de la puissance publique. Sauf que le libéralisme, dans sa forme actuelle comme dans celles qui l’ont précédées, est un phénomène historique, une option parmi d’autres. Le fait qu’on n’ait pas trouvé mieux ne prouve en rien qu’on ne trouvera jamais mieux.

L’économie, comme la politique, est une affaire d’hommes [1. Que les féministes ne m’arrachent pas les yeux, je veux évidemment parler d’êtres humains en général.]. Aucun système économique, aussi sophistiqué ou intelligent soit-il, ne sera jamais meilleur que ceux qui le font fonctionner. Il est inquiétant que « l’éthique du capitalisme » ait cédé la place à des comportements indélicats quand ils ne sont pas carrément mafieux. Et, plus inquiétant encore que certains délinquants (à la différence des patrons-voyous) soient considérés comme des héros. Nick Leeson, le trader responsable de la faillite de la Barings en 1995, est un conférencier très demandé. Sans vertu, même le meilleur des mondes s’écroulera. Cela n’incite guère à l’optimisme.

S’ennuyer à la folie

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Imaginez l’une de ces situations dont la vie sociale est malheureusement prodigue – vous essayez de lire un livre que toute la critique a salué comme un chef d’œuvre. Vous auriez plutôt envie de vous joindre au concert de louanges, si seulement vous n’étiez pas aussi horriblement frappé par l’ennui. Votre esprit commence à douter, votre vue se trouble ; soudain, vous vous sentez terriblement fatigué. Vous vous ennuyez grave.

Maintenant, réfléchissez. Peut-être que l’ennui n’est pas aussi nocif qu’il le paraît à première vue. Certes, il ne constitue pas une critique consciente, mais ses effets peuvent être aussi dévastateurs que ceux d’une rébellion frontale. Parents, professeurs, prédicateurs, personnalités officielles et apparatchiks du Parti peuvent faire de nous un public captif. Ils nous ordonnent de rester assis et de bien nous tenir. Nous y voilà. Nous écoutons. La Bible ? Ennuyeuse. Le Talmud ? Ennuyeux. Ennuyeux, le saint Coran ? Ennuyeux. Le Capital ? Ennuyeuuux. Inutile de nous sanctionner. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous ennuyer.

Peut-être. Mais peut-être la décevante innocuité de l’ennui est-elle sa plus grande force. L’ennui est une arme de résistance culturelle particulièrement efficace. C’est l’une des rares qui ne conduise pas à l’écrasement des faibles mais pousse les forts à changer leur comportement. Tout plutôt que des baillements et des yeux hagards. Ainsi l’Eglise médiévale autorisait-elle ses prédicateurs à pimenter leurs édifiants (mais hélas ennuyeux) messages par d’amusantes anecdotes, pleines d’horreur et de gore. Ils adoucissaient l’amertume du dogme par le sucre de la romance et du mélodrame. Ils offraient à leurs ouailles terrassées par l’ennui des contes fort divertissants sur la vie aventureuse des saints – souvent des personnages du folklore vaguement christianisés – et autres pêcheurs repentis. Et ça marchait. Les histoires de saints étaient immensément populaires. Mais comme je l’ai montré dans Histoires de Saints (Gallimard), il y avait un prix à payer. Ces histoires délivraient des messages brouillés. En fait, elles ont été la base d’une théologie alternative, souvent en bisbille avec la religion officielle. L’intérêt des consommateurs avait bien été éveillé mais pas forcément dans le sens voulu. Le remède est parfois pire que la maladie.

L’ennui peut être une force de subversion mais aussi l’essence même du conformisme. Il est tout autant le petit iconoclaste qui se cache en nous que l’agent des puissances dominantes qui s’y cache pareillement. Aussi, contrairement à ce que nous croyons spontanément, l’ennui peut-il être artificiellement provoqué. On peut apprendre à s’ennuyer – ennui des vieux habits, des vieilles choses ou des idées dangereuses. Le citoyen de la galaxie post-Gutenberg apprend à s’ennuyer. Soigneusement formaté pour que sa capacité d’attention soit à durée limitée, il en a vite assez.

Si vous avez grandi avec la télévision commerciale – l’agent de conditionnement le plus important dans le monde post-Gutenberg –, vous êtes habitué aux gratifications immédiates, le plus souvent émotionnelles. Vous avez besoin de divertissement permanent. Vous êtes un consommateur.

Cela ne signifie nullement que, par le passé, l’idée que la plupart des gens se faisaient de l’amusement était la lecture de La recherche du temps perdu, ni que, de nos jours, plus personne ne lit d’austères travaux universitaires peu susceptibles de déclencher des fous rires. Il y a toujours eu des individus patients et d’autres impatients, des amoureux des nouvelles et des inconditionnels des grandes sagas épiques. Mais notre culture est de plus en plus celle de l’impatience. Accros au divertissement, nous avons besoin de doses fréquentes pour rester « high ». Nous nous ennuyons plus vite.

L’ennui n’affecte pas seulement la façon dont nous consommons le divertissement. IL affecte notre façon de consommer tout et n’importe quoi. Plus significativement encore, peut-être, il affecte le mécanisme qui pourrait changer les choses – la politique. Dès lors qu’elle a quelque chose à voir avec la rationalité des décisions, la démocratie suppose la connaissance. Or, notre culture du zapping tient pour ennuyeuse les connaissances politiquement significatives. Pour prendre des décisions politiques rationnelles, il faut connaître des choses qui ne sont ni amusantes ni émouvantes. Il faut écouter de longs exposés théoriques et pratiques et en tirer des conclusions. Dans le passé, des assemblées populaires pouvaient écouter et discuter de très longs débats. Les gens « simples » lisaient souvent les pamphlets politiques assez compliqués. Ce n’est plus le cas. C’est trop ennuyeux.

Les nouveaux politiciens sont bien conscients de ces phénomènes. L’ennui est bon pour la mauvaise politique. Le public veut du nouveau toutes les 5 à 6 minutes. En coulisses, les choses sérieuses continuent. La poignée de gens qui contrôlent le marché, soupèsent, évaluent, débattent et décident. Devant les caméras, les politiciens font le show. Cette schizophrénie politique peut sembler très pratique, dès lors qu’elle dégage les décideurs de toute responsabilité. Tout ce dont ils ont besoin, c’est une batterie de slogans et un répertoire d’émouvantes anecdotes personnelles. Si, par-dessus le marché, ils portent beau (et de nos jours, c’est souvent le cas), tout va bien. Le spectacle doit continuer. Et le spectacle continue.

Un bon spectacle fait rarement une bonne politique. Le média n’est plus le tambour de ville ; il éduque, conditionne, façonne notre monde mental et répond aux attentes qu’il a lui-même créées. Or, tout en participant activement au jeu, il prétend obstinément être un simple observateur. Il récuse toute tentative pour le réguler comme une menace contre la liberté d’expression. Seulement, une société dans laquelle les discours sont creux et les citoyens ignorants n’est pas vraiment démocratique. La démocratie exige un certain respect pour les choses « ennuyeuses » – il faut s’intéresser aux processus et accepter de ne pas se ruer trop vite sur le mot de la fin. Elle demande que l’on repense sérieusement les conséquences du commerce du temps de cerveau disponible. Méfiez-vous de l’ennui. Il peut vous rendre fou.

Péchés capitaux

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Take a walk on the Wilde side !

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Cher (e)s ami(e)s, sauf votre respect, m’est avis que vous êtes, depuis quelques années, sur une mauvaise pente : celle de l’institutionnalisation bourgeoise. Après avoir acquis de haute lutte le droit à la différence, vous exigez désormais le droit à la ressemblance… Et ressemblance à quoi, je vous le donne en mille ? Au couple hétéro dans ce qu’il a de moins fantaisiste, c’est-à-dire le moins gay qui soit : le conformisme bourgeois louis-philippard. Fabrice Emaër doit se retourner dans sa tombe – sans parler d’Oscar Wilde…

Le mariage – civil et religieux – connaît depuis vingt ans la crise que l’on sait. En région parisienne, un couple hétéro sur deux est appelé à divorcer dans les meilleurs délais (2-3 ans maxi). De Saint-Germain-des-Prés à la Bastille, la famille monoparentale, ou redécomposée, ringardise chaque jour un peu plus le vieux modèle du papa, de la maman et des nains-habillés-pareil.

Et c’est le moment que choisissent les associations LGBT pour revendiquer le droit au mariage de (grand) papa ! Pas question pour elles d’aménager le PACS dans ses modalités patrimoniales et successorales, comme le réclament les homomodérés (si je peux me permettre ce néologisme). Non, Monsieur LG et Madame BT veulent à toute force passer devant Monsieur ou Madame le Maire, se mettre la bague au doigt, s’embrasser sous les applaudissements émus et devant la caméra DVix embuée, prendre du riz plein la gueule, klaxonner dans des limousines à tulle blanc, signer un contrat de mariage, s’imposer des belles-mères et se jurer fidélité… On croit rêver !

Il y a là, risquons le mot, une inversion de la « gay attitude » apparue à Paris dans les années 70/80, toute de fun et de provocation ironiques face à la dictature de la normalité. En une vingtaine d’années d’années, cette contre-culture gay a essaimé dans toute la France, libérant enfin des centaines de milliers de « tarlouzes » de Lons-le-Saulnier, contraintes depuis des siècles au placard…

Dès lors les intellectuels organiques de la gayitude, privés de leur principale revendication, n’ont eu d’autre choix pour préserver leur magistère que d’exiger le contraire ! Fini l’hédonisme désinvolte et libertaire ; place à la revendication « mimétique » (encore René Girard !). A partir de dorénavant, qu’on se le dise, les homos veulent être des hétéros comme les autres ! Il est « décontrastant », comme disait Garcimore, de voir des gens aussi ontologiquement insoumis que les gays basculer soudain, sous prétexte de militantisme, dans une quête absurde et furieuse de « normalisation ».

On peut être « gay-friendly », ou gay tout court, sans tomber dans ce panneau géant : vouloir « se marier et avoir beaucoup d’enfants », rien que pour faire chier Christine Boutin ! De mon temps, ça s’appelait : vouloir à la fois le beurre, l’argent du beurre, les faveurs de la crémière et le sourire du crémier (ou le contraire).

Le PACS pour lequel ils se sont tant battus apparaît aujourd’hui aux fondamentalistes gays comme un vulgaire aspartame, comparé au sucre délicieux du mariage tradi. Cette soif de ressemblance me paraît infiniment étrange.

L’ »orientation sexuelle », comme on dit en p.c., ne se résume pas à la sélection de partenaires en fonction de leurs attributs physiques. L’homosexualité, pour prendre un exemple au hasard, est aussi une autre vision du monde et de soi-même : un point-de-vue, un belvédère ! Peut-on admirer simultanément la vallée des deux côtés de la montagne ?

L’aspiration à l’adoption d’enfants relève de la même revendication monthy-pythonesque d’hétérosexualisation de l’homosexualité. A t-on pris garde au fait que ce casting (2 papas, ou 2 mamans, ou 2 sans-opinion) met à mal non seulement le brushing de Boutin, mais le complexe d’Œdipe, fondement de l’analyse freudienne : quel père tuer, même symboliquement – et pour épouser quelle mère ?

Et puis il y a l’hypersexualité gay qui, sans me vanter, est attestée par toutes les statistiques (sortez les vôtres, bandes de glands !) Est-elle bien compatible avec la pa (ma) ternité ? Paul et Jean-Paul auront-ils encore le temps de courir les saunas et les backrooms quand il leur faudra langer, changer, faire manger puis éduquer leur bébé-éprouvette ou leur petit Viet’ ? Imagine-t-on Freddie Mercury en train de pouponner ?

Il n’est pas jusqu’à l’ordination sacerdotale qui ne soit aujourd’hui revendiquée comme un droit par les homosexuels – après les femmes et en attendant l’intergroupe. Voir le hourvari provoqué par Benoît XVI rappelant le refus permanent et universel de l’Eglise d’ordonner ès qualités des prêtres homosexuels. Mais qui est contraint d’être catholique ?

Eh bien quand le psy-catho Tony Anatrella, qui n’a pas un métier facile, explique ce refus, il invoque trois raisons dont on peut penser ce qu’on veut, sauf qu’elles sont purement sexuelles : « l’immaturité, le narcissisme, le refus de l’autorité ». Beaucoup d’hétéros pourraient se reconnaître dans ce portrait-robot ! Mais depuis quand, tabernacle, tout le monde aurait-il vocation au sacerdoce ?

Autre écueil sur lequel sont en train de se fracasser certains de nos zamiguets : l’esprit de sérieux – c’est-à-dire, pour faire court, le contraire du sérieux. Il est symbolisé par la syndicalisation de la communauté gay, avec son redoutable cortège de doléances et de lamentations tous azimuts.

D’une manière significative, l’ex-Gay Pride a été rebaptisée « Marche des Fiertés Lesbienne, Gay, Bi et Trans » (j’espère qu’ils n’ont oublié personne, cette fois !) Il s’agit désormais d’une sorte de défilé du 1er mai, avec son rituel de banderoles contestataires, de slogans virulents et même parfois d’outings sauvages qui ressemblent à des scalps.

Au moins les vrais défilés syndicaux sont-ils parfois égayés, si j’ose dire, par des incidents de fin de cortège et des charges de CRS… Rien de tel dans les manifs d’homos conscients-et-organisés. A croire qu’ils seraient négligés même par les « autonomes » et autres casseurs… N’est-ce pas à désespérer ?

Je me souviens des premières Gay Prides, au début des années 80. Il y avait dans ces « happenings » cent fois moins de monde, cent fois plus de droits à revendiquer et mille fois plus de gaieté ! On baignait dans une atmosphère ludique et spontanée qui, semble-t-il, a fini étouffée par la cégétisation des militants gays.

Pourquoi ne pas retrouver cet esprit-là, capable de séduire, au-delà des ghettos, tous ceux qui préfèrent l’école buissonnière aux cours magistraux ? A quand un programme commun des rebelles qui souhaitent le rester ? Là en tout cas, « j’en serais », comme on disait du temps de Fernandel.

P.S. : Merci à tous ceux qui ont lu mon papier sur René Girard et en ont profité pour s’empailler sur Causeur. Le niveau des échanges m’a paru agréablement élevé.
Mais on ne se refait pas : plutôt que de commenter vos commentaires, ça m’a encouragé à vous prendre par un autre bout… J’en attends au moins autant de cris, et de chuchotements.

Petite histoire de la censure ordinaire

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D’accord, ce n’est pas Voltaire qu’on assassine. Une émission sur « le président et les femmes » déprogrammée sur une chaîne appartenant à un ami du président : ainsi va la censure ordinaire dans notre paysage audiovisuel. Ou l’autocensure. Car s’il y a mainmise de Sarkozy sur les médias, c’est parce que les médias se mettent dans la main de Sarkozy. Supposons, hypothèse d’école que le chef de l’Etat réclame les têtes de journalistes indociles. Qu’arriverait-il à Vincent Bolloré, Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère si d’aventure, ils faisaient mine de ne pas comprendre ? Devraient-ils renoncer, qui à l’honneur de véhiculer le président pour ses villégiatures, qui à ses ambitions nucléaires ? C’est oublier, dira-t-on, le caractère sanguin de Nicolas Sarkozy, sa tendance à s’énerver contre ceux qui résistent à son « charme », son genre « qu’est-ce t’as toi, j’vais t’casser la gueule ». Les menaceurs sont rarement les plus dangereux.

La vérité est qu’il n’arrive rien à ceux qui ne font pas allégeance. Certes, ils ne font pas partie des « amis du pouvoir » (et pour certains, c’est bien le problème). Mais on n’a pas signalé de réouverture des mines de sel. Dans les médias, on n’observe pas plus de placardisations politiques, manœuvres de séduction et petits arrangements avec la morale que sous n’importe quel autre gouvernement (pas moins non plus). Ce n’est donc pas la peur qui conduit l’un à écarter un journaliste qui risque de déplaire ou l’autre à déprogrammer une émission qui promettait d’être bien innocente du reste. Ce n’est pas non plus l’amitié, ou alors, c’est une drôle de conception de l’amitié que celle qui consiste à céder à toutes les exigences de ses amis au lieu de les ramener au réel quand c’est nécessaire. Non, ce qui menace aujourd’hui les médias, c’est une idéologie pernicieuse dont le mot d’ordre est « pas de vagues » – « pas de couilles, pas d’embrouilles », pour reprendre la percutante formule par laquelle Christophe Hondelatte a un jour résumé l’état d’esprit des princes qui gouvernent la télévision publique. La déférence vis-à-vis des puissants (réels ou supposés) n’est ni l’apanage de la télévision ni celui du secteur public. Dans les « médias amis », elle vire aisément au principe de précaution, tout sujet jugé « touchy » (ce qui veut dire sensible mais en anglais, c’est plus glamour), susceptible de froisser l’âme sensible du président étant écarté par avance. Ce qui, heureusement, est tout de même plus facile à dire qu’à faire.

Venons-en à Direct 8, puisqu’il s’agit de cette honorable chaîne de télévision, dirigée par Yannick Bolloré, fils de son père, lui-même tour-opérateur du président. Vendredi dernier, « 88 minutes », émission de plateau de facture assez classique plutôt bien menée par Caroline Ithurbide et Boris Ehrgott, devait porter sur « Sarkozy et les femmes ». Sujet tellement sensible qu’il a été traité en long en large et en travers par l’ensemble des médias, y compris Direct 8. A part la répétition de choses entendues ailleurs, on ne voit pas bien quel danger présentait une telle émission (l’une des cinq ou six encore diffusées en direct, contrairement à ce que promettait le nom programmatique de la chaîne). Avec Séguéla en invité principal, on ne risquait guère le dérapage sarkophobe.

Or, quelques heures avant le tournage, les invités sont décommandés et l’émission annulée pour de mystérieuses raisons techniques. Boris Ehrgott, plutôt maussade, renvoie laconiquement vers sa direction. Directeur de l’antenne, Christian Studer, un Bolloré boy de longue date, parle immédiatement et avec une décontraction étudiée « d’un problème de mélangeur sur la Régie Prod »[1. Il se trouve que Boris Ehrgott m’avait proposé d’y participer, offre que j’avais déclinée.]. Très pro. Justement, un peu trop pro pour être honnête. On imagine aisément la réunion où s’est concoctée la version officielle, « qu’on servira aux journalistes si jamais ». « Croyez ce que vous voulez », lance Studer. Seulement, dans une chaîne de télévision, il y a des techniciens. Une panne qui aurait obligé à annuler 1 h 30 de direct n’a pu passer inaperçue. Plusieurs personnes contactées au sein de l’équipe technique se marrent quand on les interroge sur la panne. Ensuite, le directeur technique sera délégué pour parler aux journalistes. Alors, d’accord, on croira ce qu’on voudra.

Mauvais esprit, complotisme de bas étage ? Peut-être. Peut-être le « mélangeur » a-t-il vraiment cessé de remplir son office vendredi, privant les téléspectateurs d’un sulfureux débat sur Cécilia, Nicolas et Carla. Puisque la fiction vraie est à la mode, essayons d’imaginer comment les choses auraient pu se passer. Jacques Séguéla, l’inventeur de la « Force tranquille » dont le dernier titre de gloire est d’avoir assisté à la naissance de l’idylle présidentielle, et qui entretient, paraît-il, les meilleures relations avec Monsieur Bolloré, pensait sans doute servir son nouveau héros en faisant rêver la France. Nicolas et Carla-que-avec-elle-c’est-du-sérieux sont un rêve de publicitaire. Sauf que ces mauvais coucheurs de Français ont élu un président, pas un crooner. Il semble qu’ils en ont assez de la saga des « amants du Nil ». Poursuivons notre « romanquête » – pourquoi BHL aurait-il l’exclusivité de ce genre très pratique ? Vendredi après-midi, un hiérarque quelconque tombe sur le sommaire de l’émission. Il flaire vaguement les ennuis et peut-être plus encore la possibilité de faire valoir en haut lieu sa fidélité. Et puis, il ne voit pas en quoi annuler une émission pourrait faire problème. C’est une entreprise privée, pourquoi devrait-elle embarrasser ou pire agacer un ami du patron ? Il faut prévenir Yannick Bolloré de ce qui se trame, toute la famille sera reconnaissante envers cet employé-modèle. Alerté dans des termes énergiques, Yannick Bolloré en réfère à son employeur – et père. Le low cost du président a d’autres chats à fouetter, il en a marre qu’on l’interroge sur l’avion du président, les vacances du président. Marre de tout ça. On annule !

Répétons que tout cela n’est qu’invention. Mais, comme disait l’autre, ça aurait pu se passer comme ça. Chez Bolloré ou ailleurs. Parce que les patrons de médias ont tendance à penser qu’ils dirigent des entreprises comme les autres. Ils ont autant le droit de déprogrammer une émission qui leur déplaît que celui de ne pas vendre la production de leurs usines. L’idée que la marchandise qu’ils vendent justifie un traitement spécifique parce qu’elle participe à la formation (ou déformation) de l’esprit public et au fonctionnement (ou dysfonctionnement) de la démocratie ne paraît pas les effleurer. Charbonnier est maître chez soi, non ? On pourrait rappeler que les concessions sont allouées par l’Etat, moyennant le respect de certaines règles que le CSA a la charge de faire respecter. Ce serait mesquin.

Noces sarkoziennes

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Ecartons d’emblée l’idée qu’elle ait à voir avec les élaborations simplissimes du « complexologue » Edgar Morin qui, dans l’affaire, n’aura servi que d’habillage communicationnel. La politique de civilisation fut d’abord définie négativement par Henri Guaino en opposition à la politique de gestion. Politique dont la finalité consiste seulement à agir aux marges d’une situation qui, globalement, s’impose. Dans la Conception gestionnaire, la réalité est une donnée qui fait l’objet d’un traitement. C’est pourquoi la politique de gestion est un système où règne l’expertise. Promouvoir une politique de civilisation, c’est renverser la donne de sorte que la réalité redevienne le résultat de l’action politique et n’en soit plus le primat. En tant qu’il professe l’efficacité de l’action, le sarkozisme nous fait passer d’une logique d’adaptation à une logique de transformation. Bref, il redonne du sens au politique.

En effet, depuis une quarantaine d’année, l’idée que « gouverner, c’est gérer », s’est peu à peu imposée au fil des présidences… La même séquence, répétée après chaque élection, avait fini par briser le ressort démocratique : le second Premier ministre des présidents ramenait aux réalités et sonnait le glas des espoirs de transformation qui avaient pourtant permis l’élection. Ainsi, après mai 68 – la révolution qui accoucha de Couve de Murville – la « nouvelle société » de Chaban s’est achevée avec Messmer, la « nouvelle ère » de Giscard avec Barre, le « changer la vie » de Mitterrand avec Fabius. Pour Chirac, point ne fut besoin d’attendre un nouveau chef de gouvernement. Six mois après son élection, on nous fit comprendre que la promesse de réduire la fracture sociale n’engagerait jamais que ceux qui y avaient cru.

Et voilà pourquoi, au fil du temps, la politique était devenue quasi-muette. Plus personne ne voulait plus croire en ses pouvoirs. Les réglementations de Bruxelles conjuguées aux déréglementations de la mondialisation semblaient avoir pris les commandes. Le « c’est-comme-ça » triomphait.

Comme ses prédécesseurs, l’actuel président de la République s’est fait élire en réussissant à faire croire qu’il pouvait sortir de ce déterminisme. Le parti pris fut maximal : « Ensemble tout devient possible. » Mais, à la différence de ses devanciers il continue de défendre cette même vision volontariste de la politique, neuf mois après sa victoire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout se passe comme s’il s’était lui-même pris au mot. Voilà un homme politique qui croirait en ses promesses.

Non pas qu’il se juge capable – lui et personne d’autre – de modifier les conditions d’exercice du pouvoir. Mais il pose comme postulat la liberté d’agir plutôt que l’obligation de s’adapter. Sa posture se fonde sur la conviction que la réalité des situations découle de l’action des hommes et non pas d’une surdétermination naturelle. C’est ce qu’il a explicitement affirmé dans ses vœux aux Français : « Je n’ai pas été élu pour m’incliner devant les fatalités. Du reste, je ne crois pas à la fatalité. » Ou encore dans son discours de Rome : « On ne subit pas l’avenir comme un fait. » Cette croyance se repère dans le séquençage en deux temps de la plupart de ses discours. Le premier pour constater une situation, le second pour affirmer la nécessité de la modifier.

Il s’agit là d’un choix clair entre deux visions du monde qui, en tant que posture philosophique, ne peut faire l’objet que d’un engagement a priori. Sur ce point, sa religion est ainsi faite. Il croit résolument en un monde sous emprise humaine. Croyance qui ne se conçoit qu’en posant une extériorité au monde au nom de laquelle cette emprise s’exerce. Même si son credo reste plus intuitif que cérébral, le chef de l’Etat est authentiquement monothéiste. C’est pour cela qu’il est, en définitive, peu probable qu’il évolue sur ce point. Cela surprend, fait causer et parfois inquiète. L’épreuve du pouvoir n’a pas ramené notre Président au bon vieux principe immanentiste de réalité. Vers quoi tout cela nous mènera-t-il ?

