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Doronine, 100% stupéfiant


Doronine, 100% stupéfiant
Andreï Doronine, La Manufacture des livres.
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Andreï Doronine, La Manufacture des livres.

Amazon vient de me livrer une came d’enfer, un cocktail de récits stupéfiants signés Andreï Doronine et emballés par ce titre étrange : Transsiberian back to black.

La bombe d’un junkie russe

Test accompli : c‘est une bombe qui va décrocher la première place au hit-parade d’un genre que William Burroughs a transformé en mythe. En rapportant à sa femme – Olga Marquez, chanteuse du groupe Oili Aili –, qui le poussait à décrocher, la collection de ses histoires de junkie, Andreï Doronine ne s’est pourtant pas réfugié dans une posture artistique. Ayant cramé tout crédit, il a fait le pari non pas de se réhabiliter mais d’effarer à chaque étape de ses récits, transmuant les faits les plus sordides en sortilèges.

Doronine va droit au but – du brut de brute défoncée –, entraînant sa lectrice dans la course infernale de la toxicomanie.  Survivant dans des conditions extrêmes, un junkie Doronine in extremis des résolutions extrêmes à son problème (de réassort). De cette situation, Doronine tire un mécanisme narratif naturellement efficace. Ou comment se sortir d’un piège aux allures terminales par une ruse à la fois lamentable et homérique – misérable miracle – avant de remettre le pire au lendemain.

Dans la peau d’un zombie

Histoires qui courent au paroxysme de l’extrême, crescendo, haletantes, horriblement fascinantes et, souvent, à mourir de rire, conséquence de la tension injectée dès les premières lignes – un suspense radical – comme de la pharamineuse embrouille qui en est la cause.

Doronine ajoute à son maléfice l’art de camper ses personnages avec une cruelle parcimonie. Te voilà en quelques mots dans la peau d’un salaud, d’un zombie ! Réduit à quelques automatismes primaires, tous convoqués dans le feu de l’action : pécho l’un après l’autre le fric et la poudre avant Doronine se la jouer à quitte ou double – saloperie ou merveille. Pourtant ces personnages – Doronine démultiplié – à qui tu emboites le pas, malgré le degré zéro de leur humanité, t’accrochent façon syndrome de Stockholm, ne serait-ce que par la prodigieuse fourberie dont ils sont capables pour satisfaire leur vice. Frères de solitude et de meute, extravagants ruminants du néant, qui t’embarquent direct dans la sidération des calamités inimaginables qu’ils déclenchent immanquablement ! A chacune son conte.

Road movie déjanté

Conte noir, cruel et parfaitement amoral. Panique même tant c’est cru brutal et givré. A chaque conte sa dramaturgie absurde, sa logique déraillant, ses looping et coups de théâtre, son issue, sa défaite. Quelque chose qui arrache comme un air de blues … à chacun son rythme et sa couleur locale. Couleurs des lieux russes ordinaires, mais extravagants et violents à la lumière blanche de la défonce – un chenil, un marché (où l’on achète des hamsters avec 5g de poudre collés sur le ventre), une décharge, les coulisses d’un théâtre, l’hôpital -, la zone de Saint-Pétersbourg ou des lieux en marge de la ville, n’importe quelle ville, ses périphéries jusqu’aux îlots de l’archipel du Goulag où se déroule la première nouvelle du recueil – « Chaman » -, un road movie déjanté à la rencontre d’un centenaire excentrique issu d’une peuplade minoritaire du nord, vivant à l’écart du monde, communiquant avec les esprits des ancêtres s’exprimant par des poèmes et débitant de dramatiques et infaillibles oracles que les puissants du pays viennent recueillir en tremblant.

Bourré de surprises, horreurs et sensations fortes, brutal et absurde, construit avec une logique de tiroirs (le passé de la Russie, jusqu’à ses légendes antiques, est enseveli dans l’un d’eux), « Chaman », avec son zeste mystique, partage avec toutes les autres histoires de Doronine, cette singulière et primitive méditation sur la résignation d’où jaillissent, comme des cris de bête à l’agonie, des péroraisons sarcastiques à la Cioran.

« Prêt aux humiliations et aux tortures les plus raffinées »

Dans le cauchemar intitulé « Inventeur », où le narrateur taille un bic pour en faire une shooteuse, se loupe, perd la moitié de l’injection, la récupère sur le tapis antédiluvien, se shoote de nouveau, s’injecte une poussière et se trouve assailli par une vague de douleur qui lui brise le dos, Doronine enchaîne : « Je pouvais aussi bien traîner dans la rue et ramasser plus de cochonnerie, pour me concocter un poison du même genre. L’enfer ne faisait que commencer. » ;  « Mais j’aimais tellement la défonce. Et je l’aime toujours. C’est précisément pour ça que je n’y touche plus. Effectivement comment vivre lorsque, par amour, on est prêt aux humiliations et aux tortures les plus raffinées, pour une minute, une seconde d’espoir que ce sera la première fois ? »

Ce dernier paragraphe est reproduit sur la quatrième couverture de Transsiberian back to black., une époustouflante nouveauté dans la catégorie « démons et merveilles » dont les sensations de grand 8 annoncent un écrivain rare (qui s’ignore encore) ; un livre traduit et publié par Thierry Marignac dans la collection Zapoï.

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