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Houellebecq, artiste surexposé ?


Houellebecq, artiste surexposé ?
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Toute exégèse serait abusive et redondante. Michel Houellebecq a pris soin d’expliquer l’arrangement de l’exposition hors normes – un espace de près de 2 000 m2 auquel ne peuvent aspirer que les plus grandes stars de l’art contemporain – qui lui est dédiée au Palais de Tokyo jusqu’au 9 septembre. Avec une certaine dose d’insolence, l’écrivain a déclaré : « Ce n’est pas vraiment une synthèse de mes livres, mais j’emploie la même méthode, avec un démarrage très plombant, sinistre, avec une réalité indiscutablement réelle, une longue partie intermédiaire où ça part un peu dans tous les sens, ce que j’appelle le n’importe quoi mégalomane, et une fin très évanescente. » Le parcours démarre ainsi avec une succession de paysages houellebecquiens, parfaitement conformes aux attentes de la critique et des visiteurs. Encore que. À l’entrée, l’injonction « Il est temps de faire vos jeux », inscrite sur la photo d’un ciel à peine éclos de l’obscurité de la nuit, introduit une légère appréhension quant aux intentions du maître des lieux. Radicale et énigmatique à la fois, l’interpellation trouve son écho dans la salle voisine, où une autre photographie, rappelant à s’y méprendre une capture d’écran d’un jeu vidéo guerrier hyperréaliste, se trouve gratifiée d’une épigramme : « Vous n’avez aucune chance. Continuer ? »[access capability= »lire_inedits »]

Et si c’était Houellebecq qui jouait à nous faire peur ? En ce cas, c’est infiniment moins efficace qu’à travers ses romans. Y compris lorsqu’il nous confronte à une série de photos prise dans les années 1990 et sobrement intitulée « France ». Sans surprise, s’ensuivent des clichés de zones périurbaines, de parkings déserts, de péages autoroutiers abandonnés, de façades vitrées de gratte-ciel, fidèles à ce que l’auteur d’Extension du domaine de la lutte appelle « l’esthétique du casier ». En somme, la France qu’Houellebecq avoue connaître le mieux dans la vie : « J’ai plutôt habité en banlieue, plutôt dans les zones autour du parc Eurodisney. » Une France dépeuplée aussi, sinon habitée par des êtres qui ne valent pas qu’on les prenne en compte. « La première et la plus importante des opérations, pour moi, consiste à cadrer », a confié l’écrivain à Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, avant d’ajouter : « Je suis dans la négation complète du hors-champ. »  Seuls les animaux, quelques vaches saisies à l’heure de la sieste sur fond de collines bucoliques, trouvent grâce à ses yeux. Une iconographie de La Carte et le Territoire, dévoilant une France édénique autant que postindustrielle, laquelle, curieusement, ne paraît pas très démoralisante. Du moins, pas en comparaison avec cette image qu’on prendrait bien pour prophétique, à l’heure du Brexit, d’un centre commercial délabré, triste à mourir, délaissé, avec son nom « Europe » en lettres géantes coulées dans le béton armé. « Oui, il y a un côté à la fois coercitif et en voie de dégradation rapide, qui résume assez bien ce que je pense de l’Europe », a conclu l’auteur.

Il faut reconnaître à Houellebecq un don quasi surnaturel d’implication dans des coïncidences tellement singulières qu’on aurait bientôt l’impudence de dire qu’il les « suscite ». Après la date de parution de Soumission concomitante à l’attentat contre Charlie Hebdo, voici que l’inauguration de son exposition tombe le jour du référendum britannique, érigeant la photo d’un supermarché de Calais au rang de symbole. Dommage que l’écrivain se soit hâté de déclarer au Point ne pas croire à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Il aurait pu passer pour un expert en affaires publiques.

Justement, comment aborder la partie médiane de l’exposition, celle qui tire vers « le n’importe quoi mégalomane » ? Probablement en rassurant le visiteur : aussi fastidieuse qu’elle soit, elle se laisse traverser en apesanteur. Aérées, sombres, opportunément garnies de sièges plutôt confortables, les salles exhibent d’une part les obsessions lovecraftiennes de Houellebecq, et de l’autre son attendrissante folie des grandeurs. En qualité d’artiste invité, Renaud Marchand expose par exemple une pièce inspirée par la lecture de La Possibilité d’une île, qui représente ses protagonistes, Esther et Daniel, limités à leur composition organique présentée sous la forme d’une bonbonne d’oxygène et d’éprouvettes remplies de substances chimiques. De fait, les salles centrales trahissent une prétention à créer une installation totale, mêlant les œuvres en deux dimensions à des sons, des reconstitutions d’intérieurs, des objets, tel cet autel à l’effigie de Houellebecq constitué de cannettes de Coca. Le summum de l’étrangeté et, disons-le, du « n’importe quoi » est toutefois atteint dans l’espace séparé qui contient deux photos de statues de Bouddha, prises par l’écrivain en Thaïlande – l’une noyée dans une lumière douce, l’autre dans une semi-opacité mate. Au milieu, un sarcophage en verre disposé verticalement enferme un stylo, un appareil photo et un bloc-notes. « Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai fréquenté des adeptes ; ils avaient l’air contents, ne manifestaient aucun signe d’abrutissement, ils menaient une vie professionnelle active, plus ou moins réussie, mais ils n’étaient pas à la dérive », s’en est expliqué Houellebecq. On le laisse sans trop de peine nous entraîner vers l’épilogue « évanescent »

Il n’est pas vraiment surprenant que Michel Houellebecq, né Thomas, fils malaimé et vite laissé pour compte par une mère qui l’a sommé publiquement d’« aller se faire foutre », associe l’amour à un phénomène évanescent. Or la fin du parcours est réservée à « l’amour absolu », celui d’Houellebecq et de son chien, Clément, mort en 2011. Le petit Welsh Corgi Pembroke, roux-blanc, ressemble d’ailleurs étrangement à son maître sur les croquis réalisés par l’ex-femme de l’écrivain, Marie-Pierre. Une sorte de sérénité mélancolique se lit dans ses yeux tendres d’animal affectueux et vulnérable. « C’est la salle la plus autobiographique de l’expo », a confié Houellebecq. La voix rauque d’Iggy Pop, récitant calmement « Two weeks after my arrival, Fox died… », imprime à l’atmosphère un on-ne-sait-quoi de tragique au sens ontologique du mot. De peu, Houellebecq aura réussi à éviter le pathos, en nous rappelant qu’il y a toujours quelques raisons plus ou moins valables de « Rester vivant », comme suggère le titre de l’exposition, tiré d’un de ses poèmes. [/access]

« Michel Houellebecq – Rester vivant », Palais de Tokyo, Avenue du président Wilson, Paris 16ème, jusqu’au 11 septembre 2016.

Été 2016 - #37

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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