L’opinion reste perplexe. Sur le fond, elle ne demande pas mieux que de continuer à croire en l’aventure. Depuis qu’il est aux affaires, le débat politique a repris ses droits. Non pas celui entre droite modérée et gauche réformiste, mais celui sur les enjeux de civilisations. Le rapport que nos sociétés entretiennent avec la transcendance est redevenu une question débattue. Faut-il le regretter ?

Avec le chef de l’Etat, nous tentons une sortie de la post-histoire, celle où plus rien ne se passait, celle sur laquelle on n’avait plus de prise. Mais dans le même temps, l’audace inquiète. Si l’Histoire devait se remettre en marche, pense-t-on, ne ramènerait-elle pas le tragique dans ses soutes ? Et dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux revenir à la soumission d’un monde donné ?

Revenons à Sarkozy et retrouvons les problèmes et les questions. Quelle politique veut-il vraiment conduire après le réveil du Politique ? Sur ce point, le président reste en campagne. Et parfois en rase campagne. Car une chose est de rendre à l’action publique son sens, une autre est de définir le sens de cette action. Agir, oui. Mais pourquoi ? Et pour quoi ? Avoir des résultats ne suffit pas en soi. On peut trouver stupide la manie de l’évaluation. Il est, en tout cas, invraisemblable que les critères sur lesquels l’action des ministres pourraient être jugée n’aient été que partiellement rendus public. Vers quels rivages le chef de l’Etat veut-il conduire l’embarcation dont il prétend avoir repris les commandes ? Au nom de quoi prétend-t-il agir ? Et, au fait, puisqu’il invoque le Ciel, quel est son Dieu en vérité ?

Croit-il au libéralisme pour « remettre l’homme au cœur de la mondialisation » ? Soutient-il que l’étatisme a des vertus salvatrices ? A-t-il une idée des programmes qu’il conviendrait de diffuser sur une chaîne de télévision libre de publicité ? Et les racines chrétiennes de la France, faut-il les protéger ou les repeindre aux couleurs du communautarisme ? La France est dans le camp occidental, vient-il de rappeler devant les ambassadeurs. Mais l’atlantisme doit-il redevenir le principe de sa politique extérieure ?

Que pense Sarkozy, au fond ? Malgré (où à cause) de Guaino, on ne le distingue pas bien. Pour l’heure, l’agitation lui tient lieu de boussole, le mouvement permanent de direction, et sa personne de programme.

Après les premiers émois viendra le temps de la décantation. On verra alors si le couple qu’il veut former avec l’Histoire survivra au voyage de noces.

Dealer de krach

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La valeur n’attend pas le nombre des années. Les valeurs financières, non plus. Pour preuve, à 31 ans, le Français Jérôme Kerviel est suspecté d’avoir accompli le plus gros braquage du siècle en faisant perdre 4,9 milliards d’euros à la Société-générale-votre-argent-nous-intéresse. A vrai dire, il s’agit d’un braquage de Pieds Nickelés, puisque ni Croquignol ni Ribouldingue ni Filochard ne profitent du crime.

L’indélicatesse est certainement la pire faute qui soit. Celle, tout d’abord, de la Société générale qui n’a pas eu la politesse d’attendre que Jérôme Kerviel parvienne à une somme bien ronde. Avouez que 5 milliards, ça aurait fait moins mesquin qu’une décimale qui flotte.

A la rigueur, Kerviel aurait fait perdre 4 milliards et demi à la Société générale, passe encore. Mais ce petit dixième de milliard manquant, ça sent l’amateurisme ; ça ne fait pas très sérieux, pas très Financial Times ni International Business School : ça fait Arpagon du village, province, emprunt russe, magot de vieille douairière caché sous le matelas.

A l’heure où la France entre avec joie et allant dans la modernité d’un kennedyanisme triomphant (après Jackie, Marylin), cette triste affaire fait revenir sur le devant de la scène un pays à la Flaubert, où l’on chipote sur la décimale quand on aurait pu faire dans le beau, le rond et le gros milliard.

Il y a aussi l’indélicatesse des journalistes qui parlent de « trader fou » pour jeter un opprobre immérité sur Jérôme Kerviel. A-t-on jamais vu un trader sain d’esprit ? Un trader, par nature, c’est frapadingue, ça s’excite, ça vous pousse de petits cris aigus à la simple vue d’une calculette.

Avant de me marier avec Willy, je suis sortie trois ans avec un trader de Francfort. Une erreur de jeunesse. Quand il rentrait le soir à la maison, ôtait sa ridicule chemise bleue à col blanc et venait se coucher à mes côtés, il fallait que je lui susurre à l’oreille les parités du mark avec le yen, le dollar, la livre sterling, le franc et la lire, pour qu’il consente à se mettre en action (l’euro a dû simplifier le métier aux femmes de traders). Puis, quand il sentait approcher le moment le plus critique (et le plus délicieux) de l’acte, il se prenait à crier : « Ich kaufe, kaufe, kaufe, kaufe… » (J’achète) Il imitait tellement bien la locomotive avec ses « kaufe » à répétition que je suis certainement la seule femme au monde, avec quelques suicidées, dont on ne peut même pas dire que le train ne leur est pas passé dessus. Il a été interné depuis.

La troisième indélicatesse est celle des banquiers. Leur jalousie fait peine à voir : depuis quelques jours ils se répandent en mines attristées et parlent de Jérôme Kerviel comme du déshonneur de toute une profession…

Pensez ! A 31 ans, ce petit gars plein de promesses leur en a redonné à voir, eux qui se contentent de vous pourrir la vie pour cent euros de découvert non-autorisé, alors qu’ils pourraient avoir la décence de vous déranger quand votre découvert atteint les 4,9 milliards d’euros.

Le petit Jérôme m’a convaincue au moins d’une chose : demain, j’ouvre un compte à la Société générale. Ça le fera bien venir, le krach.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

La République et le rayon transcendance du supermarché

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Sans transcendance, point de valeurs : Nicolas Sarkozy l’a, en substance, affirmé au Vatican fin décembre. Dans la bouche du président de la République, de tels propos reflètent plus qu’ils ne le suscitent l’apparent retour en grâce de la religion dans la société française. Que ce revival soit entériné au plus haut sommet de l’Etat révèle une République résignée. L’Etat-nation semble en panne. Comme la religion, dont le président n’en finit pas de redécouvrir les vertus, il trimballe un passé de grandeur et d’infamies conjuguées. Il se révèle incapable de fournir le carburant du vivre-ensemble. A vrai dire, ce n’est plus le problème. Quel que soit le nom qu’on lui donne, on attend de l’instance paternelle qu’elle nous materne et nous prodigue du bien-être. Bonheur pour tous : on peut toujours espérer que la Providence va prendre le relais de l’Etat.

C’est dans cette perspective que s’explique un micro-fait passé largement inaperçu. Un intrus s’est récemment faufilé dans le palmarès des meilleures ventes 2007 : la Bible. A l’origine de ce succès commercial, on trouve la Société biblique de Genève qui a édité cette nouvelle traduction, mise en vente dans les librairies et supermarchés des pays francophones au prix de 1,50 €. Résultat : pas moins de 200.000 exemplaires vendus en France pendant les quatre derniers mois de 2007.

« Le trésor de l’humanité… au prix d’un café », annonce l’éditeur malin qui a avoué au Figaro qu’en plaçant sa marchandise dans la grande distribution, il cherchait « l’achat instinctif ». Cette opération de marketing très réussie a agacé les confrères envieux, donnant lieu à une querelle de chapelles agrémentée d’accusations d’intégrisme et de soupçons de financement opaque. Il faut pourtant s’interroger sur les raisons tel succès. Les Français se seraient-ils privés jusque-là de ce « trésor de l’humanité » à cause de son prix trop élevé ? Cet engouement biblique qui va de pair avec le succès des évangélistes et des communautés charismatiques, ou celui des messes pour « JP » (jeunes professionnels), est plutôt le signe du développement d’un marché des religions et spiritualités. Après le politique et le culturel, c’est au tour du religieux d’être happé par l’extension du domaine de la consommation.

Un animal politique aussi doué que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas rater ce phénomène. Son discours du Latran, en partie réitéré en Arabie saoudite, a fini par déclencher une polémique – quoi qu’avec un certain retard à l’allumage, la gauche a peut-être trouvé là un nouveau cheval de bataille. « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, a notamment affirmé Nicolas Sarkozy, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » Autrement dit, seule la religion peut fonder un système moral. Sans un super-flic pour le surveiller, l’Homme est incapable de rejeter le Mal, voilà, en somme, ce que nous a dit le président.

Nicolas Sarkozy est l’homme de l’instant, celui qui sait renifler l’époque. Il est capable de réconcilier « la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance » et le consumérisme effréné, le culte de marques qui finiront par tenir lieu de tout lien social. Son imaginaire semble être façonné par les dossiers « spécial riches » des hebdomadaires, où le « bonheur » est une jouissance intrinsèquement lié à l’argent.

La République a prétendu, et longtemps avec succès, à remplacer l’Eglise comme socle des valeurs positives, contre tous ceux qui ne voyaient en elle qu’un cadre politique, un réceptacle sans âme. Elle a su mobiliser les Français autour de la Nation, du mérite et de l’ascension sociale et plus encore, autour de la transmission de ces valeurs. (George Steiner évoque cette période où une moitié de la France enseignait l’autre). Depuis deux ou trois décennies, cette transmission s’est interrompue. La mort de Dieu annonçait celle du roi, de la loi, de l’autorité et enfin de tout ce qui pouvait se dire « Père ». Le besoin mal articulé de transcendance qui fait surface aujourd’hui n’indique pas, contrairement à ce que feignent de redouter les « laïcards » en guerre contre des ennemis imaginaires, la « sortie de la sortie de la religion » disséquée par Marcel Gauchet, mais la fin d’un cycle entamé en 1789. Plus besoin de tuer le Père puisqu’il est déjà mort.

Evidemment, Dieu n’a emporté dans son tombeau ni l’arbitraire ni la violence. Le XXe siècle nous a appris à rejeter radicalement l’un comme l’autre. Tant mieux. Il est cependant fâcheux que nous ayons tendance à les voir et les dénoncer partout. Après Auschwitz, on n’a plus le droit de flanquer une claque à un enfant gâté. Bref, nous avons renoncé à assumer et nous nous consolons dans la consommation. Le problème, c’est que les effets de cette drogue sont de plus en plus courts. Déjà vu, déjà fait, déjà porté, déjà usé – plus ça change, plus c’est pareil. L’écran géant ne suscite pas les mêmes émotions fortes que l’achat de la première télé il y a 45 ans.

Reste donc le consumérisme spirituel. Il a très peu à voir avec la religion et beaucoup avec le culte du « pouvoir d’achat », c’est-à-dire avec la certitude que le bonheur se trouve à cent, mille ou un million d’euros. Que l’offre soit gratuite ne change rien, le consommateur des religions est tout aussi avisé que son congénère matérialiste – quand ce n’est pas le même individu : il compare, picore, télécharge et « copie colle ».

Seulement, il n’y a aucune chance (ou aucun risque) que la consommation frénétique de religiosité fournisse le sens recherché. La République n’a aucune raison d’abandonner le terrain de valeurs. Nicolas Sarkozy a axé sa campagne sur la réhabilitation du volontarisme. Il prétend changer la réalité en profondeur. Qu’il soit celui de la volonté ou de la spiritualité, son discours sonne creux, peut-être parce qu’il émane d’un amateur de Rolex et autres chronographes qui coûtent trois ou quatre années de Smic. Le président devrait se rappeler que sa charge est un sacerdoce.

L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes

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Comment dites-vous en français ? « Cela m’a scié les jambes. » La Fédération internationale d’athlétisme vient de refuser à Oscar Pistorius de participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Pour quelle raison ? Ce Sud-Africain blanc comme un oeuf est-il un chantre de l’apartheid ? A-t-il des positions contraires aux hautes valeurs des Jeux Olympiques, valeurs si bien incarnées par la grande République populaire de Chine ? Non, il faudrait qu’il puisse d’abord y réfléchir – c’est un sportif. Son patronyme en est-il la cause ? Même pas : il y a beaucoup plus ridicule que « Pistorius » – enfin, il faut chercher longtemps, mais ça doit se trouver. Peut-être ne supporte-t-il pas le riz cantonnais, la corbeille aux cinq bonheurs et les nems – aller au chinois tous les jours, c’est quand même l’angoisse niveau transit ? Pas davantage.

Amputé des deux jambes, il est doté de deux prothèses en fibre de carbone qui, selon les autorités sportives internationales, constituent un « avantage mécanique évident ». Sans me vanter, je trouve qu’ils ont l’évidence un peu rapide et un peu mécanique à la Fédération internationale d’athlétisme.

