« La Féline », version Schrader


« La Féline », version Schrader
Kinski dans "La Féline" de Paul Schrader (DR)
Nastassja Kinski dans "La Féline" de Paul Schrader (DR)

La difficulté avec ce film, c’est de parvenir à faire abstraction qu’il s’agit d’un remake du chef-d’œuvre de Jacques Tourneur. Paul Schrader a été suffisamment critiqué pour cette raison. Pourtant, il faut bien reconnaître que la comparaison reste quand même logique dans la mesure où le film s’inscrit en pleine vogue des réadaptations de classiques du cinéma fantastique par les studios Universal à la fin des années 70 (L’invasion des profanateurs de Kaufman, Dracula de Badham, The Thing de Carpenter…). Et même si les films sont, au bout du compte, très différents, Schrader ne se prive pas de rendre des hommages directs à l’œuvre de Tourneur : une femme étrange qui s’immisce dans une conversation entre « la féline » et une collègue et, surtout, la fameuse scène de la piscine où le cinéaste reprend certains éléments plastiques de l’original comme les reflets de l’eau au plafond).

Mais pour être le plus juste possible, et c’est pour cette raison qu’il faut le réévaluer, il faut considérer La Féline comme une œuvre de Schrader à part entière. Que ce soit en tant que scénariste (pour Scorsese avant tout) ou cinéaste, il a toujours été obsédé, dans une optique chrétienne, par la Faute, le péché et la rédemption. Si cette dimension était également présente chez Tourneur, la question de l’animalité des désirs et de la sexualité que symbolise la panthère noire s’inscrit pleinement dans les thématiques chères au cinéaste.

Même si le prologue place le film sous le sceau d’un mythe imaginaire avec sa tribu offrant en sacrifice des enfants aux panthères pour qu’elles conservent une âme « humaine » ; Schrader recourt également à une imagerie biblique. Dans une belle scène de balade nocturne, Nastassja Kinski, au sommet de sa gloire et de sa beauté, se déshabille et marche dans une sorte de campagne édénique. Là, elle rencontre le serpent et c’est alors que ses instincts animaux se réveillent et qu’elle chasse un petit lapin. Cette rencontre avec le serpent est d’une limpidité exemplaire : c’est à partir de cet instant que la jeune fille vierge découvre la puissance du désir sexuel et qu’elle se transforme, de fait, en panthère.

Tout l’intérêt du film tient dans cette manière (finalement assez classique) de sonder l’animalité qui se niche au cœur de la nature humaine, surtout lorsqu’il s’agit de sexualité. Pour pouvoir rester « humaine », Irena devrait s’accoupler avec son frère (joué par le toujours très habité Malcom McDowell) mais de cet amour incestueux naîtrait de nouveau crime. En revanche, si elle fait une nouvelle fois l’amour avec l’homme qu’elle aime, elle gardera toujours sa forme « animale » mais avec ce sentiment que quelque chose a pu faire bouger les lignes de cette « animalité » et l’a « affinée » (comme le suggère le superbe face à face final qu’achève la magnifique chanson de Bowie Putting on fire).

Tout en empruntant les chemins du genre fantastique, avec quelques scènes bien sanglantes (un bras arraché, par exemple), Schrader s’en éloigne aussi en instaurant une atmosphère moite et languide en parfaite adéquation avec l’endroit où se déroule l’intrigue (la Nouvelle Orléans).

Si cet attrait pour le « négatif » et les recoins les plus sombres de l’âme humaine séduit, le côté très puritain du cinéaste agace aussi un peu. La dimension « mythique » du film lui permet d’échapper à la lourdeur démonstrative de Hardcore  mais on en retrouve parfois quelques traces. Pour Schrader, le péché originel reste lié à la sexualité et l’érotisme ne peut être envisagé que sous l’angle de la noirceur et d’un certain « dégoût » (la scène de bondage où la femme est littéralement entravée pour que son désir soit dompté).

Mais à cette réserve près, La Féline est un film élégant, qui vieillit plutôt bien, en dépit des nappes synthétiques assez insupportables et très datées de Moroder, et qui sonde avec une certaine acuité l’ambiguïté de la nature et des désirs humains.

La Féline (1982) de Paul Schrader, avec Nastassja Kinski et Malcom McDowell. (Ed. Elephant films). En DVD depuis le 1er juin 2016.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le roman (dans un trou) noir
Article suivant Al-Qaïda revient
est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération