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Le Quai d’Orsay et la rue arabe

La France a annoncé des sanctions contre les "colons" juifs "extrémistes"


Le Quai d’Orsay et la rue arabe
Hébron, Cisjordanie, 11 février 2024, Manifestation de membres du Croissant rouge © HAZEM BADER / AFP

Le Quai d’Orsay est-il bien le ministère des Affaires étrangères? Liliane Messika procède à quelques rappels historiques utiles, après la lecture d’un communiqué du gouvernement français concernant les violences des Israéliens en Cisjordanie.


Le Quai d’Orsay est bien le ministère des Affaires étrangères ? Pourtant, c’est à la rue arabe et à ses soumis hexagonaux qu’il a adressé un communiqué le 13 février 2024 : « La France adopte des sanctions à l’encontre de colons israéliens extrémistes qui se sont rendus coupables de violences contre des civils palestiniens en Cisjordanie. À ce titre, 28 individus sont visés par une interdiction administrative du territoire français. (…)
La colonisation est illégale en droit international et doit cesser. Sa poursuite est incompatible avec la création d’un État palestinien viable, qui est la seule solution pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent vivre, côte à côte, en paix et en sécurité »[1].

Tout est calibré pour une lecture antisioniste : le choix des mots est un code compris par ceux qu’il vise à apaiser, comme par ceux qui endureront les violences induites. Quant au poids des faux, il pèsera sur les manifestations antisémites, déjà multipliées par 1000 depuis le 7 octobre, dans notre pays.

Explication de texte

« Cisjordanie » est déjà un maître-mot. Il désigne la partie occidentale du Jourdain, que le royaume hachémite de Jordanie avait illégalement annexée lors de la guerre contre Israël, le 15 mai 1948, quand il a déclaré son indépendance vis-à-vis de son colonisateur britannique.

Lorsque Israël l’a reconquise en 1967, ses habitants avaient une carte d’identité jordanienne. Mais en 1970, l’OLP[2] ayant tenté, une fois de trop, d’assassiner le roi Hussein, celui-ci lança l’opération « Septembre Noir », qui tua entre 3500 et 10 000 fedayin et en blessa 110 000 selon les terroristes. Des sources plus fiables parlent de 3500 morts et 10 000 blessés.[3] Les fauteurs de troubles furent expulsés et partirent à Tunis. En 1988, le roi amputa ce membre de son royaume et supprima les cartes d’identité à ses habitants. Les négociations avec Israël étaient probablement déjà engagées, car lorsque le traité fut signé, en 1994, la Jordanie refusa de récupérer ce territoire, arguant qu’elle y avait déjà renoncé et laissant à l’État juif le soin de négocier avec le représentant des ex-Jordaniens, Yasser Arafat.

Jusqu’en 1948, « Judée-Samarie » était l’appellation officielle de cette contrée, y compris dans la Résolution 181 de l’ONU, qui délimita, en 1947, le partage de la Palestine mandataire (exception faite de la Jordanie, déjà constituée en État arabe par les Britanniques en 1922).

À partir de 1967, elle devint « West Bank » (rive ouest) en international dans le texte, et Cisjordanie en langue politique arabe de la France.

Dans le même registre, « colons israéliens extrémistes » est le chiffon rouge qui acte que la France a adopté le narratif palestinien. Elle n’use d’ailleurs du vocable « extrémiste » que contre les Juifs : même les pogromistes du 7 octobre n’y ont pas eu droit.[4]

Alors que l’anglais nomme les villages juifs dans les territoires disputés « settlements », implantations, le Quai d’Orsay utilise le mot « colonies », connoté « occupation française de l’Algérie ». Le sous-entendu est bien entendu : pour la rue arabe de France et ses idiots utiles de l’extrême gauche antisioniste, tout Israélien est un colon, donc un extrémiste, donc un salaud à abattre, l’objectif étant d’en libérer « toute la Palestine du fleuve à la mer ».

