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Un ministre trop pressé

... ou une loi liberticide


Un ministre trop pressé
Les fichiers informatiques des brigades anti-Covid 19 d'Olivier Véran inquiètent quant au secret médical Thibault Camus-pool/SIPA Numéro de reportage : 00956970_000003

Bien qu’il prétende le contraire, c’est un raté pour Olivier Véran ! Son nouveau texte sur l’état d’urgence sanitaire n’avait pas été promulgué à temps. Le Conseil constitutionnel, saisi trop tard, n’a pu rendre son avis que ce lundi soir, alors que le déconfinement était déjà en vigueur. Au delà de ce contre-temps malheureux pour l’exécutif, le dispositif du “contact tracking” (et les brigades angéliques afférentes) doit nous inquiéter. Que deviennent le secret médical et nos données personnelles avec un tel dispositif?


On s’est inquiété de l’atteinte à nos libertés que représentait la loi d’exception sanitaire : avec raison. 

Car le vote au Sénat et à la Chambre de la prolongation de cette loi, ainsi que celui de l’article 6 qui prévoit la dérogation temporaire à l’article L1110-4 du code de santé publique, fait voler en éclat deux droits fondamentaux bien au-delà du problème de la pandémie.

La nouvelle loi sur l’état d’urgence sanitaire instaure un «contact tracking» mettant à mal le secret médical

L’opération « Contact covid » met en place, en effet, un maillage informatique pour casser la chaîne de transmission du virus. Vous parlez un quart d’heure avec un client d’affaires contaminé ou avec votre ami testé positif au Covid ? Vous êtes contacté dans les sept jours par une brigade (« brigade angélique » tel est son nom de baptême) qui prend sous ses ailes le cas contact que vous êtes devenu. Deux fichiers sanitaires sont donc créés : le SI-DEP et le Contact-Covid. Ces fichiers, accessibles à des personnes qui ne sont pas des professionnels de santé, et donc non astreintes au secret médical, « partagent » leurs données sans le consentement des personnes concernées. Impossible d’entrer ici dans le labyrinthe de cette traque informatique baptisée, pour l’occasion, « contact tracking » : nous renvoyons au site Slate. Qu’il suffise de savoir que ce « contact tracking » touche des personnes « potentiellement malades » et qu’une bureaucratie digne du Château de Kafka est mise en place.

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Comme l’avait dit très tôt Laurent Lantier, chef de service à l’hôpital Georges Pompidou, cette loi fait donc voler en éclats le secret médical : une première dans notre droit. Elle contrevient également au principe du consentement de l’intéressé, même si le fichier nominatif du SIDEP sera « anonymisé » ou plutôt « pseudonymisé », selon le néologisme d’Olivier Véran, quand les données seront utilisées, au-delà du délai d’application de la loi, en vue d’une surveillance épidémiologique [tooltips content= »Ces données informatisées sur quelqu’un qui n’est pas malade peuvent donc être gardées au-delà de trois mois jusqu’à 9 mois. Quand il y aura des fichiers mis en relation les uns avec les autres, qui pourra maîtriser l’ensemble ? Il ne s’agit pas de cocher une case en écrivant, à la main, positif au virus. Le problème est celui du fichage informatique de quelqu’un qui ne serait pas malade sans le lui faire savoir NDLA »](1)[/tooltips]. De quoi se poser des questions, qu’il ne suffit pas d’écarter d’un revers de micro, au prétexte que le site informatique d’Amélipro existe depuis des années. Quant à la faisabilité de ce processus et à son coût (la rémunération du médecin, par exemple, pour une consultation covidienne), bienvenue au royaume d’Absurdie !

Évidemment, c’est le fichier informatisé qui suscite interrogations et inquiétudes. Qui dit que cette loi, pur produit de l’informatique, ne sera pas employée à d’autres fins que la pandémie ? Le député républicain du Haut-Rhin, Raphaël Schellenberger, avait interpellé, à la Chambre, vendredi 8 mai, le ministre: « Vous prenez les Français pour des gens qui ne connaissent rien à l’informatique ! Que faites-vous des métadonnées ? » Bien sûr que les outils de surveillance du Covid survivront à la pandémie ! Interrogé sur la sécurisation des données, leur hébergement, leur traitement, le ministre, comptant sur la séduction de son verbe, s’était lancé dans la lecture accélérée d’une listes de mesures et de dispositions ubuesques. Le député Coquerel eut ce mot : « Plus vous donnez de données, plus je suis inquiet sur ce fichier ».

Objectif lundi

Tout devait être bouclé pour lundi. Le ministre y était allé tambour battant. Sûr de son fait et de lui-même, il avait un parler cash  et décontracté : « la réa, la consult’, le boulot, le truc qui marche du tonnerre, le live, on est dans le off pas dans le in, » etc. Pas de temps à perdre ! Il n’était pas homme à avoir le baby blues si on raccourcissait le temps d’urgence sanitaire ![tooltips content= »Les données informatisées du dispositif sur quelqu’un qui n’est pas malade pourraient être gardées au-delà de trois mois jusqu’à 9 mois, ce qui avait fait dire à Véran qu’il n’aurait pas « le baby blues » si on les détruisait avant NDLA »](2)[/tooltips] Il tordait le cou aux arguments avec son micro. Il violait la loi Toubon avec plaisir. Il avait un fou rire. Bref, il était en marche. N’empêche, il avait mis l’auditoire sous pression voire sous menace. Ou bien les Français choisissaient le tracking ou bien ce serait le confinement généralisé. Pendant que je parle, avait-il dit en substance, il meurt quatre Français. Vous dites, Monsieur le député, que je regarde mon portable pendant que vous parlez ? Il ne vous a pas échappé que je suis au four et au moulin ? Je venais de recevoir un message d’un directeur d’hôpital. Une centaine d’amendements étaient ainsi passés au tourniquet. Le timing était respecté. Le vote acquis avec les félicitations de députés dociles LREM ou écolos. Avec Olivier Véran, le monde d’avant était revenu : le bonheur !

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Le ministre s’exprime bien. Il « connaît ses dossiers ». Mais à sa place, je serais moins pressé. On a tous en mémoire la communication floutée de la suite bergamasque, pour ne pas dire ses pieux mensonges. On se souvient des trains fantômes « Les Pangolin Express » jamais arrivés à destination avec leurs cargaisons. La France « est prête pour tester massivement » a assuré le ministre. Vraiment ? Qui peut croire à cette traque nationale dans la chasse au virus « pour le bien commun » ? N’est-ce pas plutôt une nasse informatique que l’on jette sur notre pays avec un projet de loi liberticide ?

La loi votée le 10 mai, à la Chambre, en accord avec le Sénat, portant atteinte à notre vie privée qui devait entrer en vigueur le jour du déconfinement, n’a pas été promulguée à temps. Retard providentiel dû au président Macron qui a saisi le Conseil constitutionnel. Sagesse ! comme on dit à la Chambre.

Le Conseil constitutionnel vient de rendre, le 11 mai, dans la nuit, un avis express validant la prolongation de l’état d’exception. Concernant l’article 6, qu’Olivier Véran voulait faire passer dans la foulée, le Conseil censure les dispositions relatives au secret médical et au respect de la vie privée tout en émettant sur certains points des corrections ou des  réserves d’interprétation. Notre impétueux ministre ne s’est pas avoué vaincu : « Ce n’est pas un raté. » assure-t-il. Quelle « énorme aventure parlementaire c’était de faire passer pareille loi en sept jours ! » En effet. Quoi qu’il en soit, l’article 6 du projet de loi est en partie rétoqué. Il faut que le ministre revoie sa copie. Quant à nous, la seule chose à souhaiter, c’est de ne pas faire partie des « cas contacts » d’un covidé. De nous en remettre à notre Ange Gardien. Et d’être plus que jamais vigilant vis-à-vis d’un Parlement désordonné.



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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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