Attentats de Paris: un terrorisme de proximité


Attentats de Paris: un terrorisme de proximité

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Depuis le début de cette grise et triste matinée du samedi 14 novembre 2015, les commentaires nerveusement exprimés sur les diverses chaînes d’information me semblent entachés de deux erreurs graves. La première est de souligner le grand professionnalisme des tueurs. Pour la première fois, ce ne sont pas des amateurs dont la kalachnikov s’enraye, comme dans le Thalys ou qui se tirent une balle dans le pied avant d’appeler le Samu. Ce sont des as du terrorisme, qui ont dû barouder longtemps dans les camps d’entraînement, puis sur le sol même de Daech. Nous avons vraiment franchi une étape, nous sommes désormais dans une guerre menée par de vrais soldats, etc., etc.

Faux, archifaux. Les deux djihadistes du Stade de France ont complètement raté leur coup et fait exploser leur ceinture au mauvais moment et au mauvais endroit. Mauvais pour eux, bien sûr, et bon pour toutes les vies épargnées par leur fausse manœuvre. Les commandos en voiture qui ont mitraillé les terrasses de cafés dans les 10ème et 11ème arrondissements n’ont pas fait preuve d’une extrême sophistication technologique. Un copain tient le volant et roule doucement le long des rues, un autre utilise son téléphone portable pour se coordonner avec les autres voitures de tueurs, le troisième arrose avec sa kalach les paisibles consommateurs du petit Cambodge, et le tour est joué. Où est le succès de haute technologie djihadiste ? Même moi, pauvre senior fatigué, pourrait faire ça avec des copains un soir de très grosse cuite, contre les jolies terrasses de cafés de Brantôme ou de Périgueux. Dieu m’en garde.

Les assaillants du Bataclan ont eu beaucoup de culot et surtout beaucoup de chance. Si les commentateurs de télévision étaient un peu plus cultivés, ils n’auraient pas manqué de voir le dernier film de Woody Allen L’homme irrationnel et de revoir Match Point. Les deux films nous disent la même chose : le hasard joue un rôle excessif et scandaleux dans la destinée humaine. Les malheureux spectateurs du Bataclan ont tiré la mauvaise carte, celle où personne n’a pu arrêter ou dérouter l’équipe des tueurs, celle où aucun marine américain ne s’est présenté en retard au spectacle et a pu leur casser la gueule, celle où les armes ne se sont pas enrayées.

C’est tout mais c’est énorme. Cela veut dire que la vie quotidienne des Français va désormais se dérouler dans une atmosphère de roulette russe, et qu’ils vivront à la merci de n’importe quelle bande de copains éméchés au haschich et désireux de se faire une amusante virée en ville.

Seconde erreur grave de nos commentateurs à chaud sur les chaînes de télévision : à la suite du gouvernement, tous disent et redisent que les massacres de Paris sont commandités depuis le Moyen-Orient, qu’ils sont l’œuvre d’un commando international venu de Syrie, que nous sommes la proie d’une guerre de civilisation totale, etc., etc. Les  »jeunes », dans les quelques phrases qu’ils ont dites aux malheureux otages du Bataclan, parlaient un excellent français sans accent, comme on ne le parle pas du côté de Raqqa ou de Mossoul. La revendication écrite de Daech est rédigée en excellent français, ce qui rassurera l’ami Brighelli sur la qualité des cours de collège donnés en banlieue (pardon de l’embringuer dans une blague particulièrement abjecte et déplacée).

Tiens,  »banlieue » ! Je n’ai pas entendu ce mot une seule fois durant toute ma matinée télévisuelle. Le politiquement correct est responsable de beaucoup d’erreurs et d’aveuglements, mais pour une fois, je ne l’accuserai pas. C’est la réalité qui est trop terrifiante, c’est son effroyable soleil qui ne peut se regarder en face. Les commentateurs ont dit n’importe quoi, ils ont parlé de la planète entière, du soutien que nous apporte Barack Obama, des grands enjeux stratégiques en Afrique et au Moyen-Orient pour ne pas voir l’insoutenable simplicité de ce qui vient de se passer : la banlieue est montée à Paris pour se faire un carton. La France a inventé le terrorisme de proximité. Génial.

Je ne dirai pas  »pas d’amalgame », l’expression est tellement galvaudée que personne ne l’a prononcée ce matin. Mais j’ai une pensée émue pour tous les braves gens de banlieue, musulmans simplement culturels ou croyants sincères, qui vont vivre désormais dans un labyrinthe de questions douloureuses.  »Est-ce que mon fils va se laisser tenter un de ces jours ? Il m’a dit qu’il aimait les voyages, mais en Corse, comme l’été dernier avec ses copains, ou alors plus loin ?  » Il y aura des pleurs, des grincements de dents, des cauchemars de mère, des sanglots dans le noir. Et jusqu’où ira la réaction des Français non-musulmans ? Des patrons qui embaucheront moins que jamais en voyant le prénom sur le CV ? Des vieux amis chrétiens qu’on invitait au ramadan et qui cesseront de téléphoner ? De tous les visages qui vous croiseront dans le métro et se détourneront aussitôt ?

Cette fois, les grigris et incantations du gouvernement ne fonctionneront pas. Faire l’union nationale ? L’union entre les irresponsables qui ont laissé un autre peuple se constituer dans l’hexagone et les lanceurs d’alerte qu’on traîne dans la boue depuis des années ? L’union sacrée entre Finkielkraut et  Joffrin qui l’insulte presque jour dans son journal ? Il faudra des réponses politiques autrement fortes, peut-être un Etat autoritaire qui rognera forcément sur les libertés.

Par contre, on ne peut qu’approuver un commentaire qui est sorti ce matin de presque toutes les bouches. Les adorateurs de la mort, les Viva la muerte de ce sinistre vendredi 13 ont voulu s’en prendre à la douceur de vivre à la française, à cette présence commune des femmes et des hommes conversant gaiement à la terrasse des cafés ou dans un stade, applaudissant ensemble un effet de batterie particulièrement réussi au Bataclan. J’aimerais bien que le fameux  »malheur aux peuples qui ne savent pas que l’histoire est tragique » se révèle faux, pour une fois.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00730539_000015.



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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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