[5]

Ceux qui ont inventé ce slogan savent très bien qu’ils parlent de l’intégralité du territoire entre la frontière Est d’Israël, le Jourdain et sa frontière Ouest, la mer Méditerranée. Ceux qui le répètent ignorent souvent de quelle mer et de quel fleuve il s’agit, mais ils comprennent que c’est un synonyme de « Mort aux Juifs ! »

Il ne viendrait pas à l’esprit des premiers de qualifier de colons les 2,1 millions d’Arabes israéliens qui vivent en Israël. Ces citoyens ne risquent aucune violence de la part de leur entourage juif. Les seconds l’ignorent et de toute façon, ils trouveraient que « cépapareil ».

Les partis arabes du pays de l’apartheid

Les députés arabes de la Knesset, le parlement israélien, se plaignent souvent de la violence qui règne dans leurs localités[6] et reprochent au gouvernement de ne pas y mettre le holà avec assez d’énergie.[7]

Si on ne connaissait pas le tropisme palestinolâtre du Monde, on se demanderait pourquoi, quand il en parle, il retire leur nationalité à ces citoyens israéliens en les appelant « Palestiniens d’Israël », alors qu’une majorité d’entre eux est opposée à l’idée de devenir des citoyens palestiniens : « Au sein de l’échantillon arabe, la part des chrétiens et des druzes qui se sentent partie prenante de l’État d’Israël (84%) est nettement plus élevée que celle des musulmans (66%), mais cette part constitue toujours une majorité importante dans tous les groupes religieux. Une ventilation par âge montre que la plus forte augmentation du sentiment d’appartenance à l’État d’Israël et à ses problèmes concerne la cohorte la plus jeune, âgée de 18 à 24 ans (juin, 44 % ; novembre, 70 %) »[8].

A lire aussi: Le 7 octobre et après

Les Israéliens ayant rendu coup pour coup à ceux des Palestiniens qui, jusqu’alors, les attaquaient en toute impunité, sont traités avec sévérité par leur Justice. Comme l’avait été Salah Hamouri, « avocat franco-israélien prisonnier politique » en français et « condamné pour tentative d’assassinat d’un rabbin et participation à un mouvement terroriste » en hébreu. La rue arabe de plusieurs banlieues françaises voulait faire de lui un citoyen d’honneur. Mais quand il a été expulsé d’Israël et qu’il est arrivé sur le sol français, elle s’est vigoureusement indignée de ce qu’elle a appelé une « déportation ».

Les coupables israéliens de déprédations sur des villages palestiniens sont en prison en Israël et rien n’indique qu’ils aient envie de venir goûter l’antisémitisme hexagonal. Le communiqué du Quai d’Orsay leur interdisant l’accès à notre pays est donc purement symbolique.

« La colonisation est illégale en droit international et doit cesser »

Colonisation : « constitution, à une assez grande distance d’une métropole, d’un établissement permanent, échappant à l’autorité des populations indigènes et demeurant dans la dépendance de la métropole d’origine »[9]. Depuis quelle métropole lointaine le peuple juif aurait-il créé un établissement permanent, échappant à l’autorité des populations indigènes ? Et qui, à part lui, sont ces populations ?

Les « réfugiés palestiniens », eux, n’ont qu’à revendiquer un ancêtre qui y a vécu deux ans pour avoir le label. Ils sont les descendants « des personnes dont la résidence normale était la Palestine pendant la période du 1er juin 1946 au 15 mai 1948, et qui ont perdu leur foyer et leurs moyens de subsistance à la suite du conflit de 1948 »[10].