Vous me permettrez de ne pas me vautrer dans le politiquement correct, mais il faut bien reconnaître une chose : le sens commun a plutôt tendance à plaindre un handicapé qu’à critiquer les avantages dont il serait pourvu. On plaint un sourd de ne pas pouvoir entendre Bach ; on l’envie rarement d’échapper à la musique de Stevie Wonder, à la tristesse duquel on peut toutefois compatir de n’avoir jamais vu le piano de Ray Charles.

D’accord, Oscar Pistorius bénéficie de scandaleux avantages. Il a, d’abord, une carte officielle et dûment tamponnée de « personne en situation de handicap » (le terme handicapé est bien trop hard à nos chastes oreilles parfois mal-entendantes comme un pot) : lorsque l’athlète sud-africain veut garer sa voiture devant le Auchan de Pretoria ou le Leclerc de Johannesburg, il est sûr de trouver une place aussi facilement que les époux Mandela. De même, quand il va retirer une lettre à la poste du Cap, la préposée acariâtre le fait passer avant tout le monde. Et au bureau de la Sécurité sociale de Bloemfontein, on lui fait des ronds-de-jambe à n’en plus finir devant des files de personnes valides et injustement traitées.

Mieux encore, je suis certaine que lorsque vous vous plaignez de vos cors au pied, Oscar Pistorius rit à votre nez avec l’insolence qui caractérise tous les culs-de-jatte. L’handicapé est moqueur : on sait ça, à la Fédération internationale d’athlétisme.

Les handicapés, éclopés et gueules cassées bénéficient de tant d’avantages que cela vous inciterait à vous faire amputer de quelque chose : les jambes, les bras, la tête, alouette, enfin quelque chose d’inutile. C’est une évidence. Pourtant, ce n’était pas une raison pour que les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme nous piquent une petite crise de jalousie et la règlent en se vengeant : « Quoi, Oscar, t’as perdu tes jambes ? Ça t’apprendra à ne pas ranger tes affaires. »

La décision est d’autant plus sévère et injuste que chez les organisateurs des Jeux Olympiques on n’a jamais été très regardant en matière de prothèses… Certes, j’exagère un peu : outre les roudoudous d’acier dont se plaignaient Kornelia Ender et Karen Koenig, ce n’était pas des prothèses qu’arboraient crânement les nageuses de l’ex-RDA. Leur « avantage évident », dont elle pouvait aisément se servir comme d’un gouvernail, poussait très naturellement entre leurs cuisses. A cause de l’eau chlorée des piscines.

Il ne reste plus à Oscar Pistorius qu’à s’inscrire aux Jeux Handisports. Mais qu’il soit prévenu une fois pour toutes : on lui ôtera ses prothèses en carbone pour lui visser au cul deux belles jambes de bois. En chêne, c’est plus solide. Non mais ! On ne va pas laisser un cul-de-jatte doté « d’avantages mécaniques évidents » ridiculiser nos valeureux sportifs de haut niveau qui n’ont, eux, à leur disposition que des avantages chimiques évidents.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Rony Brauman contre l’humanitaire spectacle

Rony Brauman, né à Jérusalem en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, il est devenu président de MSF en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il est actuellement directeur de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières et professeur associé à l’IEP Paris. Il est chroniqueur pour le magazine trimestriel Alternatives Internationales. Ses principales publications Eloge de la désobéissance (avec Eyal Sivan), Le Pommier-Fayard, 1999, édition Poche-Pommier, 2006, Penser dans l’urgence, (entretiens avec Catherine Portevin), Le Seuil, 2006, La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France, (avec Alain Finkielkraut, conversations avec Elisabeth Lévy), Mille et Une Nuits, 2006 et Aider, sauver, pourquoi, comment ? Petite conférence sur l’humanitaire, Bayard, 2006.

« Quand les caméras seront parties, il ne restera que la misère » : pendant les « semaines de la compassion » qui ont suivi le Tsunami en décembre 2004, vous avez été atterré par cette phrase, prononcée par un journaliste ou un autre professionnel du bon sentiment. L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle l’aboutissement logique de l’évolution de l’humanitaire ?
A la faveur de circonstances particulières, le langage humanitaire a pu arriver jusqu’à ce point de folie. Mais, effectivement, ce langage-là, on l’a déjà entendu en d’autres moments, et notamment après le tsunami en Asie du sud-est. On disait alors que des milliers d’orphelins erraient dans les rues, risquant de devenir les proies de rackets pédophiles. Et déjà, des initiatives avaient été lancées en vue de favoriser les adoptions. Heureusement, tout cela avait rapidement tourné court. Mais l’état d’esprit, le cadre, la matrice étaient là. Je pense aussi à un épisode de la guerre en Bosnie : une ONG avait décidé d’amener en France mille enfants bosniaques pour qu’ils passent un hiver à l’abri des bombes. Avec d’autres, notamment les gens de Handicap International, j’avais pris position contre ce projet totalement stupide. Sans succès. En réalité, ces enfants n’étaient pas sous les bombes et surtout, le traumatisme de l’arrachement à la famille et l’angoisse de l’abandon étaient plus violents que le maintien sur place, même dans une situation si dure que la guerre de Bosnie. Bien entendu, nous étions passés pour de mauvais coucheurs qui n’aiment pas les enfants et se fichent de les laisser sous les bombes. Autre exemple, au début des années 90 : des familles en attente d’adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n’étaient pas nécessairement des orphelins. C’était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l’âge, la taille la couleur des yeux. On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines, parce que quelque chose n’allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication. Ils réclamaient le service après-vente. Avec les cas de ce type, on est dans la marchandisation humanitaire intégrale. Tout cela pour dire que l’Arche de Zoé ne sort pas de nulle part et que l’aspect adoption y est important. D’ailleurs, le Congo a décidé d’interdire les adoptions internationales à la suite de cette affaire.

Tous ces cas, le tsunami, les épisodes bosniaque ou roumain que vous mentionnez ou l’Arche de Zoé mettent en jeu deux vaches sacrées de l’époque : l’humanitaire et l’enfance. L’humanitaire se préoccupe des victimes et l’enfant, en quelque sorte, est la victime idéale puisqu’il est innocent (ou a de grandes chances de l’être).
L’idée que, dans une situation de crise, quelles qu’en soient l’origine et la nature, il y a des enfants menacés qu’il faut sortir de là, s’accorde naturellement avec la frénésie d’adoption que l’on sent dans nos sociétés – et je ne prétends pas la juger. L’Arche de Zoé n’a donc eu aucun mal à rassembler un large groupe de familles en jouant sur l’ambiguïté d’un accueil qui pouvait se transformer ultérieurement en adoption. Ses dirigeants n’ont eu qu’à intervenir sur des forums de parents adoptants. Toute leur opération reposait sur la conviction qu’arracher un enfant à l’horreur du quotidien dans lequel il vit, c’est lui donner le bonheur et la sécurité. Or cette horreur n’est pas si évidente que cela et une telle affirmation est la porte ouverte aux abus de toute sorte. On le voit aussi en France quand les familles les plus vulnérables se voient systématiquement retirer leurs enfants par l’assistance sociale. Il existe un continuum entre toute ces formes de protection de l’enfance par des familles, des gens, des institutions qui veulent être à tout prix les protecteurs de l’enfance, y compris au détriment des enfants eux-mêmes.

En somme, dans les zones de guerre ou de crise, et notamment dans ce no man’s land imaginaire qu’est l’Afrique, tout enfant est un orphelin ou un malheureux en sursis. Et en Occident, l’enfant est un droit de l’homme.
Oui. Tout se passe comme si ne pas avoir d’enfant constituait un déni de droit. L’enfant est un bonheur auquel chacun a droit. Notre président ne vient-il pas de rappeler que chacun a droit au bonheur ?

SMS – SS !

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Près d’une semaine qu’on ne parle que de ça. Le prétendu texto présidentiel. Il faut dire que le SMS, comme moyen de communication, ça va comme un gant à Nicolas Sarkozy qui trouve bien naturel de pianoter sur son portable en public, serait-il au Vatican. Enfin, ce n’est pas le sujet. Voilà une semaine, donc, que le supposé message publié sur le site du Nouvel Observateur alimente les conversations de bureau et répand la zizanie dans les rédactions. Est-ce un ragot, est-ce une info ? Sarko est-il fou ? Jaloux ? Peut-il déclencher la frappe nucléaire en tapotant sur son Nokia ? Cécilia ? Carla ?

Revanche de la démocratie, chacun, puissant ou misérable, anonyme ou célèbre, a pu y aller de ses certitudes de comptoir et de sa psychanalyse de bazar sur la supposée résilience dont aurait été frappé Nicolas Sarkozy avec la réconfortante conviction de s’intéresser à l’avenir du pays. Au passage, même en supposant que le texto maudit soit authentique, peut-être 60 millions de psychologues ont-ils commis un contresens majeur. Peut-être ont-ils entendu une supplique là où il fallait lire une menace : « Si tu reviens m‘enquiquiner, j’annule tous nos accords. » Ou alors, il s’agissait d’un tout bête arrangement de week-end ou de vacances comme en ont tous les parents divorcés : « Si tu reviens maintenant, j’annule la deuxième semaine de location à Palavas les Flots. » Va savoir.

Peu importe. Au bout de quelques jours, nous avions épuisé les charmes du SMS. Ces quelques mots avaient livré tous leurs secrets et permis à chacun de se forger une opinion parfaitement fondée sur la relation entre le chef de l’Etat et son ex-épouse. Le vrai débat pouvait avoir lieu. Fallait-il publier ? Oublier ? Les journalistes sont-ils des salauds ? Des héros ? Sommes-nous allés trop loin ? Avons-nous perdu notre âme ? On a bien cru, l’espace d’un instant, que la corporation allait se livrer, pour de bon, à un vaste examen de conscience. Qu’on se rassure. Comme disait l’autre, je suis dans le ruisseau, c’est la faute à Sarko. D’abord, c’est lui qui nous a refilé la came. Oui, celle que nous vous revendions à bon prix, chers lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Ce glamour à deux balles que nous méprisons tous et qui, mystérieusement, fait de bonnes ventes, cette exhibition bling-bling si peu conforme au bon goût dont nous nous targuons tous, c’est le président qui nous y a rendus accros. Oui, c’est lui qui a commencé. Nous pas responsables. Bon, d’accord, nous avons été faibles, un peu minables. Mais nous avons des circonstances atténuantes. Tout est de sa faute. Le dealer, c’est lui.

Il faut dire qu’il a aggravé son cas, le président. Perte de sang-froid caractérisée. Nous, on le comprend, même si, comme l’a finement remarqué Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo (dont il faut saluer l’excellente « une ») il aurait peut-être été plus adapté de mettre son poing dans la figure du journaliste concerné, genre ni vu-ni connu, une explication « entre hommes ». Mais attaquer un journaliste au pénal, vous n’y songez pas. On sent le parfum de la dictature. De quoi donner une attaque à Robert Ménard, le patron de Reporters Sans Frontières. Certes, nul ne pense que le journaliste du Nouvel Observateur va croupir en prison. Le plus probable est que cette procédure bancale n’ira pas à son terme. Mais, puisque, sur le papier, la possibilité d’une peine d’emprisonnement existe, profitons-en. Octroyons-nous, une fois encore, le grand frisson de la Résistance. No pasaran. Halte à la poutinisation ! (Il est clair que, dans la conjoncture politique actuelle, la mise au pas des médias est à l’ordre du jour).

Dans ces conditions, Carla Bruni a des excuses. D’abord, l’entretien qu’elle a accordé à L’Express est de bonne tenue, avec des mots grecs, de la hauteur de vue et de la modestie ainsi qu’il sied à une « première dame » – appliquée à la nouvelle élue (du cœur du président, pas des Français), cette expression désuète est un brin cocasse, non ? Passons. Venons-en à la gaffe, cette comparaison absurde, cette reductio ad hitlerum aurait pu dire notre belle helléniste. (Oui, oui, on sait, c’est du latin, mais agape, c’est du grec… et belle latiniste aurait été moins amusant). « A travers son site Internet, déclare Mme Nicolas Sarkozy, Le Nouvel Observateur a fait son entrée dans la presse people. Si ce genre de sites avait existé pendant la guerre, qu’en aurait-il été des dénonciations de juifs ? » La gaffe. Un peu plus et elle manifestait en scandant : SMS-SS ! En plus, balancer ça dans les dents du Nouvel Obs, fallait oser. Et pourtant, répétons-le, elle a des excuses. Après tout, il y a à peine trois mois, mademoiselle Bruni était au Zénith avec toute l’intelligentsia « antifasciste » pour protester contre l’amendement scélérat. Et on l’imagine volontiers défilant, non seulement pour Armani ou Prada, mais aussi contre les expulsions de sans-papiers que nombre de ses copains qualifient subtilement de déportations. Bref, elle s’est contentée de servir aux journalistes la référence qu’ils balancent régulièrement dans les gencives de ceux qui leur déplaisent, le genre « ça nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire ». Normal : culturellement, elle vient de leur monde. Elle fréquente peut-être la droite bling-bling, elle n’en est pas moins une enfant chérie de la gauche bobo.

