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Affreux, sales et polluants


Affreux, sales et polluants
Photo extraite du film d'Ettore Scola "Affreux, sales et méchants"
Photo extraite du film d'Ettore Scola "Affreux, sales et méchants".

Les pauvres, ça pue et ça donne des maladies aux enfants. La gauche écologique et compassionnelle qui dirige Paris ne pouvait les laisser nuire plus longtemps. Elle a donc bravement décidé ce qu’un bourgeois du XIXe aurait eu honte de défendre publiquement : le rétablissement de l’octroi. Bien sûr, on ne peut pas vraiment interdire aux plus démunis de venir chez nous, d’abord, ça ferait mauvais genre, ensuite, nous, les Parisiens, avec nos brillants cerveaux formés dans les meilleures écoles, nous avons besoin de beaucoup de petites mains pour l’intendance. Et puis les pauvres consomment, même dans leurs magasins pourris, ça finit par faire du chiffre.

Donc, on est sympas, on veut bien qu’ils viennent dans ma plus belle ville du monde, mais pas avec le tas de boue qu’ils appellent voiture. L’idéal, ce serait de leur faire passer un contrôle d’hygiène avant le franchissement du périph, mais bon ça ferait jaser, commençons par leurs bagnoles.[access capability= »lire_inedits »] De la ferraille et de la fumée, oui, des armes pointées sur les tempes de nos bronches délicates, enfin vous avez compris.

Bien sûr, madame le maire a consulté les Parisiens, elle a, explique-t-elle au Monde, suivi « une méthode très impliquante » pour nous accompagner « vers des mobilités moins polluantes ». Elle jure que les impliqués sont contents. Les autres, on s’en fout, c’est pas ces gueux qui vont décider. Donc, c’est fait, à partir du 1er juillet, les autos de plus de 20 ans et les motos de plus de 15 ans n’ont plus le droit de circuler dans la capitale du lundi au vendredi, de 8 heures à 20 heures.

Évidemment, c’est pour la bonne cause, vous ne voulez tout de même pas que les poumons de nos chérubins soient encrassés par ces fumées mécaniques et prolétaires. La novlangue municipale invoque « le droit des Parisiens à respirer un air frais », certains ayant néanmoins le droit d’émettre des saloperies avec les moteurs de leur 4×4 neuf. On suppose que les banlieusards, eux, ont le droit de poireauter sur des quais de RER et de la fermer. Notez que pour se consoler, ils auront un an de passe Navigo et de Vélib’ gratuit. Ça va sûrement enchanter tous ceux qui, pour des tas d’excellentes raisons, ont besoin de leur vieille bagnole pour bosser. Si, à leur âge, ces ploucs n’ont même pas de quoi s’en payer une neuve, c’est qu’ils ont raté leur vie.

Cela dit, on peut voir les choses autrement, comme dans cette vieille blague soviétique où les Juifs sont renvoyés les premiers de la file devant une boucherie où aucune viande n’arrivera jamais. « Il n’y en a toujours que pour les Juifs », peste un type qui a attendu toute la journée. Eh bien, peut-être les pauvres sont-ils chanceux d’être les premiers à devoir apprendre à vivre sans voiture. Parce qu’au train où vont les choses, à la fin des blagues d’Hidalgo, il n’y aura plus de voiture pour personne. Ainsi pourra-t-on, dans les rues de nos villes, élever des poules et planter des choux selon des méthodes impliquantes. Restera à trouver un moyen de les distinguer des campagnes.

Bien sûr, on n’est pas obligés de céder à tous les caprices de l’individu-roi et il va bien falloir régler le problème énergétique. En bonne Parisienne, cela fait longtemps que j’ai bazardé ma lévymobile, une Golf qui alignait déjà 25 ans au compteur quand nous nous sommes connues, et que je suis devenue la reine de l’Autolib’, la voiture propre la plus crasseuse qu’on puisse imaginer. Et par ailleurs, je jure que je suis formellement contre la pollution et les maladies respiratoires. Mais ce fantasme de villes sans voitures cache autre chose que de saines préoccupations écologiques. Car ce qui serait encore plus dommageable, pour de jeunes cerveaux humains, que les particules fines, ce serait de grandir dans un monde sans passé. Accessoirement, on finira par fabriquer des générations de délicats qui ne seront immunisés contre rien et s’effondreront au moindre rhume, mais c’est une autre affaire.

De même qu’il y a des abolitionnistes du tabac, de la prostitution et du foie gras, il y a des abolitionnistes de la voiture, qui, d’ailleurs, sont souvent les mêmes. Ce qu’il s’agit d’éradiquer, c’est bien le monde d’avant, avec ses turpitudes, ses tourments, ses divisions et ses délices afférents. Dans l’avenir que prétendent inventer pour nous Mme Hidalgo et ses semblables, tout sera propre : nos villes, nos voitures, nos maisons, nos enfants, conçus en dehors de tout acte sexuel, et bien sûr nos pensées, expurgées de tout ce qui pourrait les polluer. Le rêve d’Anne Hidalgo, ce n’est pas la ville de demain, c’est Disneyland pour tous.[/access]

Été 2016 - #37

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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