Bien que le processus de paix soit en panne, le pacte toujours en vigueur entre Israël et les Palestiniens est le traité des Accords d’Oslo : « Oslo II, article X.2 : Les nouveaux redéploiements des forces militaires israéliennes vers des sites militaires spécifiés commenceront après l’inauguration du Conseil et seront progressivement mis en œuvre à la mesure de la prise en charge de l’ordre public et de la sécurité intérieure par la police palestinienne… Oslo II, Article XI.2.e : Au cours des nouvelles phases de redéploiement, qui seront achevées dans les 18 mois suivant la date de l’investiture du Conseil, les pouvoirs et les responsabilités en matière de territoire seront progressivement transférés à la juridiction palestinienne qui couvrira le territoire de la Cisjordanie  et de la Bande de Gaza, à l’exception des questions qui seront négociées dans le cadre des négociations sur le statut permanent »[11].

Ce que les Français appellent « colonies » fait partie des questions qui doivent être discutées pour les échanges territoriaux permettant de dessiner « des frontières sûres et reconnues » selon les termes de la Résolution onusienne n°242. Les « colonies » sont peut-être haram[12], mais elles ne sont pas illégales au regard du droit international.

« Sa poursuite est incompatible avec la création d’un État palestinien viable »

Pourquoi la France estime-t-elle l’existence de villages juifs incompatible avec un État palestinien, alors qu’elle trouve normale celle des villages arabes dans l’État juif ? Le 7 octobre 2023, cela faisait 18 ans qu’il n’y avait plus un seul juif, donc a fortiori aucune « colonie », dans toute la Bande de Gaza. Le Hamas y régnait sans limite. Ce qui a mis en danger cet État palestinien de facto, c’est son attaque du territoire israélien pour procéder aux massacres que l’on sait, pas la présence d’une quelconque présence juive. A contrario, lorsque la paix a été signée entre l’État juif et l’Égypte en 1979, les Israéliens, qui avaient construit des villages dans le Sinaï après 1967, ont été rapatriés dans Israël intramuros. Les réfractaires ont été évacués de force par Ariel Sharon, Premier ministre de l’époque, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, mais que leurs parents haïssaient avec autant de passion qu’ils exècrent Netanyahou.

La République française a plus de choses en commun avec la démocratie israélienne qu’avec les républiques islamiques qui pratiquent la charia et le nettoyage ethnique. Pourquoi nos dirigeants sont-ils les derniers à s’en rendre compte ?


[1] www.liberation.fr/international/violences-en-cisjordanie-la-france-sanctionne-28-colons-extremistes-20240213_ZUHI2UKCWFGGNPIJ7L7LVP733M/

[2] Organisation de Libération de la Palestine,  créée à Moscou et inaugurée en 1964 à Jérusalem.

[3] Hamit Bozarslan, Une histoire de la violence au Moyen-Orient : de la fin de l’empire ottoman à al-Qaida, Paris, la Découverte, 2008, page 81.

[4] www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/actualites-et-evenements/2023/article/attaques-terroristes-contre-israel-declaration-de-la-porte-parole-du-ministere

[5] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2022/10/24/la-dynamique-sactive-pour-la-marche-en-faveur-du-retour-et-de-la-liberation-rejoignez-nous-a-bruxelles/

[6] https://en.idi.org.il/articles/33553

[7] www.lemonde.fr/international/article/2023/08/28/chez-les-palestiniens-d-israel-le-fleau-du-crime-organise_6186773_3210.html

[8] Sondage de novembre 2023 : https://en.idi.org.il/articles/51431

[9] www.larousse.fr/encyclopedie/divers/colonisation/35279

[10] www.unrwa.org/palestine-refugees

[11] https://web.archive.org/web/20151001040405/http://israelipalestinian.procon.org/view.background-resource.php?resourceID=000921

[12] Haram = licite selon le Coran. « Les Juifs n’ont pas le droit de souiller la mosquée al-Aqsa de leurs pieds dégoûtants ». Vidéo de Mahmoud Abbas : https://www.memri.org/tv/palestinian-president-mahmoud-abbas-jews-have-no-right-defile-al-aqsa-mosque-their-filthy-feet




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essayiste, conférencière, traductrice, auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient

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