Surtout, elle a présenté ses excuses. Futée, la première dame : au lieu de s’entêter, d’expliquer qu’elle a eu raison d’avoir tort, que c’est le Nouvel Obs qui a commencé, elle comprend qu’elle a dit une ânerie. Et hop, ni une, ni deux, elle demande pardon. L’incident est clos. Chapeau bas. Présenter ses excuses quand on a fait ou dit une connerie, fallait y penser. Certains journalistes feraient peut-être mieux d’en faire autant.

De la vertu aux temps de la cupidité

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Si on en croit Montesquieu, la démocratie est un système harmonieux qui ne peut que fonctionner. Son seul défaut est de supposer des dirigeants vertueux. Le capitalisme actuel souffre du même handicap : avec des acteurs vertueux, on peut tout imaginer, même que la main invisible soit l’instrument de l’intérêt général. Mais le désintéressement est déjà un exploit pour un élu. Dans la vie économique, il relève de la sainteté. Comme l’a observé Jean-Claude Michéa (L’Empire du moindre mal, Flammarion), Adam Smith serait horrifié à la vue de ceux qui se prétendent ses disciples.

L’affaire du « trader fou » montre qu’on est loin du compte. Ce qui est en cause, ce ne sont pas seulement un employé déchaîné et un mécanisme de contrôle défaillant, mais un système qui s’est éloigné de ses missions initiales. Les marchés financiers ont vocation à permettre l’allocation la plus efficace de ressources et le financement des entreprises. Aujourd’hui, ils s’autonomisent pour poursuivre un objectif qui leur est propre. C’est la queue qui agite le chien.

A l’aune de tels enjeux, le débat sur le scandale de la Société Générale est singulièrement réducteur. Le rapport de Bercy s’est prudemment concentré sur les aspects techniques de l’affaire – sous-encadrement des traders, suivi insuffisant de leurs activités et gestion de la crise par la direction de la Socgén. Autant de défaillances des procédures et du management qui, certes, ont leur importance, mais permettent d’éviter la question fondamentale : comment éviter la dérive des marchés financiers ? Autrement dit, comment faire en sorte que le chien soit maître de sa queue ?

L’économie mondiale peut être comparée à un réseau routier qui doit, en une décennie, accueillir de plus en plus de véhicules de plus en plus rapides et puissants. Du coup, toute perturbation devient un embouteillage monstre et l’accident le plus anodin cause des dégâts considérables. La propagation de la crise du crédit immobilier aux Etats-Unis illustre bien ce phénomène.

Il est donc légitime que les pertes essuyées par la Générale suscitent des interrogations sur l’état des autoroutes de la finance mondialisée.

Il ne s’agit pourtant pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, aussi trouble soit-elle aujourd’hui. Ni l’opacité croissante des opérations et produits financiers, ni le ressentiment toujours plus virulent à l’égard de « la banque » et des « marchés financiers » ne justifient un procès à charge. En économie comme en politique, le rejet des médiations est une illusion. Nous avons besoin des élus pour exercer le pouvoir en notre nom, tout comme nous avons besoin des banques, des marchés financiers et des professionnels qui y officient, pour gérer nos capitaux et nos risques.

Il faut aussi rappeler que beaucoup de ces « produits dérivés » constituent d’abord et surtout une police d’assurance permettant aux acteurs économiques d’atténuer les effets néfastes des fluctuations du prix des matières premières, des taux de change et des taux d’intérêt. Le fabricant qui achète ses matières premières en dollars, vend ses produits en euros et finance sa trésorerie avec un crédit bancaire, ne tiendrait pas longtemps sans y avoir recours. Seulement, contrairement à leur vocation initiale, ces instruments financiers sont devenus à leur tour des actifs financiers qui suscitent la convoitise des spéculateurs. Le bouclier est devenu une épée.

Dans ces conditions, l’heure n’est pas à la croisade idéologique. Or, pour certains, la loi du marché revêt un caractère sacré, comme s’il s’agissait d’une loi de la nature ou de l’aboutissement inéluctable de l’histoire humaine. « Tout le problème, pour le pouvoir, est de ne pas glisser de l’autorégulation du système par ses acteurs, les mieux à même de le réparer, à sa régulation par en haut, au risque d’en casser les ressorts », écrit Alain-Gérard Slama (Le Figaro, 1er février). En clair, tout acteur est légitime à intervenir, à l’exception des détenteurs de la puissance publique. Sauf que le libéralisme, dans sa forme actuelle comme dans celles qui l’ont précédées, est un phénomène historique, une option parmi d’autres. Le fait qu’on n’ait pas trouvé mieux ne prouve en rien qu’on ne trouvera jamais mieux.

L’économie, comme la politique, est une affaire d’hommes [1. Que les féministes ne m’arrachent pas les yeux, je veux évidemment parler d’êtres humains en général.]. Aucun système économique, aussi sophistiqué ou intelligent soit-il, ne sera jamais meilleur que ceux qui le font fonctionner. Il est inquiétant que « l’éthique du capitalisme » ait cédé la place à des comportements indélicats quand ils ne sont pas carrément mafieux. Et, plus inquiétant encore que certains délinquants (à la différence des patrons-voyous) soient considérés comme des héros. Nick Leeson, le trader responsable de la faillite de la Barings en 1995, est un conférencier très demandé. Sans vertu, même le meilleur des mondes s’écroulera. Cela n’incite guère à l’optimisme.

S’ennuyer à la folie

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Imaginez l’une de ces situations dont la vie sociale est malheureusement prodigue – vous essayez de lire un livre que toute la critique a salué comme un chef d’œuvre. Vous auriez plutôt envie de vous joindre au concert de louanges, si seulement vous n’étiez pas aussi horriblement frappé par l’ennui. Votre esprit commence à douter, votre vue se trouble ; soudain, vous vous sentez terriblement fatigué. Vous vous ennuyez grave.

Maintenant, réfléchissez. Peut-être que l’ennui n’est pas aussi nocif qu’il le paraît à première vue. Certes, il ne constitue pas une critique consciente, mais ses effets peuvent être aussi dévastateurs que ceux d’une rébellion frontale. Parents, professeurs, prédicateurs, personnalités officielles et apparatchiks du Parti peuvent faire de nous un public captif. Ils nous ordonnent de rester assis et de bien nous tenir. Nous y voilà. Nous écoutons. La Bible ? Ennuyeuse. Le Talmud ? Ennuyeux. Ennuyeux, le saint Coran ? Ennuyeux. Le Capital ? Ennuyeuuux. Inutile de nous sanctionner. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous ennuyer.

Peut-être. Mais peut-être la décevante innocuité de l’ennui est-elle sa plus grande force. L’ennui est une arme de résistance culturelle particulièrement efficace. C’est l’une des rares qui ne conduise pas à l’écrasement des faibles mais pousse les forts à changer leur comportement. Tout plutôt que des baillements et des yeux hagards. Ainsi l’Eglise médiévale autorisait-elle ses prédicateurs à pimenter leurs édifiants (mais hélas ennuyeux) messages par d’amusantes anecdotes, pleines d’horreur et de gore. Ils adoucissaient l’amertume du dogme par le sucre de la romance et du mélodrame. Ils offraient à leurs ouailles terrassées par l’ennui des contes fort divertissants sur la vie aventureuse des saints – souvent des personnages du folklore vaguement christianisés – et autres pêcheurs repentis. Et ça marchait. Les histoires de saints étaient immensément populaires. Mais comme je l’ai montré dans Histoires de Saints (Gallimard), il y avait un prix à payer. Ces histoires délivraient des messages brouillés. En fait, elles ont été la base d’une théologie alternative, souvent en bisbille avec la religion officielle. L’intérêt des consommateurs avait bien été éveillé mais pas forcément dans le sens voulu. Le remède est parfois pire que la maladie.

L’ennui peut être une force de subversion mais aussi l’essence même du conformisme. Il est tout autant le petit iconoclaste qui se cache en nous que l’agent des puissances dominantes qui s’y cache pareillement. Aussi, contrairement à ce que nous croyons spontanément, l’ennui peut-il être artificiellement provoqué. On peut apprendre à s’ennuyer – ennui des vieux habits, des vieilles choses ou des idées dangereuses. Le citoyen de la galaxie post-Gutenberg apprend à s’ennuyer. Soigneusement formaté pour que sa capacité d’attention soit à durée limitée, il en a vite assez.

Si vous avez grandi avec la télévision commerciale – l’agent de conditionnement le plus important dans le monde post-Gutenberg –, vous êtes habitué aux gratifications immédiates, le plus souvent émotionnelles. Vous avez besoin de divertissement permanent. Vous êtes un consommateur.

Cela ne signifie nullement que, par le passé, l’idée que la plupart des gens se faisaient de l’amusement était la lecture de La recherche du temps perdu, ni que, de nos jours, plus personne ne lit d’austères travaux universitaires peu susceptibles de déclencher des fous rires. Il y a toujours eu des individus patients et d’autres impatients, des amoureux des nouvelles et des inconditionnels des grandes sagas épiques. Mais notre culture est de plus en plus celle de l’impatience. Accros au divertissement, nous avons besoin de doses fréquentes pour rester « high ». Nous nous ennuyons plus vite.

L’ennui n’affecte pas seulement la façon dont nous consommons le divertissement. IL affecte notre façon de consommer tout et n’importe quoi. Plus significativement encore, peut-être, il affecte le mécanisme qui pourrait changer les choses – la politique. Dès lors qu’elle a quelque chose à voir avec la rationalité des décisions, la démocratie suppose la connaissance. Or, notre culture du zapping tient pour ennuyeuse les connaissances politiquement significatives. Pour prendre des décisions politiques rationnelles, il faut connaître des choses qui ne sont ni amusantes ni émouvantes. Il faut écouter de longs exposés théoriques et pratiques et en tirer des conclusions. Dans le passé, des assemblées populaires pouvaient écouter et discuter de très longs débats. Les gens « simples » lisaient souvent les pamphlets politiques assez compliqués. Ce n’est plus le cas. C’est trop ennuyeux.

Les nouveaux politiciens sont bien conscients de ces phénomènes. L’ennui est bon pour la mauvaise politique. Le public veut du nouveau toutes les 5 à 6 minutes. En coulisses, les choses sérieuses continuent. La poignée de gens qui contrôlent le marché, soupèsent, évaluent, débattent et décident. Devant les caméras, les politiciens font le show. Cette schizophrénie politique peut sembler très pratique, dès lors qu’elle dégage les décideurs de toute responsabilité. Tout ce dont ils ont besoin, c’est une batterie de slogans et un répertoire d’émouvantes anecdotes personnelles. Si, par-dessus le marché, ils portent beau (et de nos jours, c’est souvent le cas), tout va bien. Le spectacle doit continuer. Et le spectacle continue.

Un bon spectacle fait rarement une bonne politique. Le média n’est plus le tambour de ville ; il éduque, conditionne, façonne notre monde mental et répond aux attentes qu’il a lui-même créées. Or, tout en participant activement au jeu, il prétend obstinément être un simple observateur. Il récuse toute tentative pour le réguler comme une menace contre la liberté d’expression. Seulement, une société dans laquelle les discours sont creux et les citoyens ignorants n’est pas vraiment démocratique. La démocratie exige un certain respect pour les choses « ennuyeuses » – il faut s’intéresser aux processus et accepter de ne pas se ruer trop vite sur le mot de la fin. Elle demande que l’on repense sérieusement les conséquences du commerce du temps de cerveau disponible. Méfiez-vous de l’ennui. Il peut vous rendre fou.

Péchés capitaux

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Take a walk on the Wilde side !

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Cher (e)s ami(e)s, sauf votre respect, m’est avis que vous êtes, depuis quelques années, sur une mauvaise pente : celle de l’institutionnalisation bourgeoise. Après avoir acquis de haute lutte le droit à la différence, vous exigez désormais le droit à la ressemblance… Et ressemblance à quoi, je vous le donne en mille ? Au couple hétéro dans ce qu’il a de moins fantaisiste, c’est-à-dire le moins gay qui soit : le conformisme bourgeois louis-philippard. Fabrice Emaër doit se retourner dans sa tombe – sans parler d’Oscar Wilde…

Le mariage – civil et religieux – connaît depuis vingt ans la crise que l’on sait. En région parisienne, un couple hétéro sur deux est appelé à divorcer dans les meilleurs délais (2-3 ans maxi). De Saint-Germain-des-Prés à la Bastille, la famille monoparentale, ou redécomposée, ringardise chaque jour un peu plus le vieux modèle du papa, de la maman et des nains-habillés-pareil.

