LDJ: Juifs et méchants?


LDJ: Juifs et méchants?

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Voilà qui commence bien. Contacté par l’intermédiaire de Pierre Lurçat – un ancien du Tagar (un mouvement de jeunesse sioniste) et essayiste qualifié par certains de « spécialiste de l’islamisme » –, un membre de la malfamée Ligue de défense juive qui se fait appeler Moiszek Kahana m’écrit : « Sachez que nous n’avons aucune confiance dans  les journalistes ou blogueurs amateurs et qu’elle ne s’acquière pas. Vous vous intéressez à notre mouvement, je vous réponds mais notre échange sera toujours fondé sur ce paradoxe : l’impossibilité de créer une relation de confiance et mon accord pour répondre aux questions, en gardant à l’esprit que votre papier ne nous sera pas favorables. J’espère ne pas apprendre que certains de nos militants auraient accepté d’échanger avec vous sans nous en avoir avisés. Combien de personnes avez-vous déjà contactées ? (sic et resic…) » En vacances, Moiszek m’envoie son mail depuis Jérusalem, « capitale de l’État juif », comme il n’omet pas de le préciser, promettant néanmoins de m’appeler à son retour en France. Deux jours plus tard, je reçois un appel depuis un numéro masqué. Sans autre forme d’entrée en matière, une voix jeune et grave m’informe m’accorder un entretien en dépit du fait que « Causeur est un canard de gauche ». Se pourrait-il que Moiszek soit tellement à droite que son sens de l’orientation en politique soit quelque peu brouillé ? Il ne l’exclut pas, mais affirme avec fermeté n’avoir jamais donné sa voix au FN : « Au petit-fils de déportés que je suis, cela paraît tout simplement inconcevable. » [access capability= »lire_inedits »]

Décriée comme extrémiste, raciste, anti-Arabe, voire « criminelle » et « fasciste », la LDJ décevrait sans doute ses pires détracteurs s’ils se donnaient la peine de reconnaître sa vacuité idéologique – à la mesure de sa faiblesse numérique : elle ne compterait guère plus d’une soixantaine de « militants ». En pleine rédaction d’un ouvrage consacré à l’histoire des mouvements d’autodéfense juive en France depuis 1967, et réfutant la parenté avec la LDJ que lui imputent plusieurs sources, dont le site Wikipedia, Pierre Lurçat tient à souligner qu’« il n’existe aucun lien hiérarchique ou organisationnel entre la Jewish Defense League américaine et la LDJ française, qui a repris son logo, sans adhérer totalement à l’idéologie kahaniste ». En substance, la seule doctrine de la LDJ serait celle de l’« autodéfense », également mise en exergue par d’autres mouvements juifs, y compris de gauche, comme le Comité de liaison des étudiants sionistes socialistes (CLESS), actif dans les années 1970. Admettons. Sans oublier toutefois que le choix des symboles et des références engage. Assassiné à New York en 1990, Meir Kahane prônait l’expulsion aussi bien des Arabes israéliens que des Palestiniens, la réaffirmation de l’identité juive et l’émigration massive des juifs vers Israël. Des objectifs toujours en vigueur selon David Reinharc, patron du Betar, la mouvance-sœur de la LDJ, mais qui se targue, elle, d’un supplément d’âme conceptuel qui la rattache aux idées de Vladimir Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne. Une nuance difficile à saisir pour les profanes, mais habilement synthétisée par le politologue Jean-Yves Camus, qui met en garde contre l’amalgame facile entre l’extrémiste LDJ et le Betar, dont sont issus, outre Menahem Begin et Yitzhak Shamir, de nombreux députés de la Knesset et des cadres dirigeants du Likoud. Confondre les deux, rappelle le chercheur, en les disqualifiant sous l’étiquette commune de phalange juive d’extrême droite, conduit à négliger un fait important : « La naissance en France d’un véritable courant néoconservateur juif, prenant réellement son essor dans les années 2000 (…), qu’il convient de prendre au sérieux comme acteur de la vie intellectuelle. » On croirait tout comprendre si David Reinharc n’avait pas signé l’Appel du printemps incitant à voter François Hollande en 2012. Passons. L’essentiel est ailleurs, à savoir dans le volet « autodéfense », pointé du doigt par les pacifiques supporteurs de la cause palestinienne.

Moiszek n’en démord pas : « Nous sommes des guerriers. Mais nos militants n’ont pas besoin d’un sigle ou d’un drapeau pour infliger une correction aux jeunes antisémites qui expriment leur haine du juif dans les quartiers devenus des zones de non-droit. » Que dire pour éviter de plagier Christophe Barbier dans une récente livraison de L’Express : « L’esprit de milice est une déchéance, et confier son sort à des nervis, c’est nourrir la violence, en accepter la pérennité et considérer qu’elle est désormais le registre dominant de la société française» Si je persiste à croire qu’en effet la violence n’est pas (encore) le registre dominant de la société française, je n’oserai l’affirmer devant les proches d’Ilan Halimi ou devant les familles dont les enfants vont au collège Otzar Hatorah de Toulouse. David Reinharc, quant à lui, considère que le temps des débats est révolu : « Les juifs ont passé beaucoup de temps dans les colloques, symposiums et séminaires essayant de répondre à Alain Badiou. Là où était le langage (et où il n’est plus), la violence doit advenir. Désormais, il faut cesser de gloser et passer au ring et au Betar.» Ce n’est pas sans fierté qu’il revendique la présence de son mouvement, le 13 juillet, auprès de la LDJ, pour protéger la synagogue lors du « pogrom de la rue de la Roquette ». Pourtant, à le voir trébucher sur les lacets défaits de ses Converse, les bras chargés de bouquins plutôt que de battes de base-ball, on n’est pas trop pressé d’alerter la Brigade criminelle.

