OTAN: les grandes manoeuvres


OTAN: les grandes manoeuvres
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Manifestation basque anti-OTAN. Sipa. Numéro de reportage : AP21032389_000004.

La Pologne organise tous les deux ans un grand exercice militaire auquel elle a donné, cette année, avec l’appoint des Etats-Unis, une importante dimension. En 2014, le même exercice avait rassemblé 10 000 soldats polonais et seulement 800 militaires de diverses autres nations. En 2016, depuis le 7 jusqu’au 17 juin, ce sont les forces armées de 24 Nations participantes (dont 19 de l’OTAN) regroupant 31 000 soldats (12 000 Polonais, 14 000 Américains, 800 Britanniques et des représentations bien moindres des autres Nations), 3 000 véhicules, 105 avions et 12 navires, qui s’entrainent ensemble et font une démonstration de force, politique d’abord, militaire ensuite, face à la Russie. Ces troupes affrontent un pays imaginaire, « l’Union Rouge » qui développerait une stratégie agressive sous la forme de guerre hybride. Au mois de mai 2016, l’OTAN a de son côté, conduit, avec 5 000 parachutistes et l’apport de la France cette fois-ci, l’exercice annuel Swift Response avec pour objectif de démontrer la capacité des forces aéroportées de l’Alliance atlantique de se déployer en moins de 18 heures, face à une agression en Pologne et en Allemagne.

Incompréhension atlanto-russe

Pour l’OTAN, et les pays qui participent, ces exercices s’inscrivent dans une série de manœuvres militaires destinées à montrer leur détermination à assurer la défense collective de l’Europe. La forte présence américaine est vue comme une « réassurance » et se manifeste tout particulièrement en période de tension. Ainsi à l’automne 2015 déjà, l’exercice de l’OTAN Trident Juncture avait concerné 36 000 hommes, 60 navires et 200 avions, manœuvrant de façon concertée de la Norvège au Portugal. Naturellement, ces démonstrations de forces agacent la Russie qui apprécie peu la mobilisation politique et le contentieux de défiance qui les sous-tend.

Car, entre les pays de « l’occident transatlantique » et la Russie, l’incompréhension et la mésentente se creusent avec constance. L’affaire Ukraine/Crimée n’est qu’un épisode d’une dynamique contentieuse enclenchée il y a plus de 15 ans : élargissement de l’OTAN aux pays de l’est européen (1992-2009) et promesse d’accueillir aussi Géorgie et Ukraine (sommet de Bucarest – 2008) vues comme des menaces directes par Moscou ; guerres Russo-Tchétchénes (1994-1996 et 1999-2000) vertement critiquées par l’Occident ; guerre du Kosovo (1999-2016 – l’OTAN est toujours présente dans ce pays) puis reconnaissance par une centaine de pays du Kosovo comme État indépendant, ressenties comme un déni du droit international par la Russie ; « révolutions de couleurs » (Géorgie, 2003 ; Ukraine, 2004 ; Kirghizistan) attribuées au soutien américain par la Russie et enfin la création d’un bouclier anti-missile par l’OTAN (Lisbonne, 2010) pour couvrir l’Europe vue comme une menace à l’équilibre dissuasif par Moscou. Il y a donc d’abord un premier cercle de tensions géopolitiques entre « l’occident transatlantique » et la Russie en raison de ce que Moscou voit comme une ingérence dans son « étranger proche ».

La Russie n’a gagné que des victoires à la Pyrrhus

Mais il y a un deuxième cercle de tensions, plus large, plus profond, dans lequel l’Europe n’est qu’un levier, entre les États-Unis et la Russie. Il est sous-tendu d’un côté par la volonté des États-Unis de conserver la domination multiforme et sans partage qu’ils exercent sur le monde, de l’autre par la volonté du président Poutine d’instaurer une gestion « multilatérale » des relations internationales. Ce dernier reproche aux États-Unis leur aventurisme militaire en Afghanistan, en Irak, en Libye ; leur domination économique et financière ; leur refus de toute concertation dans la gestion de la stabilité mondiale et leur jeu équivoque avec les instances de l’ONU. Les États-Unis ripostent par la dénonciation du mode de gouvernance de Poutine ; l’accusation de vouloir reconstituer l’empire territorial soviétique par les annexions ; la mise en avant de l’effort militaire russe. Dans ce bras de fer, la Russie n’a gagné que des victoires à la Pyrrhus : la crise ukrainienne a été habilement refermée sur elle et l’a isolée de l’Europe aux plans des échanges économiques et technologiques ; les États-Unis sont en passe de retirer le meilleur bénéfice de l’engagement russe en Syrie ; les BRICS, sur lesquels Poutine comptait pour contrebalancer l’hubris américain sont, à part la Chine et l’Inde, en capilotade économique et politique.

L’affrontement va donc continuer, car écarter la Russie, tout au moins celle de Poutine qui lui résiste, est un objectif central de la stratégie américaine, avant le grand affrontement avec la Chine. Mais avec elle, il lui faudra savoir composer plus habilement. Il n’est pas sûr que s’être aliéné la Russie avant cette échéance majeure soit la meilleure des options. Mais, à l’égard de la Russie, un courant très fort aux États-Unis veut « finir le job » comme disait Georges Bush et les Neo-Conservateurs de l’Irak de Saddam Hussein. En tous les cas, pour l’Europe, s’éloigner de la Russie est l’option qui lui ôterait toute possibilité de jouer un rôle d’arbitre et de s’inclure elle aussi dans un ordre multilatéral du monde. Dans ce bras de fer, il vaudrait mieux être arbitre que levier.



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est Général de division (2° S) et consultant défense et relations internationales

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