Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle.
Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne!
Citoyen, diversitaire, cocréatif, hashtag mitou, art-thérapeutique (« dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques »)… depuis sa réouverture il y a trois mois, le Châtelet nous la joue équitable-responsable. « Racisme, sexisme, homophobie, droits des minorités, inégalités sociales, urgence environnementale… Pour que les Joséphine Baker du xxie siècle n’aient plus à demander “faut-il que je sois blanche pour vous plaire mieux ?”, nous les accompagnerons et les soutiendrons. Nous porterons ces enjeux et les donnerons à voir sur la scène parisienne. » Alléluia.
Entre les murs, rien de trop neuf. On a rhabillé le cadre de scène, disposé des miroirs à la corbeille pour que le client voie comme il est beau. La lumière est plus forte, plus froide, genre Bastille en moins lugubre. Au programme, ballet, comédie musicale (An American in Paris de retour jusqu’au 1er janvier), opéra alternatif (magnifique Saül de Haendel venu du festival de Glyndebourne fin janvier), pareil qu’avant en différent.
Le vrai neuf commence tard. Depuis un mois, dans les salons du haut, la patronne a ouvert une boîte. Une boîte qui s’appelle Joséphine justement. « Il s’agit de présenter des artistes nouveaux, des formes d’art inédites pour expérimenter ensemble et trouver les créateurs de demain », elle dit. Traduisez : de la grosse night qui tache, où les bizness-boys peuvent causer dollar et politique entre deux fashion weeks en dansant la hype sans se faire polluer par les beaufs en autocar.
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La nouvelle directrice du théâtre choisie personnellement par notre Grand’ Maire a confié Joséphine à un disciple de Jack Lang qui s’y connaît en night, un ancien de l’Essec nommé Arnaud Frisch. « Nous voulons souligner les croisements qui s’opèrent de plus en plus entre les arts en défendant des valeurs que nous partageons comme l’accessibilité à tous, l’égalité des sexes, les identités LGBTQI + et l’engagement citoyen. » Alléluia bis. Et voilà que patatras. Les valeurs que nous partageons se ramassent à la pelle dans la nuit du 7 au 8 novembre. Les good vibes envoyées par la sono et 800 paires de talons à la cherche de l’art inédit font craquer le plafond, pourtant blindé après deux ans et demi de travaux. Un plâtre du grand foyer situé pile en dessous tombe sur un lustre et casse un globe. Rien de méchant, assure la direction, qui pousse tout de même la compagnie vers le hall et tend d’urgence quelques filets de sécurité.
« On ne va pas reculer devant l’audace ! » rigole Christophe Girard, le Castaner culturel de la mairie. Tu penses. Déplacer une cloison de loge au palais Garnier, scandale national. Fissurer le plus ancien théâtre lyrique de Paris (le Châtelet s’amuse depuis 1862), tout le monde s’en cogne.
Et rigoler, y’a de quoi. On dirait une fable. Quand l’Hôtel de Ville était gouverné par la droite, sous Chirac et Tiberi, son opéra municipal célébrait l’« élitisme pour tous », religion de gauche fondée par l’immense metteur en scène Antoine Vitez, prophète communiste sous le règne du pharaon Mitterrand. C’était le théâtre régulier de Patrice Chéreau, de Bernard Sobel. Depuis que la Mairie est passée à gauche, le Châtelet se tient au garde-à-vous devant le mainstream libéral ; Broadway et clubbing ont remplacé l’art non commercial ; Festivus Festivus s’oublie négligemment, ravi de son tintamarre neuneu qui partage surtout les valeurs de TF1 et du CAC 40. Cette leçon vaut bien une lézarde sans doute. En attendant l’éboulis, mojito pour tous !
Festivus Festivus / Conversations avec Elisabeth Levy
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