Et c’est le moment que choisissent les associations LGBT pour revendiquer le droit au mariage de (grand) papa ! Pas question pour elles d’aménager le PACS dans ses modalités patrimoniales et successorales, comme le réclament les homomodérés (si je peux me permettre ce néologisme). Non, Monsieur LG et Madame BT veulent à toute force passer devant Monsieur ou Madame le Maire, se mettre la bague au doigt, s’embrasser sous les applaudissements émus et devant la caméra DVix embuée, prendre du riz plein la gueule, klaxonner dans des limousines à tulle blanc, signer un contrat de mariage, s’imposer des belles-mères et se jurer fidélité… On croit rêver !

Il y a là, risquons le mot, une inversion de la « gay attitude » apparue à Paris dans les années 70/80, toute de fun et de provocation ironiques face à la dictature de la normalité. En une vingtaine d’années d’années, cette contre-culture gay a essaimé dans toute la France, libérant enfin des centaines de milliers de « tarlouzes » de Lons-le-Saulnier, contraintes depuis des siècles au placard…

Dès lors les intellectuels organiques de la gayitude, privés de leur principale revendication, n’ont eu d’autre choix pour préserver leur magistère que d’exiger le contraire ! Fini l’hédonisme désinvolte et libertaire ; place à la revendication « mimétique » (encore René Girard !). A partir de dorénavant, qu’on se le dise, les homos veulent être des hétéros comme les autres ! Il est « décontrastant », comme disait Garcimore, de voir des gens aussi ontologiquement insoumis que les gays basculer soudain, sous prétexte de militantisme, dans une quête absurde et furieuse de « normalisation ».

On peut être « gay-friendly », ou gay tout court, sans tomber dans ce panneau géant : vouloir « se marier et avoir beaucoup d’enfants », rien que pour faire chier Christine Boutin ! De mon temps, ça s’appelait : vouloir à la fois le beurre, l’argent du beurre, les faveurs de la crémière et le sourire du crémier (ou le contraire).

Le PACS pour lequel ils se sont tant battus apparaît aujourd’hui aux fondamentalistes gays comme un vulgaire aspartame, comparé au sucre délicieux du mariage tradi. Cette soif de ressemblance me paraît infiniment étrange.

L’ »orientation sexuelle », comme on dit en p.c., ne se résume pas à la sélection de partenaires en fonction de leurs attributs physiques. L’homosexualité, pour prendre un exemple au hasard, est aussi une autre vision du monde et de soi-même : un point-de-vue, un belvédère ! Peut-on admirer simultanément la vallée des deux côtés de la montagne ?

L’aspiration à l’adoption d’enfants relève de la même revendication monthy-pythonesque d’hétérosexualisation de l’homosexualité. A t-on pris garde au fait que ce casting (2 papas, ou 2 mamans, ou 2 sans-opinion) met à mal non seulement le brushing de Boutin, mais le complexe d’Œdipe, fondement de l’analyse freudienne : quel père tuer, même symboliquement – et pour épouser quelle mère ?

Et puis il y a l’hypersexualité gay qui, sans me vanter, est attestée par toutes les statistiques (sortez les vôtres, bandes de glands !) Est-elle bien compatible avec la pa (ma) ternité ? Paul et Jean-Paul auront-ils encore le temps de courir les saunas et les backrooms quand il leur faudra langer, changer, faire manger puis éduquer leur bébé-éprouvette ou leur petit Viet’ ? Imagine-t-on Freddie Mercury en train de pouponner ?

Il n’est pas jusqu’à l’ordination sacerdotale qui ne soit aujourd’hui revendiquée comme un droit par les homosexuels – après les femmes et en attendant l’intergroupe. Voir le hourvari provoqué par Benoît XVI rappelant le refus permanent et universel de l’Eglise d’ordonner ès qualités des prêtres homosexuels. Mais qui est contraint d’être catholique ?

Eh bien quand le psy-catho Tony Anatrella, qui n’a pas un métier facile, explique ce refus, il invoque trois raisons dont on peut penser ce qu’on veut, sauf qu’elles sont purement sexuelles : « l’immaturité, le narcissisme, le refus de l’autorité ». Beaucoup d’hétéros pourraient se reconnaître dans ce portrait-robot ! Mais depuis quand, tabernacle, tout le monde aurait-il vocation au sacerdoce ?

Autre écueil sur lequel sont en train de se fracasser certains de nos zamiguets : l’esprit de sérieux – c’est-à-dire, pour faire court, le contraire du sérieux. Il est symbolisé par la syndicalisation de la communauté gay, avec son redoutable cortège de doléances et de lamentations tous azimuts.

D’une manière significative, l’ex-Gay Pride a été rebaptisée « Marche des Fiertés Lesbienne, Gay, Bi et Trans » (j’espère qu’ils n’ont oublié personne, cette fois !) Il s’agit désormais d’une sorte de défilé du 1er mai, avec son rituel de banderoles contestataires, de slogans virulents et même parfois d’outings sauvages qui ressemblent à des scalps.

Au moins les vrais défilés syndicaux sont-ils parfois égayés, si j’ose dire, par des incidents de fin de cortège et des charges de CRS… Rien de tel dans les manifs d’homos conscients-et-organisés. A croire qu’ils seraient négligés même par les « autonomes » et autres casseurs… N’est-ce pas à désespérer ?

Je me souviens des premières Gay Prides, au début des années 80. Il y avait dans ces « happenings » cent fois moins de monde, cent fois plus de droits à revendiquer et mille fois plus de gaieté ! On baignait dans une atmosphère ludique et spontanée qui, semble-t-il, a fini étouffée par la cégétisation des militants gays.

Pourquoi ne pas retrouver cet esprit-là, capable de séduire, au-delà des ghettos, tous ceux qui préfèrent l’école buissonnière aux cours magistraux ? A quand un programme commun des rebelles qui souhaitent le rester ? Là en tout cas, « j’en serais », comme on disait du temps de Fernandel.

P.S. : Merci à tous ceux qui ont lu mon papier sur René Girard et en ont profité pour s’empailler sur Causeur. Le niveau des échanges m’a paru agréablement élevé.
Mais on ne se refait pas : plutôt que de commenter vos commentaires, ça m’a encouragé à vous prendre par un autre bout… J’en attends au moins autant de cris, et de chuchotements.

Petite histoire de la censure ordinaire

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D’accord, ce n’est pas Voltaire qu’on assassine. Une émission sur « le président et les femmes » déprogrammée sur une chaîne appartenant à un ami du président : ainsi va la censure ordinaire dans notre paysage audiovisuel. Ou l’autocensure. Car s’il y a mainmise de Sarkozy sur les médias, c’est parce que les médias se mettent dans la main de Sarkozy. Supposons, hypothèse d’école que le chef de l’Etat réclame les têtes de journalistes indociles. Qu’arriverait-il à Vincent Bolloré, Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère si d’aventure, ils faisaient mine de ne pas comprendre ? Devraient-ils renoncer, qui à l’honneur de véhiculer le président pour ses villégiatures, qui à ses ambitions nucléaires ? C’est oublier, dira-t-on, le caractère sanguin de Nicolas Sarkozy, sa tendance à s’énerver contre ceux qui résistent à son « charme », son genre « qu’est-ce t’as toi, j’vais t’casser la gueule ». Les menaceurs sont rarement les plus dangereux.

La vérité est qu’il n’arrive rien à ceux qui ne font pas allégeance. Certes, ils ne font pas partie des « amis du pouvoir » (et pour certains, c’est bien le problème). Mais on n’a pas signalé de réouverture des mines de sel. Dans les médias, on n’observe pas plus de placardisations politiques, manœuvres de séduction et petits arrangements avec la morale que sous n’importe quel autre gouvernement (pas moins non plus). Ce n’est donc pas la peur qui conduit l’un à écarter un journaliste qui risque de déplaire ou l’autre à déprogrammer une émission qui promettait d’être bien innocente du reste. Ce n’est pas non plus l’amitié, ou alors, c’est une drôle de conception de l’amitié que celle qui consiste à céder à toutes les exigences de ses amis au lieu de les ramener au réel quand c’est nécessaire. Non, ce qui menace aujourd’hui les médias, c’est une idéologie pernicieuse dont le mot d’ordre est « pas de vagues » – « pas de couilles, pas d’embrouilles », pour reprendre la percutante formule par laquelle Christophe Hondelatte a un jour résumé l’état d’esprit des princes qui gouvernent la télévision publique. La déférence vis-à-vis des puissants (réels ou supposés) n’est ni l’apanage de la télévision ni celui du secteur public. Dans les « médias amis », elle vire aisément au principe de précaution, tout sujet jugé « touchy » (ce qui veut dire sensible mais en anglais, c’est plus glamour), susceptible de froisser l’âme sensible du président étant écarté par avance. Ce qui, heureusement, est tout de même plus facile à dire qu’à faire.

Venons-en à Direct 8, puisqu’il s’agit de cette honorable chaîne de télévision, dirigée par Yannick Bolloré, fils de son père, lui-même tour-opérateur du président. Vendredi dernier, « 88 minutes », émission de plateau de facture assez classique plutôt bien menée par Caroline Ithurbide et Boris Ehrgott, devait porter sur « Sarkozy et les femmes ». Sujet tellement sensible qu’il a été traité en long en large et en travers par l’ensemble des médias, y compris Direct 8. A part la répétition de choses entendues ailleurs, on ne voit pas bien quel danger présentait une telle émission (l’une des cinq ou six encore diffusées en direct, contrairement à ce que promettait le nom programmatique de la chaîne). Avec Séguéla en invité principal, on ne risquait guère le dérapage sarkophobe.

Or, quelques heures avant le tournage, les invités sont décommandés et l’émission annulée pour de mystérieuses raisons techniques. Boris Ehrgott, plutôt maussade, renvoie laconiquement vers sa direction. Directeur de l’antenne, Christian Studer, un Bolloré boy de longue date, parle immédiatement et avec une décontraction étudiée « d’un problème de mélangeur sur la Régie Prod »[1. Il se trouve que Boris Ehrgott m’avait proposé d’y participer, offre que j’avais déclinée.]. Très pro. Justement, un peu trop pro pour être honnête. On imagine aisément la réunion où s’est concoctée la version officielle, « qu’on servira aux journalistes si jamais ». « Croyez ce que vous voulez », lance Studer. Seulement, dans une chaîne de télévision, il y a des techniciens. Une panne qui aurait obligé à annuler 1 h 30 de direct n’a pu passer inaperçue. Plusieurs personnes contactées au sein de l’équipe technique se marrent quand on les interroge sur la panne. Ensuite, le directeur technique sera délégué pour parler aux journalistes. Alors, d’accord, on croira ce qu’on voudra.

Mauvais esprit, complotisme de bas étage ? Peut-être. Peut-être le « mélangeur » a-t-il vraiment cessé de remplir son office vendredi, privant les téléspectateurs d’un sulfureux débat sur Cécilia, Nicolas et Carla. Puisque la fiction vraie est à la mode, essayons d’imaginer comment les choses auraient pu se passer. Jacques Séguéla, l’inventeur de la « Force tranquille » dont le dernier titre de gloire est d’avoir assisté à la naissance de l’idylle présidentielle, et qui entretient, paraît-il, les meilleures relations avec Monsieur Bolloré, pensait sans doute servir son nouveau héros en faisant rêver la France. Nicolas et Carla-que-avec-elle-c’est-du-sérieux sont un rêve de publicitaire. Sauf que ces mauvais coucheurs de Français ont élu un président, pas un crooner. Il semble qu’ils en ont assez de la saga des « amants du Nil ». Poursuivons notre « romanquête » – pourquoi BHL aurait-il l’exclusivité de ce genre très pratique ? Vendredi après-midi, un hiérarque quelconque tombe sur le sommaire de l’émission. Il flaire vaguement les ennuis et peut-être plus encore la possibilité de faire valoir en haut lieu sa fidélité. Et puis, il ne voit pas en quoi annuler une émission pourrait faire problème. C’est une entreprise privée, pourquoi devrait-elle embarrasser ou pire agacer un ami du patron ? Il faut prévenir Yannick Bolloré de ce qui se trame, toute la famille sera reconnaissante envers cet employé-modèle. Alerté dans des termes énergiques, Yannick Bolloré en réfère à son employeur – et père. Le low cost du président a d’autres chats à fouetter, il en a marre qu’on l’interroge sur l’avion du président, les vacances du président. Marre de tout ça. On annule !