De multiples tentatives, toutes contestées par les intéressés, ont été faites pour cerner le profil social de ces militants radicaux. Quand Richard Prasquier, ancien président du CRIF, évoque « des jeunes gens paumés », le sociologue Samuel Ghiles Meilhac parle de « jeunesse juive désœuvrée ». Faux, rétorque Pierre Lurçat, soutenant qu’il s’agit d’étudiants ou de jeunes qui travaillent, venus des banlieues autant que des beaux quartiers, qui ne se seraient pas rencontrés ailleurs qu’au sein de la Ligue. Diplômé d’une licence en management, Moiszek, 24 ans, accepte de renouveler l’appel depuis son numéro masqué, mais vers 20 heures, parce qu’il travaille. Je n’en apprendrai pas plus sur son activité professionnelle, sinon qu’aucun de ses collègues n’est au courant de son appartenance à la LDJ : « On est un peu des voyous mais pas de la racaille. La majorité des flics nous connaissent, et je vous jure que, quand on se bagarre parfois avec eux, j’ai honte. Tout comme j’ai honte quand on m’emmène au commissariat. Pour les beurs qui sont pris avec nous, c’est un honneur ! » La différence, aussi mince qu’elle puisse paraître aux yeux de ceux qui renvoient dos à dos la LDJ et les Merah, se niche très certainement dans cette honte qu’on ressent ou pas. Plus à l’aise après des heures passées au téléphone, Moiszek avoue par ailleurs une certaine indulgence de la part de la police : « On aura tout vu ! Un flic nous a fait une quenelle. Mais un autre nous a dit qu’on était la canaille la plus classe de Paris ! » J’objecte qu’il existe des moyens plus « classe » d’affronter ses adversaires que de les asperger de peinture rouge – un traitement servi à la porte-parole des Indigènes de la République, Houria Bouteldja, qui n’inspire pas, il est vrai, une galanterie excessive. Et quid de ce blogueur juif antisioniste Jonathan Moabad, menacé à maintes reprises du fait de ses critiques d’Israël avant qu’une bombe artisanale ne soit déposée sous sa voiture ? Deux sympathisants de la LDJ ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison ferme : « Certains électrons libres se font passer pour nous, proteste Moiszek. On refuse des fous furieux, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? » Reste à se réjouir que l’engin n’ait assurément pas été fabriqué selon les recettes des djihadistes et autres kamikazes : il n’a pas fait de dégâts en explosant.

Si elle était adoptée, l’option de la dissolution de la LDJ, sérieusement étudiée par la direction des libertés et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, donnerait-elle les résultats escomptés – l’arrêt des agissements violents et l’extinction des « accrochages communautaires » ? Moiszek se contente de rire. « Que peuvent-ils nous faire ? Nous interroger pendant quatre-vingt-seize heures et puis nous relâcher ? Nous mettre sur écoutes ? Nous emmerder un peu dans la vie quotidienne, d’accord, et alors ? » Autant dire que la menace est aussi sérieuse que si on annonçait la fermeture de Météo France dans le but d’empêcher la pluie de tomber. Dépourvue de statut légal ou associatif, la LDJ correspondrait néanmoins aux critères qui caractérisent les « groupements de fait » et pourrait être dissoute comme tel. La Ligue n’aurait alors plus le droit d’organiser des réunions, de diffuser des tracts ou d’animer un site Internet. Rappelons qu’on parle de quelques dizaines d’activistes et que, dès à présent, ceux qui ont un casier judiciaire « ne se présentent pas sous le drapeau », dixit Moiszek, tout en restant au service de la cause. Pour Pierre Lurçat, le coup de la dissolution fait office de diversion : « On a l’impression que la LDJ est médiatisée à outrance pour ne pas parler de l’antisémitisme ni désigner ses coupables. » Dénonçant « un chantage au républicanisme », d’une part, et, de l’autre, « les penchants criminels de l’Europe démocratique qui veut dissoudre les juifs non reconnaissables dans la figure du dhimmi ou du mort », David Reinharc annonce le lancement contre vents et marées d’Altalena, une revue du Betar.

Doit-on en conclure que les groupes juifs réputés violents n’ont pas trop de souci à se faire ?

Mais quiconque a fréquenté un cours de Sciences-Po a en mémoire ce grand classique pompidolien que fut la dissolution simultanée de la Ligue Communiste et d’Ordre Nouveau en 1973. Au cas où il viendrait à l’idée de l’actuel ministre de l’Intérieur de mettre hors-la-loi quelques groupuscules salafistes, il risque d’être tenté d’inclure la LDJ dans son panier garni, histoire de pas prêter le flanc aux accusations infamantes d’islamophobie, voire de sionisme.[/access]

*Photo: MEUNIER AURELIEN/SIPA.00673298_000004

Septembre 2014 #16

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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