Répétons que tout cela n’est qu’invention. Mais, comme disait l’autre, ça aurait pu se passer comme ça. Chez Bolloré ou ailleurs. Parce que les patrons de médias ont tendance à penser qu’ils dirigent des entreprises comme les autres. Ils ont autant le droit de déprogrammer une émission qui leur déplaît que celui de ne pas vendre la production de leurs usines. L’idée que la marchandise qu’ils vendent justifie un traitement spécifique parce qu’elle participe à la formation (ou déformation) de l’esprit public et au fonctionnement (ou dysfonctionnement) de la démocratie ne paraît pas les effleurer. Charbonnier est maître chez soi, non ? On pourrait rappeler que les concessions sont allouées par l’Etat, moyennant le respect de certaines règles que le CSA a la charge de faire respecter. Ce serait mesquin.

Noces sarkoziennes

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Ecartons d’emblée l’idée qu’elle ait à voir avec les élaborations simplissimes du « complexologue » Edgar Morin qui, dans l’affaire, n’aura servi que d’habillage communicationnel. La politique de civilisation fut d’abord définie négativement par Henri Guaino en opposition à la politique de gestion. Politique dont la finalité consiste seulement à agir aux marges d’une situation qui, globalement, s’impose. Dans la Conception gestionnaire, la réalité est une donnée qui fait l’objet d’un traitement. C’est pourquoi la politique de gestion est un système où règne l’expertise. Promouvoir une politique de civilisation, c’est renverser la donne de sorte que la réalité redevienne le résultat de l’action politique et n’en soit plus le primat. En tant qu’il professe l’efficacité de l’action, le sarkozisme nous fait passer d’une logique d’adaptation à une logique de transformation. Bref, il redonne du sens au politique.

En effet, depuis une quarantaine d’année, l’idée que « gouverner, c’est gérer », s’est peu à peu imposée au fil des présidences… La même séquence, répétée après chaque élection, avait fini par briser le ressort démocratique : le second Premier ministre des présidents ramenait aux réalités et sonnait le glas des espoirs de transformation qui avaient pourtant permis l’élection. Ainsi, après mai 68 – la révolution qui accoucha de Couve de Murville – la « nouvelle société » de Chaban s’est achevée avec Messmer, la « nouvelle ère » de Giscard avec Barre, le « changer la vie » de Mitterrand avec Fabius. Pour Chirac, point ne fut besoin d’attendre un nouveau chef de gouvernement. Six mois après son élection, on nous fit comprendre que la promesse de réduire la fracture sociale n’engagerait jamais que ceux qui y avaient cru.

Et voilà pourquoi, au fil du temps, la politique était devenue quasi-muette. Plus personne ne voulait plus croire en ses pouvoirs. Les réglementations de Bruxelles conjuguées aux déréglementations de la mondialisation semblaient avoir pris les commandes. Le « c’est-comme-ça » triomphait.

Comme ses prédécesseurs, l’actuel président de la République s’est fait élire en réussissant à faire croire qu’il pouvait sortir de ce déterminisme. Le parti pris fut maximal : « Ensemble tout devient possible. » Mais, à la différence de ses devanciers il continue de défendre cette même vision volontariste de la politique, neuf mois après sa victoire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout se passe comme s’il s’était lui-même pris au mot. Voilà un homme politique qui croirait en ses promesses.

Non pas qu’il se juge capable – lui et personne d’autre – de modifier les conditions d’exercice du pouvoir. Mais il pose comme postulat la liberté d’agir plutôt que l’obligation de s’adapter. Sa posture se fonde sur la conviction que la réalité des situations découle de l’action des hommes et non pas d’une surdétermination naturelle. C’est ce qu’il a explicitement affirmé dans ses vœux aux Français : « Je n’ai pas été élu pour m’incliner devant les fatalités. Du reste, je ne crois pas à la fatalité. » Ou encore dans son discours de Rome : « On ne subit pas l’avenir comme un fait. » Cette croyance se repère dans le séquençage en deux temps de la plupart de ses discours. Le premier pour constater une situation, le second pour affirmer la nécessité de la modifier.

Il s’agit là d’un choix clair entre deux visions du monde qui, en tant que posture philosophique, ne peut faire l’objet que d’un engagement a priori. Sur ce point, sa religion est ainsi faite. Il croit résolument en un monde sous emprise humaine. Croyance qui ne se conçoit qu’en posant une extériorité au monde au nom de laquelle cette emprise s’exerce. Même si son credo reste plus intuitif que cérébral, le chef de l’Etat est authentiquement monothéiste. C’est pour cela qu’il est, en définitive, peu probable qu’il évolue sur ce point. Cela surprend, fait causer et parfois inquiète. L’épreuve du pouvoir n’a pas ramené notre Président au bon vieux principe immanentiste de réalité. Vers quoi tout cela nous mènera-t-il ?

L’opinion reste perplexe. Sur le fond, elle ne demande pas mieux que de continuer à croire en l’aventure. Depuis qu’il est aux affaires, le débat politique a repris ses droits. Non pas celui entre droite modérée et gauche réformiste, mais celui sur les enjeux de civilisations. Le rapport que nos sociétés entretiennent avec la transcendance est redevenu une question débattue. Faut-il le regretter ?

Avec le chef de l’Etat, nous tentons une sortie de la post-histoire, celle où plus rien ne se passait, celle sur laquelle on n’avait plus de prise. Mais dans le même temps, l’audace inquiète. Si l’Histoire devait se remettre en marche, pense-t-on, ne ramènerait-elle pas le tragique dans ses soutes ? Et dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux revenir à la soumission d’un monde donné ?

Revenons à Sarkozy et retrouvons les problèmes et les questions. Quelle politique veut-il vraiment conduire après le réveil du Politique ? Sur ce point, le président reste en campagne. Et parfois en rase campagne. Car une chose est de rendre à l’action publique son sens, une autre est de définir le sens de cette action. Agir, oui. Mais pourquoi ? Et pour quoi ? Avoir des résultats ne suffit pas en soi. On peut trouver stupide la manie de l’évaluation. Il est, en tout cas, invraisemblable que les critères sur lesquels l’action des ministres pourraient être jugée n’aient été que partiellement rendus public. Vers quels rivages le chef de l’Etat veut-il conduire l’embarcation dont il prétend avoir repris les commandes ? Au nom de quoi prétend-t-il agir ? Et, au fait, puisqu’il invoque le Ciel, quel est son Dieu en vérité ?

Croit-il au libéralisme pour « remettre l’homme au cœur de la mondialisation » ? Soutient-il que l’étatisme a des vertus salvatrices ? A-t-il une idée des programmes qu’il conviendrait de diffuser sur une chaîne de télévision libre de publicité ? Et les racines chrétiennes de la France, faut-il les protéger ou les repeindre aux couleurs du communautarisme ? La France est dans le camp occidental, vient-il de rappeler devant les ambassadeurs. Mais l’atlantisme doit-il redevenir le principe de sa politique extérieure ?

Que pense Sarkozy, au fond ? Malgré (où à cause) de Guaino, on ne le distingue pas bien. Pour l’heure, l’agitation lui tient lieu de boussole, le mouvement permanent de direction, et sa personne de programme.

Après les premiers émois viendra le temps de la décantation. On verra alors si le couple qu’il veut former avec l’Histoire survivra au voyage de noces.

Dealer de krach

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La valeur n’attend pas le nombre des années. Les valeurs financières, non plus. Pour preuve, à 31 ans, le Français Jérôme Kerviel est suspecté d’avoir accompli le plus gros braquage du siècle en faisant perdre 4,9 milliards d’euros à la Société-générale-votre-argent-nous-intéresse. A vrai dire, il s’agit d’un braquage de Pieds Nickelés, puisque ni Croquignol ni Ribouldingue ni Filochard ne profitent du crime.

L’indélicatesse est certainement la pire faute qui soit. Celle, tout d’abord, de la Société générale qui n’a pas eu la politesse d’attendre que Jérôme Kerviel parvienne à une somme bien ronde. Avouez que 5 milliards, ça aurait fait moins mesquin qu’une décimale qui flotte.

A la rigueur, Kerviel aurait fait perdre 4 milliards et demi à la Société générale, passe encore. Mais ce petit dixième de milliard manquant, ça sent l’amateurisme ; ça ne fait pas très sérieux, pas très Financial Times ni International Business School : ça fait Arpagon du village, province, emprunt russe, magot de vieille douairière caché sous le matelas.

A l’heure où la France entre avec joie et allant dans la modernité d’un kennedyanisme triomphant (après Jackie, Marylin), cette triste affaire fait revenir sur le devant de la scène un pays à la Flaubert, où l’on chipote sur la décimale quand on aurait pu faire dans le beau, le rond et le gros milliard.

Il y a aussi l’indélicatesse des journalistes qui parlent de « trader fou » pour jeter un opprobre immérité sur Jérôme Kerviel. A-t-on jamais vu un trader sain d’esprit ? Un trader, par nature, c’est frapadingue, ça s’excite, ça vous pousse de petits cris aigus à la simple vue d’une calculette.

Avant de me marier avec Willy, je suis sortie trois ans avec un trader de Francfort. Une erreur de jeunesse. Quand il rentrait le soir à la maison, ôtait sa ridicule chemise bleue à col blanc et venait se coucher à mes côtés, il fallait que je lui susurre à l’oreille les parités du mark avec le yen, le dollar, la livre sterling, le franc et la lire, pour qu’il consente à se mettre en action (l’euro a dû simplifier le métier aux femmes de traders). Puis, quand il sentait approcher le moment le plus critique (et le plus délicieux) de l’acte, il se prenait à crier : « Ich kaufe, kaufe, kaufe, kaufe… » (J’achète) Il imitait tellement bien la locomotive avec ses « kaufe » à répétition que je suis certainement la seule femme au monde, avec quelques suicidées, dont on ne peut même pas dire que le train ne leur est pas passé dessus. Il a été interné depuis.

La troisième indélicatesse est celle des banquiers. Leur jalousie fait peine à voir : depuis quelques jours ils se répandent en mines attristées et parlent de Jérôme Kerviel comme du déshonneur de toute une profession…

Pensez ! A 31 ans, ce petit gars plein de promesses leur en a redonné à voir, eux qui se contentent de vous pourrir la vie pour cent euros de découvert non-autorisé, alors qu’ils pourraient avoir la décence de vous déranger quand votre découvert atteint les 4,9 milliards d’euros.

Le petit Jérôme m’a convaincue au moins d’une chose : demain, j’ouvre un compte à la Société générale. Ça le fera bien venir, le krach.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

La République et le rayon transcendance du supermarché

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Sans transcendance, point de valeurs : Nicolas Sarkozy l’a, en substance, affirmé au Vatican fin décembre. Dans la bouche du président de la République, de tels propos reflètent plus qu’ils ne le suscitent l’apparent retour en grâce de la religion dans la société française. Que ce revival soit entériné au plus haut sommet de l’Etat révèle une République résignée. L’Etat-nation semble en panne. Comme la religion, dont le président n’en finit pas de redécouvrir les vertus, il trimballe un passé de grandeur et d’infamies conjuguées. Il se révèle incapable de fournir le carburant du vivre-ensemble. A vrai dire, ce n’est plus le problème. Quel que soit le nom qu’on lui donne, on attend de l’instance paternelle qu’elle nous materne et nous prodigue du bien-être. Bonheur pour tous : on peut toujours espérer que la Providence va prendre le relais de l’Etat.

C’est dans cette perspective que s’explique un micro-fait passé largement inaperçu. Un intrus s’est récemment faufilé dans le palmarès des meilleures ventes 2007 : la Bible. A l’origine de ce succès commercial, on trouve la Société biblique de Genève qui a édité cette nouvelle traduction, mise en vente dans les librairies et supermarchés des pays francophones au prix de 1,50 €. Résultat : pas moins de 200.000 exemplaires vendus en France pendant les quatre derniers mois de 2007.

« Le trésor de l’humanité… au prix d’un café », annonce l’éditeur malin qui a avoué au Figaro qu’en plaçant sa marchandise dans la grande distribution, il cherchait « l’achat instinctif ». Cette opération de marketing très réussie a agacé les confrères envieux, donnant lieu à une querelle de chapelles agrémentée d’accusations d’intégrisme et de soupçons de financement opaque. Il faut pourtant s’interroger sur les raisons tel succès. Les Français se seraient-ils privés jusque-là de ce « trésor de l’humanité » à cause de son prix trop élevé ? Cet engouement biblique qui va de pair avec le succès des évangélistes et des communautés charismatiques, ou celui des messes pour « JP » (jeunes professionnels), est plutôt le signe du développement d’un marché des religions et spiritualités. Après le politique et le culturel, c’est au tour du religieux d’être happé par l’extension du domaine de la consommation.

Un animal politique aussi doué que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas rater ce phénomène. Son discours du Latran, en partie réitéré en Arabie saoudite, a fini par déclencher une polémique – quoi qu’avec un certain retard à l’allumage, la gauche a peut-être trouvé là un nouveau cheval de bataille. « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, a notamment affirmé Nicolas Sarkozy, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » Autrement dit, seule la religion peut fonder un système moral. Sans un super-flic pour le surveiller, l’Homme est incapable de rejeter le Mal, voilà, en somme, ce que nous a dit le président.

Nicolas Sarkozy est l’homme de l’instant, celui qui sait renifler l’époque. Il est capable de réconcilier « la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance » et le consumérisme effréné, le culte de marques qui finiront par tenir lieu de tout lien social. Son imaginaire semble être façonné par les dossiers « spécial riches » des hebdomadaires, où le « bonheur » est une jouissance intrinsèquement lié à l’argent.

La République a prétendu, et longtemps avec succès, à remplacer l’Eglise comme socle des valeurs positives, contre tous ceux qui ne voyaient en elle qu’un cadre politique, un réceptacle sans âme. Elle a su mobiliser les Français autour de la Nation, du mérite et de l’ascension sociale et plus encore, autour de la transmission de ces valeurs. (George Steiner évoque cette période où une moitié de la France enseignait l’autre). Depuis deux ou trois décennies, cette transmission s’est interrompue. La mort de Dieu annonçait celle du roi, de la loi, de l’autorité et enfin de tout ce qui pouvait se dire « Père ». Le besoin mal articulé de transcendance qui fait surface aujourd’hui n’indique pas, contrairement à ce que feignent de redouter les « laïcards » en guerre contre des ennemis imaginaires, la « sortie de la sortie de la religion » disséquée par Marcel Gauchet, mais la fin d’un cycle entamé en 1789. Plus besoin de tuer le Père puisqu’il est déjà mort.

Evidemment, Dieu n’a emporté dans son tombeau ni l’arbitraire ni la violence. Le XXe siècle nous a appris à rejeter radicalement l’un comme l’autre. Tant mieux. Il est cependant fâcheux que nous ayons tendance à les voir et les dénoncer partout. Après Auschwitz, on n’a plus le droit de flanquer une claque à un enfant gâté. Bref, nous avons renoncé à assumer et nous nous consolons dans la consommation. Le problème, c’est que les effets de cette drogue sont de plus en plus courts. Déjà vu, déjà fait, déjà porté, déjà usé – plus ça change, plus c’est pareil. L’écran géant ne suscite pas les mêmes émotions fortes que l’achat de la première télé il y a 45 ans.

Reste donc le consumérisme spirituel. Il a très peu à voir avec la religion et beaucoup avec le culte du « pouvoir d’achat », c’est-à-dire avec la certitude que le bonheur se trouve à cent, mille ou un million d’euros. Que l’offre soit gratuite ne change rien, le consommateur des religions est tout aussi avisé que son congénère matérialiste – quand ce n’est pas le même individu : il compare, picore, télécharge et « copie colle ».

Seulement, il n’y a aucune chance (ou aucun risque) que la consommation frénétique de religiosité fournisse le sens recherché. La République n’a aucune raison d’abandonner le terrain de valeurs. Nicolas Sarkozy a axé sa campagne sur la réhabilitation du volontarisme. Il prétend changer la réalité en profondeur. Qu’il soit celui de la volonté ou de la spiritualité, son discours sonne creux, peut-être parce qu’il émane d’un amateur de Rolex et autres chronographes qui coûtent trois ou quatre années de Smic. Le président devrait se rappeler que sa charge est un sacerdoce.

L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes

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Comment dites-vous en français ? « Cela m’a scié les jambes. » La Fédération internationale d’athlétisme vient de refuser à Oscar Pistorius de participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Pour quelle raison ? Ce Sud-Africain blanc comme un oeuf est-il un chantre de l’apartheid ? A-t-il des positions contraires aux hautes valeurs des Jeux Olympiques, valeurs si bien incarnées par la grande République populaire de Chine ? Non, il faudrait qu’il puisse d’abord y réfléchir – c’est un sportif. Son patronyme en est-il la cause ? Même pas : il y a beaucoup plus ridicule que « Pistorius » – enfin, il faut chercher longtemps, mais ça doit se trouver. Peut-être ne supporte-t-il pas le riz cantonnais, la corbeille aux cinq bonheurs et les nems – aller au chinois tous les jours, c’est quand même l’angoisse niveau transit ? Pas davantage.

Amputé des deux jambes, il est doté de deux prothèses en fibre de carbone qui, selon les autorités sportives internationales, constituent un « avantage mécanique évident ». Sans me vanter, je trouve qu’ils ont l’évidence un peu rapide et un peu mécanique à la Fédération internationale d’athlétisme.

Vous me permettrez de ne pas me vautrer dans le politiquement correct, mais il faut bien reconnaître une chose : le sens commun a plutôt tendance à plaindre un handicapé qu’à critiquer les avantages dont il serait pourvu. On plaint un sourd de ne pas pouvoir entendre Bach ; on l’envie rarement d’échapper à la musique de Stevie Wonder, à la tristesse duquel on peut toutefois compatir de n’avoir jamais vu le piano de Ray Charles.

D’accord, Oscar Pistorius bénéficie de scandaleux avantages. Il a, d’abord, une carte officielle et dûment tamponnée de « personne en situation de handicap » (le terme handicapé est bien trop hard à nos chastes oreilles parfois mal-entendantes comme un pot) : lorsque l’athlète sud-africain veut garer sa voiture devant le Auchan de Pretoria ou le Leclerc de Johannesburg, il est sûr de trouver une place aussi facilement que les époux Mandela. De même, quand il va retirer une lettre à la poste du Cap, la préposée acariâtre le fait passer avant tout le monde. Et au bureau de la Sécurité sociale de Bloemfontein, on lui fait des ronds-de-jambe à n’en plus finir devant des files de personnes valides et injustement traitées.

Mieux encore, je suis certaine que lorsque vous vous plaignez de vos cors au pied, Oscar Pistorius rit à votre nez avec l’insolence qui caractérise tous les culs-de-jatte. L’handicapé est moqueur : on sait ça, à la Fédération internationale d’athlétisme.

Les handicapés, éclopés et gueules cassées bénéficient de tant d’avantages que cela vous inciterait à vous faire amputer de quelque chose : les jambes, les bras, la tête, alouette, enfin quelque chose d’inutile. C’est une évidence. Pourtant, ce n’était pas une raison pour que les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme nous piquent une petite crise de jalousie et la règlent en se vengeant : « Quoi, Oscar, t’as perdu tes jambes ? Ça t’apprendra à ne pas ranger tes affaires. »

La décision est d’autant plus sévère et injuste que chez les organisateurs des Jeux Olympiques on n’a jamais été très regardant en matière de prothèses… Certes, j’exagère un peu : outre les roudoudous d’acier dont se plaignaient Kornelia Ender et Karen Koenig, ce n’était pas des prothèses qu’arboraient crânement les nageuses de l’ex-RDA. Leur « avantage évident », dont elle pouvait aisément se servir comme d’un gouvernail, poussait très naturellement entre leurs cuisses. A cause de l’eau chlorée des piscines.

Il ne reste plus à Oscar Pistorius qu’à s’inscrire aux Jeux Handisports. Mais qu’il soit prévenu une fois pour toutes : on lui ôtera ses prothèses en carbone pour lui visser au cul deux belles jambes de bois. En chêne, c’est plus solide. Non mais ! On ne va pas laisser un cul-de-jatte doté « d’avantages mécaniques évidents » ridiculiser nos valeureux sportifs de haut niveau qui n’ont, eux, à leur disposition que des avantages chimiques évidents.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Rony Brauman contre l’humanitaire spectacle

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Rony Brauman, né à Jérusalem en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, il est devenu président de MSF en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il est actuellement directeur de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières et professeur associé à l’IEP Paris. Il est chroniqueur pour le magazine trimestriel Alternatives Internationales. Ses principales publications Eloge de la désobéissance (avec Eyal Sivan), Le Pommier-Fayard, 1999, édition Poche-Pommier, 2006, Penser dans l’urgence, (entretiens avec Catherine Portevin), Le Seuil, 2006, La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France, (avec Alain Finkielkraut, conversations avec Elisabeth Lévy), Mille et Une Nuits, 2006 et Aider, sauver, pourquoi, comment ? Petite conférence sur l’humanitaire, Bayard, 2006.

« Quand les caméras seront parties, il ne restera que la misère » : pendant les « semaines de la compassion » qui ont suivi le Tsunami en décembre 2004, vous avez été atterré par cette phrase, prononcée par un journaliste ou un autre professionnel du bon sentiment. L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle l’aboutissement logique de l’évolution de l’humanitaire ?
A la faveur de circonstances particulières, le langage humanitaire a pu arriver jusqu’à ce point de folie. Mais, effectivement, ce langage-là, on l’a déjà entendu en d’autres moments, et notamment après le tsunami en Asie du sud-est. On disait alors que des milliers d’orphelins erraient dans les rues, risquant de devenir les proies de rackets pédophiles. Et déjà, des initiatives avaient été lancées en vue de favoriser les adoptions. Heureusement, tout cela avait rapidement tourné court. Mais l’état d’esprit, le cadre, la matrice étaient là. Je pense aussi à un épisode de la guerre en Bosnie : une ONG avait décidé d’amener en France mille enfants bosniaques pour qu’ils passent un hiver à l’abri des bombes. Avec d’autres, notamment les gens de Handicap International, j’avais pris position contre ce projet totalement stupide. Sans succès. En réalité, ces enfants n’étaient pas sous les bombes et surtout, le traumatisme de l’arrachement à la famille et l’angoisse de l’abandon étaient plus violents que le maintien sur place, même dans une situation si dure que la guerre de Bosnie. Bien entendu, nous étions passés pour de mauvais coucheurs qui n’aiment pas les enfants et se fichent de les laisser sous les bombes. Autre exemple, au début des années 90 : des familles en attente d’adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n’étaient pas nécessairement des orphelins. C’était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l’âge, la taille la couleur des yeux. On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines, parce que quelque chose n’allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication. Ils réclamaient le service après-vente. Avec les cas de ce type, on est dans la marchandisation humanitaire intégrale. Tout cela pour dire que l’Arche de Zoé ne sort pas de nulle part et que l’aspect adoption y est important. D’ailleurs, le Congo a décidé d’interdire les adoptions internationales à la suite de cette affaire.

Tous ces cas, le tsunami, les épisodes bosniaque ou roumain que vous mentionnez ou l’Arche de Zoé mettent en jeu deux vaches sacrées de l’époque : l’humanitaire et l’enfance. L’humanitaire se préoccupe des victimes et l’enfant, en quelque sorte, est la victime idéale puisqu’il est innocent (ou a de grandes chances de l’être).
L’idée que, dans une situation de crise, quelles qu’en soient l’origine et la nature, il y a des enfants menacés qu’il faut sortir de là, s’accorde naturellement avec la frénésie d’adoption que l’on sent dans nos sociétés – et je ne prétends pas la juger. L’Arche de Zoé n’a donc eu aucun mal à rassembler un large groupe de familles en jouant sur l’ambiguïté d’un accueil qui pouvait se transformer ultérieurement en adoption. Ses dirigeants n’ont eu qu’à intervenir sur des forums de parents adoptants. Toute leur opération reposait sur la conviction qu’arracher un enfant à l’horreur du quotidien dans lequel il vit, c’est lui donner le bonheur et la sécurité. Or cette horreur n’est pas si évidente que cela et une telle affirmation est la porte ouverte aux abus de toute sorte. On le voit aussi en France quand les familles les plus vulnérables se voient systématiquement retirer leurs enfants par l’assistance sociale. Il existe un continuum entre toute ces formes de protection de l’enfance par des familles, des gens, des institutions qui veulent être à tout prix les protecteurs de l’enfance, y compris au détriment des enfants eux-mêmes.

En somme, dans les zones de guerre ou de crise, et notamment dans ce no man’s land imaginaire qu’est l’Afrique, tout enfant est un orphelin ou un malheureux en sursis. Et en Occident, l’enfant est un droit de l’homme.
Oui. Tout se passe comme si ne pas avoir d’enfant constituait un déni de droit. L’enfant est un bonheur auquel chacun a droit. Notre président ne vient-il pas de rappeler que chacun a droit au bonheur ?